Google face à la CNIL,
la défense du droit à l'oubli contre le droit à l'information ?

La position de la CNIL, qui veut étendre le droit à l'oubli aux consultations effectuées hors Europe, n'est pas défendable. Par Christophe-Alexandre Paillard, haut fonctionnaire, ancien directeur à la CNIL*

 En 1996, deux étudiants de Stanford, Larry Page et Sergey Brin, se sont lancés dans un projet de classification des recherches sur Internet. En septembre 1998, Google est né. Depuis, premier moteur mondial de recherche et acteur clef des technologies de l'information avec l'application Android et le navigateur Chrome, Google s'est hissé en février 2016 au rang de première capitalisation boursière mondiale.

Pourtant, depuis quelques années, Google fait régulièrement la une de l'actualité juridique et médiatique en France et en Europe, non pour cette spectaculaire réussite, mais pour le niveau de ses impôts versés en Europe, pour la mise en place contestée de services comme Google Street View ou pour l'utilisation des données fournies par les internautes. C'est oublier ce que Google peut apporter en matière d'accès à l'information et à la connaissance au moyen d'un simple clic, en révolutionnant la conception commune de ce que pouvait être un outil de recherche d'information.

 Deux conceptions de l'internet

Au-delà des questions fiscales et juridiques, Google considère que deux conceptions de l'Internet s'affrontent aujourd'hui dans l'affaire qui l'opposera une nouvelle fois en décembre prochain à la CNIL, en charge de la protection des données personnelles, devant le Conseil d'Etat. En mars dernier, la CNIL avait condamné Google à une amende de 100.000 euros pour refus d'appliquer le droit à l'oubli au niveau mondial. Google avait donc souhaité faire appel de cette décision devant le Conseil d'État sur cette question très controversée et fondamentale pour l'avenir de nos données, pour notre sécurité, et pour la transparence de notre vie politique et économique.

Concrètement, le droit à l'oubli, créé par une décision de juin 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) permet à tout citoyen européen de demander à un moteur de recherche de faire disparaître des résultats contenant des données personnelles « inappropriées, hors de propos ou qui n'apparaissent plus pertinentes ». Par exemple, lorsqu'un internaute allemand se voit accorder un droit à l'oubli pour ses données personnelles, ce dernier est valable sur Google.fr comme sur Google.co.uk et au sein de toute l'Union européenne.

La CNIL veut que Google aille plus loin

Depuis janvier 2016, Google a doublé ce retrait européen d'un filtrage qui empêche les internautes européens d'avoir accès aux résultats supprimés si d'aventure ils cherchaient à se connecter depuis leur pays sur d'autres domaines, comme Google.com pour les Etats-Unis ou Google.co.jp pour le Japon. Microsoft lui a emboîté le pas récemment pour son moteur de recherche Bing. Les internautes japonais ou américains ont, eux, toujours potentiellement accès aux résultats qui sont parfaitement légaux dans leur pays. L'affaire aurait pu en rester là mais la CNIL souhaite que Google aille plus loin et réclame un déréférencement sur tous les noms de domaine du moteur de recherche, pour l'intégralité des 3,4 milliards d'internautes mondiaux, sur la base d'un droit purement européen.

Une position de la CNIL difficilement défendable

Disons-le tout net : la position de la CNIL, qui n'est d'ailleurs pas partagée par d'autres autorités sœurs en Europe, n'est pas pertinente. D'abord, du strict point de vue des principes, les Européens reprochent en permanence aux autorités américaines, à juste titre, d'appliquer dans le monde un principe d'extraterritorialité juridique. De fait, si demain les lois françaises et européennes devaient s'appliquer partout dans le monde pour le droit à l'oubli, d'autres pays moins respectueux des règles démocratiques ne manqueraient pas de s'engouffrer dans la brèche en exigeant à leur tour que leurs lois régulant l'information jouissent d'un périmètre mondial pour leur permettre de supprimer des informations gênantes à l'échelle mondiale. Ces demandes aboutiraient en réalité à ce que des internautes français se voient un jour privés d'informations parfaitement légales en France, mais finalement inaccessibles au nom d'une loi étrangère. En poussant ce raisonnement jusqu'à son extrémité, à quand devrait-on s'attendre à l'application d'une version nord-coréenne en France du droit à l'oubli ?

A technologie mondiale, solutions proportionnées

La CNIL semble aussi oublier dans cette affaire qu'Internet est une technologie mondiale et qu'il est par conséquent toujours indispensable de trouver des solutions proportionnées. De fait, la protection des données personnelles et le droit à l'oubli des internautes français doivent être défendus, mais certainement pas en privant des internautes d'autres pays de droits aussi fondamentaux que la liberté d'expression et le droit à l'information.

Il faut donc oublier tout manichéisme dans l'affaire qui opposera la CNIL à Google devant le Conseil d'État en décembre prochain et prendre en compte tous les paramètres de ce dossier du droit à l'oubli, en considérant que ce qui se joue là, c'est aussi une certaine conception ouverte du droit à l'information.

 Christophe-Alexandre Paillard, haut fonctionnaire, maître de conférence à Sciences po Paris, ancien directeur à la CNIL

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Commentaire 1
à écrit le 24/11/2016 à 10:08
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Je suis d'accord avec vous si et seulement si on dit bien aux gens, on leur répète sans cesse que toutes les informations qu'ils mettent sur internet, voir même celles seulement stockée sur leurs pc, puisque si ils sont connectés sur internet ces inf...

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