Il est grand temps que le marché français de l'énergie évolue

Limiter les gaspillages, encourager l'autoproduction d'électricité: voilà des pistes pour faire bouger ce marché. Par Julien Tchernia, Co-fondateur et Président d'ekWateur

 En 1998 s'opérait en France la libéralisation du marché des télécommunications : France Télécom cédait alors son monopole à l'arrivée de nouveaux acteurs aujourd'hui bien connus. Avec un bilan incontestable à la clef : dix ans plus tard, les prix ont baissé et les débits augmenté, tandis que se sont imposés les offres « triple play », les forfaits illimités et la téléphonie sans fil. Un succès pour le secteur qui aurait dû inspirer les acteurs du domaine des énergies.

C'est seulement en 2007 que s'est ouvert le marché français des énergies, et là encore, l'idée était de permettre à des concurrents innovants de concurrencer les anciens monopoles d'Etat. Une mesure qui fêtera ses 10 ans l'an prochain, avec un bilan moins étincelant. Les Français l'ont-ils réellement ressentie au niveau de leur consommation, de leur facture d'énergie ? La réponse est non : le prix de l'électricité a augmenté tous les ans entre 2006 et 2016 (1), et augmentera encore en 2017, alors que les prix du marché de gros ont baissé presque de moitié depuis 2011. De son côté, de 2005 à 2012, le tarif du gaz naturel a globalement connu une forte hausse par rapport à l'inflation, avant de se stabiliser en 2013 et 2014. Et si les raisons de ces évolutions sont multiples, le constat pour le particulier reste le même : sa facture ne fait qu'augmenter. Mais alors que manque-t-il au marché français de l'énergie pour réellement évoluer ? Que serait ce marché dans un monde idéal ?

 Pas de lumière à tous les étages

Du côté des consommateurs, les grandes lignes du marché français de l'énergie n'ont pas bougé depuis longtemps: il est ultra-dominé par les acteurs historiques, qui ont perdu leur statut de service public et gardé un "business model" devenu obsolète. En effet, pour les particuliers, il faut prendre en compte deux variables : le prix du kWh, bien sûr, et aussi la consommation réelle de chaque ménage.

Prenons un exemple : il ne sert à rien de proposer un kWh à bas prix si l'électricité d'un logement est dissipée via des radiateurs électriques qui consomment énormément. Or, la rentabilité d'un fournisseur historique, sur le segment des particuliers, est essentiellement basée sur la vente au kilowattheure (kWh) aux tarifs réglementés de vente, dont le prix est fixé par l'État. Nous avons ainsi une double impasse pour la facture du consommateur final : d'abord les prix sont basés sur des coûts que rien n'incite à faire baisser à part la volonté politique d'un État qui est également actionnaire (2). Ensuite le "business model" productiviste d'un fournisseur historique l'empêche d'aider ses clients à réduire massivement leur consommation. Dit plus simplement, il gagne plus d'argent à vendre qu'à faire économiser. Il s'agit donc de changer le prisme par lequel les Français voient actuellement la consommation d'énergie.

Un retard à rattraper et des opportunités à saisir

Pour autant, malgré cette architecture politique et réglementaire, tous les voyants sont au vert pour un changement profond. Tous les facteurs ou presque sont aujourd'hui réunis pour qu'une véritable ouverture à la concurrence soit initiée. Il s'agit donc de se projeter pour tenter de visualiser à quoi pourrait ressembler le marché de l'énergie dans un monde idéal. Trois données sont à prendre en compte dans cette optique : la chasse au gaspillage, les énergies renouvelables et l'autoproduction.

Le marché français n'est pas organisé pour éviter le gaspillage d'énergie. La grande majorité des logements de l'Hexagone, maisons ou appartements, n'a pas été pensée pour fournir une juste consommation d'énergie, mais pour apporter une température constante. Radiateurs, sols chauffants, isolation, thermostats, il faudrait donc revoir l'intégralité de l'équipement en énergie des logements français, un chantier de taille mais largement envisageable dans les années à venir.

Quand on pense énergie d'avenir, on pense instantanément aux énergies renouvelables. En France, la production est largement subventionnée mais la demande n'en est qu'à son balbutiement. 1% seulement des français optent pour une offre 100% renouvelable (contre 20 à 30 % en Allemagne et en Belgique par exemple). Il est temps de rétablir cet équilibre offre-demande, en aidant simplement les consommateurs à choisir. Le gouvernement a déjà les outils, le comparateur internet du médiateur de l'énergie par exemple. Il lui suffirait d'en faire la promotion pour que tous les français commencent à faire des économies.

