Etats-Unis : le temps de la justice universelle

En matière économique, les Etats-Unis imposent leur loi à travers le monde. Avec une légitimité discutable: si tous les pays voulaient en faire autant, la plus grande confusion règnerait. Par Ozan Akyurek, avocat associé, Jones Day

Universelle. Ainsi pourrait être qualifiée la justice américaine au regard des différentes enquêtes mondialement menées et des amendes prononcées ces dernières années à l'encontre d'entités qui, a priori, ne présentent aucun lien avec son territoire. Les récentes investigations visant la Fédération Internationale de Football (FIFA) illustrent parfaitement ce propos. La justice américaine n'hésite donc pas à faire appliquer ses lois hors de ses frontières, jouant par là même son rôle de gendarme mondial. Cependant, une interrogation subsiste : quelle légitimité accorder à un tel système judiciaire ?

Le lien de rattachement

Traditionnellement, la compétence universelle des juridictions d'un État intervient en matière de protection des Droits de l'Homme. Certaines lois permettent aux tribunaux de poursuivre des individus suite à des actes contraires aux Droits de l'Homme commis à l'extérieur de leurs frontières. Cette compétence universelle est généralement refusée par les États-Unis, estimant que les différents traités internationaux en la matière constituent une atteinte à leur souveraineté. A titre illustratif, il faut savoir que les États-Unis n'ont jamais ratifié le Traité de Rome de 1998 créant la Cour pénale internationale.

Pourtant, en matière économique, les États-Unis n'adoptent pas la même position : grâce à des critères de rattachement particulièrement larges, la justice américaine poursuit[1] n'importe quel opérateur économique dans le monde, alors même que les agissements visés ne présentent aucun lien avec son territoire. Peu importe cette fois-ci que de telles pratiques judiciaires portent atteinte à la souveraineté d'autres États. Certains soulignent ainsi que la justice américaine est devenue une juridiction économique universelle qui n'hésite pas à mettre en œuvre des moyens importants afin de faire respecter ses propres lois hors de son territoire[2].

Pour ce faire, la justice américaine doit, comme on vient de le dire, recourir à des critères de rattachement afin d'établir le lien entre les actes reprochés et le territoire américain. Actuellement, le critère qui fait débat est celui de la devise américaine, le dollar. Plus précisément, dès lors qu'une transaction est libellée en dollar, cela équivaut, selon la loi américaine[3], à ce qu'elle ait eu lieu sur le territoire américain. Ce critère permet alors aux États-Unis d'engager des poursuites à l'égard des sociétés européennes, généralement sanctionnées par la suite, pour des faits commis à l'extérieur du territoire américain.

Ces dernières années, les exemples sont nombreux. A quelques détails près, le même procédé est actuellement utilisé dans le cadre des enquêtes menées à l'encontre d'une dizaine de responsables de la FIFA : ces derniers sont suspectés d'avoir accepté des pots de vin de plusieurs millions de dollars en échange de droits médiatiques et des droits de marketing de compétitions organisées aux États-Unis. Outre le fait que les pots de vin auraient transité par des banques américaines, le rattachement au territoire américain est aussi facilité par le fait que l'entente relative à ces actes aurait été conclue aux Etats-Unis[4].

En agissant de la sorte, la justice américaine étend par conséquent le champ d'application spatial de sa règlementation, s'arrogant par là même un privilège juridique exorbitant, un droit d'extraterritorialité judiciaire presque sans limite qui fait ainsi naître des interrogations sur la légitimité d'un tel système.

Une légitimité discutable

Tout d'abord, il convient de souligner que juridiquement, tout État demeure compétent pour légiférer unilatéralement, à la condition que les opérations soient entièrement ou partiellement réalisées sur le territoire et sous la juridiction de l'État en question, ou par ses opérateurs[5]. Force est de constater que par l'application extraterritoriale de son droit, les États-Unis (i) ne respectent pas ce principe et (ii) entendent imposer leur domination mondiale qui n'est plus seulement économique mais désormais juridique. Là où tant d'autres juridictions restent silencieuses, la justice américaine joue une partition singulière, celle d'un gendarme mondial. Si chaque État agissait ainsi, le droit international serait forcément source de la plus grande confusion[6].

Des doutes sur le respect des principes fondamentaux du droit

Ensuite, il faut garder à l'esprit que les opérateurs ne sont pas « sanctionnés » en tant que tel. Le plus souvent, ils se voient proposer de coopérer avec les autorités américaines, menacés par un procès pénal en cas de refus. On parle ici de deals de justice[7], forme d'accord transactionnel dont le montant à payer est négocié avec les autorités américaines. Il s'agit donc d'une  transactional justice, inconnue sur le vieux continent, qui se caractérise par l'absence de juge. Si ce système peut apparaitre efficace, il laisse néanmoins planer quelques doutes quant au respect des principes fondamentaux du Droit. Puisqu'aucun juge ne vérifie la matérialité des faits, et surtout l'adéquation de la sanction prononcée, le doute subsiste quant à la question de savoir si justice a réellement été rendue. Le but poursuivi par les autorités américaines est donc de frapper fort et vite. Elles tentent d'ailleurs d'appliquer la même logique aux investigations menées à l'égard de la FIFA en proposant aux suspects d'accepter leur extradition vers les États-Unis et de bénéficier d'une procédure simplifiée.

Des amendes contraires du droit international

Enfin, les différentes amendes prononcées par la justice américaine à l'encontre de certaines sociétés européennes apparaissent contraires au droit international. Pourquoi ? L'explication est simple : une convention d'établissement entre les États-Unis et la France, datant du 25 novembre 1959 et encore en vigueur, accorde un traitement équitable aux ressortissants et aux sociétés de chacun des deux États en ce qui concerne la protection de leurs biens et intérêts. Néanmoins, il est difficile d'évoquer un quelconque traitement équitable dès lors qu'un État s'affranchit des normes internationales et ce, en imposant des sanctions extraterritoriales.

Le sentiment qui prédomine est celui d'un exercice quelque peu abusif de sa compétence par la justice américaine au seul motif qu'elle entend protéger la souveraineté étatique. A défaut d'accord international et de coopération, il y a donc fort à parier que les États-Unis continueront dans cette voie, celle de la gouvernance mondiale judiciaire.

[1] De telles décisions sont prises par le parquet, le Department of Justice (DOJ), c'est-à-dire l'accusation.

[2] Le Foreign Account Tax Compliance Act consacre ainsi la primauté de facto  du droit fiscal américain sur le droit des autres pays du monde.

[3] Foreign Corrupt Practices Act, 1977.

[4] W. Plummer, Pourquoi ce sont les États-Unis qui mènent l'enquête sur la FIFA, Le Figaro, 27 mai 2015.

[5] Ce principe est d'ailleurs en vigueur aux États-Unis ; v. S. Joseph, Corporations and Transnational Human Rights Litigation, Hart Publishing, Oxford, 2004.

[6] B. Audit et L. d'Avout, Droit international privé, 7ème éd., Economica, 2013.

[7] A. Gaparon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice, le marché américain de l'obéissance mondialisée, PUF, 2013.

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Commentaire 1
à écrit le 03/07/2015 à 17:57
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Aucune nation DU MONDE LIBRE ne s'en émoi ! Et le réseau informatique Echelon surveille toutes les communications et transactions de l'Europe depuis plusieurs années, avec la complicité tacite de nos élus (a perpétuité, comme dans toute démocratie qu...

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