Grandes entreprises : le mythe de la formule magique des start-ups

14 groupes du CAC 40 disposent d'un fonds de "corporate ventures" (fonds dédié à l'investissement externe), souvent dirigé vers les startups. A quelles conditions cette stratégie peut-elle être gagnante? Par Julien Giffard, Principal, Innovative Strategies & Transformation, Capgemini Consulting et Jérôme Masurel CEO et Fondateur de 50 Partners
Julien Giffard et Jérôme Masurel

Le modèle des start-ups fascine les grandes entreprises qui cherchent à maintenir leur capacité d'innovation : en quoi consiste cette formule magique et peut-elle être reproduite ?

Pourquoi le modèle « start-up » fascine-t-il tant les grands groupes ?

Une startup est une organisation extrêmement agile qui cherche à répondre de façon innovante à une problématique qu'elle identifie. C'est bien cette agilité qui permet d'atteindre l'objectif plus sûrement et plus rapidement, en faisant évoluer son produit ou son modèle d'affaire inlassablement jusqu'à trouver l'équation de la croissance. C'est ce qu'on appelle « le pivot », notion omniprésente chez les Startups. On est bien loin de l'ADN de certains grands groupes français.

Cette agilité provient en grande partie de la structure humaine de la société : une équipe réduite où la question de l'âge et du diplôme compte moins que l'engagement et les réelles compétences techniques et humaines, une équipe qui développe la culture de la prise de risques, et où la rapidité d'exécution et l'atteinte des objectifs sont les principaux critères de valorisation, une équipe où la ligne hiérarchique est la plus courte possible, et la communication est permanente.

Mais cet engagement ne touche pas seulement les collaborateurs de la société. La capacité d'une startup à mobiliser et engager tout un réseau (partenaires, clients, investisseurs, mentors, etc) est un démultiplicateur de la dynamique et un facteur clé de succès du projet.

Les entrepreneurs ont surtout bien compris que toute l'énergie et l'agilité de l'organisation devait être tournée vers le seul objectif d'une création de valeur pour les clients. Voici, là encore, une bonne source d'inspiration pour les leaders historiques. S'ils évoluent souvent vers un modèle « customer-centric », ces derniers ont un train de retard par rapport aux start-ups qui, elles, sont « customer inside ». Elles intègrent le client au cœur du projet, sur l'ensemble des processus de création de valeur et du business model. Ce sont toutes ces dimensions et la réussite exceptionnelle de certaines pépites, qui ont, au cours de ces dernières années, dirigé le faisceau des projecteurs des grands groupes vers le monde de start-ups.

Collaboration entre grands groupes et start-ups

Passés les premiers sentiments de mépris puis de peur de l'« ubérisation », les leaders historiques sur leur marché cherchent aujourd'hui à intégrer, ou répliquer cette capacité d'innovation phénoménale qu'offrent les jeunes pousses.

Nombreuses sont les grandes entreprises à frapper à la porte des incubateurs de la place parisienne dans le but de comprendre la formule magique de ces potentielles futures licornes, tel César cherchant la potion magique des irréductibles Gaulois : comment ces jeunes pousses arrivent, en un temps record et avec des moyens dérisoires, à conquérir ces nouveaux marchés où nos équipes opérationnelles se sont cassé les dents plus d'une fois ?

Plusieurs actions sont expérimentées, avec plus ou moins de succès :

Acquisitions : lorsque le projet est murement réfléchi et correspond à un vrai projet industriel, le rachat d'une ou plusieurs start-ups peut être une bonne façon de gagner du temps et des compétences sur un projet de développement. Malheureusement, l'objectif est trop souvent d'éliminer la menace en captant la technologie et le business d'un concurrent potentiel, cela aboutit rarement à une intégration réussie et une création de valeur.

Investissement : 14 entreprises du CAC40 ont un fonds de corporate ventures, et de plus en plus investissent dans les start-ups. Cette méthode a l'avantage de permettre de se rapprocher des entrepreneurs en leur offrant du financement, tout en leur laissant la liberté de poursuivre leur développement. L'inconvénient reste que le transfert de compétences est souvent limité et que les projets les plus prometteurs évitent ce type d'alliances prématurées.

Collaboration : se rapprocher de l'innovation pour s'en inspirer. Plus de 15 entreprises du CAC40 ont aujourd'hui un accélérateur ou incubateur interne. Certaines pratiques dérivées de collaboration consistent à excuber des projets dans des incubateurs tiers, ou encore à co-développer des projets avec des startups externes.

D'une façon générale la collaboration est une bonne pratique car elle permet, aussi bien au groupe qu'à la start-up, de progresser. Les équipes s'enrichissent des expertises mutuelles et des modes de fonctionnement différents. La mise en œuvre de ces dispositifs n'est cependant pas encore toujours couronnée de succès, l'alchimie ayant parfois du mal à prendre. L'exécution passe par une bonne maitrise des écosystèmes, une vraie créativité pour s'adapter à chaque structure et des processus solides pour pérenniser les initiatives dans le temps.

Perspectives de succès pour les grands groupes

Nous sommes persuadés que les grands groupes ont une vraie carte à jouer dans l'Innovation, car ils rassemblent plusieurs éléments critiques (qui manquent souvent cruellement aux startups) comme les compétences et expertises métiers fortes, les moyens financiers ou encore de larges réseaux de clients et partenaires susceptibles de tester, distribuer ou soutenir une nouvelle offre. Il ne leur reste « plus qu'à » constituer un environnement et une culture propice à la créativité, à la prise de risque et donc à l'innovation.

Enfin, et peut-être au risque d'atténuer un peu la magie des start-ups, nous rappelons aux comités de directions souvent pressés de voir fleurir les prochaines révolutions technologiques au sein de leurs départements, que les success stories aussi impressionnantes que Criteo ou Blablacar restent des projets qui ont demandé de la persévérance et du temps (plus de 10 ans). Il est donc primordial qu'ils considèrent, sur le long terme, les dispositifs d'innovation à mettre en place dans leur organisation.

Julien Giffard

Principal, Innovative Strategies & Transformation, Capgemini Consulting

Jérôme Masurel

CEO et Fondateur de 50 Partners

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Commentaire 1
à écrit le 20/06/2016 à 9:30
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"Malheureusement, l'objectif est trop souvent d'éliminer la menace en captant la technologie et le business d'un concurrent potentiel, cela aboutit rarement à une intégration réussie et une création de valeur." remarque intéressante ...

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