Faut- il créer une Cour de cassation européenne ?

Un des derniers arrêts de la Cour européenne de justice, concernant le Sahara occidental, apparaît plus que curieux. Or cette Cour est inattaquable. Faudrait-il qu'elle le devienne, en créant une Cour de cassation européenne? Par Bruno Dethomas, Ancien ambassadeur de l'UE au Maroc

 A vouloir faire de la politique, voire de l'idéologie- dans cette période où le pouvoir de juges est partout contesté- la Cour européenne de Luxembourg ne s'éloigne pas seulement de l'esprit des Traités qui lui intiment de ne pas s'immiscer dans la Politique étrangère et de sécurité, elle y risque sa crédibilité.

Son arrêt du 21 décembre 2016 sur la question du Sahara occidental avait déjà de quoi surprendre. En se prononçant sur des arguments qui n'avaient été avancés ni par le Conseil, ni par le Front Polisario - ce que les juristes qualifient d'ultra-petita -, puis en refusant au Conseil qui le lui demandait un débat contradictoire sur ces nouveaux éléments, la Cour avait déjà montré une certaine indifférence pour les principes généraux du Droit. Inattaquable, car il n'y a pas de Cour de Cassation au niveau européen : la Cour est seul juge de ses errements si errements il y a.

En reconnaissant le Front Polisario - ce qu'aucun des vingt huit Etats membres n'a fait- et en s'immisçant sur la question de l'autodétermination des peuples, qui relève des Nations Unies, la Cour s'expose demain à avoir à trancher entre la Catalogne (ou le Pays Basque) et l'Espagne, voire entre la Corse et la France. Déraisonnable.

Loin dans l'idéologie

Il semble même que la Cour soit allée plus loin dans l'idéologie, dans une question écrite aux parties, en laissant entendre que le Maroc pourrait être « puissance occupante ». Car si cette expression a été utilisée à une reprise par l'Assemblée générale des Nations Unies, c'était il y a trente huit ans, en pleine guerre froide, dans une résolution initiée par l'Union soviétique et ses satellites. Il y a eu une quarantaine de résolutions adoptées depuis lors à New York, qui font bien la différence entre la question des territoires palestiniens « occupés » et celle du Sahara occidental « non autonome », mais que la Cour a préféré ignorer. Inquiétant.

Le conflit du Sahara occidental est un problème d'une grande complexité, né d'une décolonisation ratée, car partielle, par le général Franco dans les années 50, puis de la guerre froide qui a opposé dans cette région, dans les années 60-70, les officiers laïcs appuyés par Moscou et les Monarchies pro occidentales, débat toujours illustré, même s'il apparaît d'une autre époque, par la relation Algérie-Maroc.

Incapables de s'entendre sur cette question relevant pourtant de leur voisinage, les Etats membres s'en sont remis aux Nations Unies pour trouver une solution. La MINURSO ( Mission des Nations Unies pour un referendum sur le Sahara occidental) , créée en 1991,faute d'avoir réussi à établir une liste électorale crédible, tâche quasi impossible s'agissant de tribus nomades qui n'ont jamais constitué un Etat et font paître leurs troupeaux entre la Mauritanie et le Niger, a renoncé au referendum et se contente désormais de faire du déminage et de superviser des mesures de rapprochement familial. Quant au Conseil de Sécurité, il s'est orienté vers une large autonomie du Sahara, illustré en septembre dernier par des élections régionales jugées convaincantes par les observateurs internationaux et qui ont vu élire nombre de conseillers d'origine sahraouie .

Mais l'UE avait décidé de respecter un équilibre en ne reconnaissant ni la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, ni le Front Polisario. Cet équilibre, la Cour le met à mal.

Faut-il rappeler que le Front Polisario, créé en 1973 par des étudiants marocains d'origine sahraouie contre l'Espagne coloniale de Franco, animé dans un premier temps par le colonel Khadafi, puis par l'Algérie, représente principalement l'une des quelque quatre vingt tribus sahraouies, les Rguibats, même si c'est la plus importante. C'est, par son organisation comme par son fonctionnement, un mouvement totalitaire, avec des dirigeants corrompus ( il faut lire le rapport de l'OLAF, l'Office anti fraude européen, sur les détournements « massifs et systématiques » de l'aide européenne aux camps de Tindouf pendant plus de trente ans pour l' enrichissement personnel de quelques uns ) ?

Faut il aussi rappeler à la Cour que, sur les dix sept territoires qualifiés de «  non autonomes »par l'ONU dont le Sahara occidental , douze dépendent d'Etats membres qui ne toléreront pas que Luxembourg s'occupe de Gibraltar ou de la Nouvelle Calédonie .

Des concepts fragiles

La Cour aurait du se contenter de répondre à la question qui lui était posée sur l'accord agricole. A se saisir de concepts, fragile et difficile d'utilisation en Europe pour l'autodétermination, et inexact en droit international quand elle parle de puissance occupante- deux concepts qui relèvent clairement de la politique étrangère et de sécurité que l'article 275 du Traité lui interdit d'aborder-, en se voulant juge non seulement de la légalité mais de l'opportunité d'un Traité, la Cour sort de son mandat, accentue les difficultés des Nations Unies et fragilise le voisinage sud de l'UE. Pour qui se souvient du rôle majeur de la Cour dans la crise européenne des années 70, ce fourvoiement, dans le contexte actuel de doute, n'est pas une bonne nouvelle.

Bruno Dethomas

Ancien ambassadeur de l'UE au Maroc

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