Faire un pas vers l'autoproduction

Le solaire, l'éolien, la géothermie et même la petite hydraulique des vieux moulins sont autant d'outils de production d'énergie qui existent pour le particulier. Leur exploitation est bien subventionnée par l'État, mais uniquement si leur production d'énergie est revendue aux fournisseurs historiques. Là encore, double impasse : quel est l'intérêt du fournisseur historique qui possède déjà son parc de production de pousser au déploiement de ces sites décentralisés, qui viendront concurrencer ses grandes centrales ? Quel est l'intérêt pour un alternatif de pousser au même déploiement s'il ne peut pas en racheter l'énergie ? Il reste donc un travail réglementaire à faire, qui n'a pas été abordé dans la loi de transition énergétique, pour que les fournisseurs alternatifs aient un intérêt à aider les Français à produire leur propre énergie.

Alors finalement, à quoi ressemblerait la consommation idéale d'énergie d'une maison ? Des thermostats intelligents (qui peuvent apporter jusqu'à 30% de réduction de la consommation), des radiateurs ou chaudières à meilleur rendement, des panneaux solaires sur le toit pour produire une partie de son énergie et un système pour décaler dynamiquement sa consommation durant les heures creuses. Quatre éléments accessibles à une grande partie des français mais qui demandent encore que la réglementation soit bousculée, ou du moins assouplie.

L'Europe, un nouvel horizon vert ?

Dans l'hypothèse où tous les ménages adopteraient les outils pour limiter le gaspillage d'énergie tout en autoproduisant une partie de leur propre électricité, il y aurait bien évidemment une baisse de consommation globale d'énergie en France, et donc un surplus du côté des producteurs tricolores. Comment pallier cette surproduction ? Les pays européens sont aujourd'hui tous connectés et il est tout à fait envisageable d'acheminer ce « trop plein » d'énergie auprès des pays qui produiraient moins que la France. Et même si la France produit une électricité à un prix moins attractif qu'il y a quelques années à l'échelle européenne, certains pays pourraient tout à fait être intéressés par la production française. De quoi compenser le manque à gagner auprès des particuliers français, même si bien évidemment certaines barrières structurelles (manque de ligne à haute tension sur certaines zones frontalières) doivent encore être franchies.

Conjuguer nos énergies : le modèle collaboratif peut révolutionner le marché

Enfin, dernière piste dans l'optique d'un monde énergétique idéal : le collaboratif. On connaît déjà le collaboratif pour se déplacer, se loger ou même partir en vacances. Mais l'énergie pourrait également bénéficier de cette mouvance venue du Web et démocratisée grâce à nos smartphones.

Si le collaboratif ne va pas bouleverser directement la manière de consommer du particulier, on peut tout à fait imaginer que cela améliore considérablement la qualité de la relation entre fournisseurs et clients. Et si chaque client donnait, en plus de son avis personnel sur son fournisseur, les clés à chaque autre client potentiel pour bien comprendre et discerner les atouts et avantages (ou inconvénients) de tel ou tel fournisseur ? De tel outil d'autoproduction ? D'autres moyens d'améliorer notre façon de consommer, directement issus du collaboratif, pourraient voir le jour dans les mois et années à venir. Il reste encore à les inventer, mais ils pourraient apporter ce souffle nouveau tant attendu.

(1) https://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=IP1176&page=graph

(2) L'article 3 du décret n° 2009-975 dispose « que les tarifs réglementés sont établis de manière à couvrir les coûts [...] que supportent pour fournir leurs clients Électricité de France ainsi qu'une marge raisonnable ».

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Commentaires 6
à écrit le 02/05/2016 à 4:55
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contrairement au physicien, je trouve cet article tres pertinent. 1) la comparaison avec les télécoms : il y a eu une rupture technologique , le deploiement de l'IP au lieu de numeris avec des installations bien plus complexe chez le client ( box, s...

à écrit le 30/04/2016 à 13:07
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La comparaison qui ouvre l'article est totalement infondée. Les télécom ne font que transmettre un objet virtuel, l'information, qui ne coûte rien à produire, et s'appuient sur une technologie qui évolue très vite. Les prix peuvent donc y baisser trè...

à écrit le 30/04/2016 à 8:25
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L'électricité, comme toutes les formes d'énergie, ne doit pas être soumise aux lois du marché. L'énergie doit être comparée au travail. Il faut répartir les charges sociales sur le travail et sur l'énergie, ce qui implique d'augmenter le prix de l'én...

à écrit le 29/04/2016 à 23:50
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Du pognon , du pognon , comment pourrait on se faire du pognon sur le dos de toujours les memes . Oui la liberalisation n'a rien apporté au consomateur d'un produit vital par contre, effet grave, le politique à tout perdu : impossible aujourd'hui de...

le 30/04/2016 à 8:48
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Libéralisation du marché de l'énergie, alors que les prix sont contrôlés par les gouvernements? Vous voulez rire? L'électricité en France est la moins chère d'Europe, 30% moins chère qu'en Belgique par exemple. Et ces faibles prix sont en train de me...

à écrit le 29/04/2016 à 19:27
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le marché de l'électricité n'évolura pas tant qu'il sera une vache à lait fiscale pour l'Etat et les collectivités locales ; quand on observe le déboursé total d'une facture pour un particulier , à peine plus de la moitié concerne la consommation de ...

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