Enfin une règlementation européenne commune en matière d'insolvabilité des entreprises ?

La commission européenne veut développer une "véritable culture du sauvetage" des entreprises. Par Stéphanie Chatelon, Avocat Associée et Arnaud Pédron, Avocat, Taj, une entité du réseau Deloitte.
Arnaud Pédron et Stéphanie Chatelon

Alors que 200 000 entreprises font chaque année faillite en Europe avec des effets transfrontaliers dans 25 % des cas, on peut se réjouir que la Commission européenne ait présenté le 22 novembre dernier une proposition de directive, transmise pour examen à la Commission des affaires juridiques le 16 janvier, visant à harmoniser les droits nationaux des 28 Etats membres en matière d'insolvabilité.

Cette proposition de directive permettra, si elle est adoptée, à la Commission de développer une véritable « culture commune du sauvetage » qui fait cruellement défaut au plan européen. Comme le rappelle Vĕra Jourová, commissaire chargée de la justice, des consommateurs et de l'égalité des genres, les faillites pourraient être évitées si les pays membres disposaient de « procédures d'insolvabilité et de restructuration plus efficientes ». Les taux de recouvrement des créances varient entre 30 à 90% selon les Etats membres - 78% en France, 65% en moyenne en Europe - et cette grande divergence constitue un obstacle majeur à la libre circulation des capitaux et au dynamisme économique européen : elle entraîne une trop grande imprévisibilité et inefficacité des procédures collectives en cas de faillite.

 Si l'ambition d'une harmonisation est louable, l'enjeu et la difficulté se situent au niveau de sa mise en œuvre. Il faut saluer l'approche pragmatique retenue par la Commission qui s'appuye sur 3 réformes clés.

 3 réformes clés pour une harmonisation

 Premièrement, le texte veut aider les entreprises à poursuivre leur activité et à préserver l'emploi en encourageant le développement d'outils d'alerte précoce détectant les difficultés des entreprises et des procédures de prévention permettant la restructuration et évitant l'insolvabilité. Il s'agit là du plus gros chantier qui passe par un accès plus facile aux sources de financement pour les entreprises en difficulté et une limitation stricte de la période de gel des dettes. Le projet est équilibré vis-à-vis des créanciers car il prévoit également un encadrement optimisé des plans de restructuration qui donnera plus de prévisibilité aux banques et aux investisseurs.

 Deuxièmement, la Commission veut donner la possibilité d'une « seconde chance » aux entrepreneurs honnêtes qui auraient fait face à une faillite afin de leur permettre de rebondir. La directive propose de les libérer totalement du poids de la dette et de l'interdiction de gérer une structure dans un délai de 3 ans maximum. L'initiative est courageuse, tant certaines législations nationales mettent les entrepreneurs au pilori, et vise à stimuler l'activité entrepreneuriale en Europe.

 Enfin, le projet va plus loin en s'intéressant aux juges et mandataires de justice chargés de traiter les dossiers d'insolvabilité. La Commission veut renforcer l'efficacité des procédures collectives en améliorant la formation et la spécialisation des juges en la matière. Il est prévu que les mandataires de justice soient soumis à un code de conduite, à des contrôles réguliers ainsi qu'à un processus de désignation prévisible avec une consultation du débiteur et des créanciers. De façon pratique, leur capacité à communiquer et à coopérer avec leurs collègues étrangers sera prise en compte dans leur désignation, précision dont on peut se féliciter.

 Quels changements pour les entreprises françaises ?

 Cette proposition de directive, si elle est adoptée, n'aura pas les mêmes conséquences dans tous les Etats membres. La France, élève moyen - 14ème sur 28 - pour l'efficacité de ses procédures collectives, est par contre déjà à la pointe de l'innovation en ce qui concerne les outils de prévention et les possibilités de seconde chance pour les entrepreneurs. Cette directive nécessiterait toutefois certains ajustements notamment pour les procédures collectives. L'implication systématique des tribunaux ou des mandataires de justice serait supprimée et la durée maximale de la période d'observation serait réduite de 18 à 12 mois pour les entreprises en faillite.

Afin de se conformer à la directive, la systématisation de l'évaluation des entreprises, chère aux Américains (« best-interest test »), serait introduite pour assurer une meilleure protection des créanciers. L'accord unanime de tous les comités de créanciers ne sera également plus nécessaire pour prendre les décisions, ce qui aura pour avantage d'écarter les classes de créanciers réfractaires (c'est le « cross-class cram down » américain). Dans le même esprit, la neutralisation des actionnaires réfractaires récemment permise en droit français sera renforcée pour éviter tout blocage à la restructuration. Autre conséquence du projet, tous les créanciers aux droits similaires seront désormais séparés par classes et de fait équitablement traités.

 Si cette directive, fortement inspirée du fameux « Chapter 11 » de la loi sur les faillites des Etats-Unis, est adoptée, elle pourrait l'être dès 2017, les Etats membres auront deux ans pour appliquer ses dispositions. Espérons qu'elle le soit, elle permettrait une avancée juridique en renforçant la sécurité des parties au plan économique à la fois pour les entreprises, les salariés, les créateurs d'entreprises, les créanciers dont les banques, les investisseurs et en définitive la compétitivité de l'Europe.

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Commentaire 1
à écrit le 25/01/2017 à 14:36
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C'est gentil tout cela. En France, avant de se mettre en état de cessation des paiements, il y a la possibilité d'enclencher une procédure de sauvegarde. Mais beaucoup d'entrepreneurs ne veulent pas que l'on sache qu'ils sont en difficulté et puis ap...

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