Aide d'Etat : la paix fiscale ne s'obtiendra pas par la force

Pour contrer les schémas fiscaux autorisés par plusieurs pays, la commission européenne utilise la règlementation sur les aides d'Etat, instaurer pour tout autre chose: éviter que la concurrence ne soit faussée. Un véritable détournement de cette procédure. Par Julien Pellefigue, associé du cabinet Taj, membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited

En utilisant la réglementation sur les aides d'État pour remettre en cause des schémas fiscaux autorisés par plusieurs états membres (rulings), la Commission européenne a pris une décision spectaculaire mais discutable. Dans le contexte d'une transition lente vers un nouveau droit fiscal international, la Commission a voulu s'imposer dans le débat mondial face à l'OCDE (et le projet BEPS) et contre la souveraineté fiscale des Etats. Son action qui repose sur un détournement des règles du droit de la concurrence de leur objectif initial, ne fait qu'ajouter de la confusion à une situation déjà très complexe, et risque d'avoir un effet négatif sur l'investissement privé dans la zone Euro.

 Notification au Luxembourg, à l'Irlande, aux Pays Bas...

Les notifications d'aide d'États adressées récemment au Luxembourg, à l'Irlande, aux Pays-Bas et à la Belgique concernent des rulings fiscaux qui portent sur les prix de transfert. Ce type de ruling existe car le principe dit de « pleine concurrence » qui régit la fixation des prix de transfert est complexe et ambigu. Ainsi, pour éviter un redressement fiscal motivé par une divergence d'opinion concernant l'application de ce principe, nombre de multinationales demandent la validation de leur politique de prix de transfert aux administrations fiscales concernées ex ante, via un rescrit (les fameux rulings fiscaux).

Une volonté politique d'intervenir dans le domaine fiscal

Au cours des derniers mois, la Commission a analysé les termes de ces rescrits pour finalement juger qu'ils n'étaient pas conformes au droit de la concurrence, et partant qu'ils étaient illégaux. Cette action très spectaculaire témoigne de la volonté politique de la Commission d'intervenir directement dans le domaine de la fiscalité, qui relève pourtant principalement de la souveraineté nationale. Le recours au contrôle des aides d'Etat pour atteindre un objectif de coordination fiscale en Europe pose cependant deux problèmes très sérieux : sur le plan des principes, on peut se demander s'il ne s'agit pas d'un abus de pouvoir de la Commission, plus pragmatiquement cette décision est susceptible d'avoir des conséquences très négatives sur l'investissement des entreprises en Europe.

Une couche d'incertitude supplémentaire

L'irruption de la Commission dans la réglementation des prix de transfert ajoute en effet une couche d'incertitude à une situation déjà très chaotique. Alors que les entreprises s'interrogent, très légitimement, sur la manière dont les administrations fiscales vont interpréter les conclusions assez vagues des rapports BEPS, elles vont maintenant également devoir se préoccuper de l'opinion de la Commission, qui utilise pour sa propre appréciation des outils tirés de la théorie traditionnelle de l'aide d'Etat qui sont différents des outils utilisés par les administrations fiscales.

Plus grave encore, la décision de la Commission risque de créer de très nombreuses situations de double imposition économique, c'est-à-dire des situations où les entreprises qui ont obtenu les rulings mis en cause par la Commission verront leur profit taxé plusieurs fois par des Etats différents sans qu'il soit possible d'éliminer ces doubles impositions, et sur une période de 10 ans !

Le flou réglementaire risque de paralyser les entreprises qui préfèreront repousser leurs projets d'investissements internationaux jusqu'à ce que les principes d'imposition des flux tirés de ces investissements soient clarifiés. Dans un environnement de croissance molle, freiner l'investissement privé n'est cependant pas une très bonne idée macroéconomique.

 Un besoin de nouveau cadre fiscal

Au-delà de ce risque potentiel, l'action de la Commission n'est pas à la mesure des enjeux de la fiscalité internationale. Le principe de pleine concurrence est aujourd'hui obsolète et une réforme en profondeur de la réglementation est aujourd'hui indispensable pour éviter une situation de guerre fiscale de chacun contre tous qui serait préjudiciable à l'ensemble des États. Dans ce contexte, l'apparition d'une nouvelle instance qui s'autosaisit pour faire appliquer d'une manière inconnue une norme inefficace n'est pas une bonne nouvelle. L'Europe a besoin d'un nouveau cadre fiscal adaptée aux enjeux du commerce international d'aujourd'hui, et la Commission a toutes les compétences nécessaires pour contribuer d'une manière décisive à ce projet.

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Commentaires 4
à écrit le 04/04/2016 à 19:53
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Optimization, rulings, rescrits,....tout un sabir pour camoufler une gigantesque fraude fiscale !

à écrit le 04/04/2016 à 18:05
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Dommage que l'Europe ne puisse pas ordonner à la France de respecter une fiscalité normale et non pas celle délirante qui fait s'effondrer le pays.

à écrit le 04/04/2016 à 17:15
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Comment osez parler de volonté politique de la part de la commission européenne ? Ils ont été élus par qui déjà ?

à écrit le 04/04/2016 à 12:23
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exat , il faut un nouveaux ordre fical mondialise: tous les etats seront gagnent, le mondialisme pour certaines choses comme l la lutte contre largent sale est tres inportant,???

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