Industrie : Trump a tout faux !

Les conceptions de Donald Trump en matière de politique industrielle sont erronées. Intervenir de cette façon sur la vie des entreprises ne mène à rien. En revanche, dans de nombreux domaines, des coopérations entre puissance publique et groupes privés sont fructueuses. Par Dani Rodrik, professeur, Harvard.

Le président élu des États-Unis Donald Trump n'est pas encore entré en fonctions, pourtant son style déficient en politique industrielle est sur le devant de la scène depuis sa victoire surprise du mois de novembre.

Dans les semaines qui ont suivi son élection, Trump revendiquait déjà une victoire. Grâce à une combinaison d'incitations et d'intimidation, il a convaincu l'entreprise de chauffage et de climatisation Carrier de conserver une partie de ses activités dans l'Indiana, « en sauvant » ainsi près de 1 000 emplois américains. En déplacement dans l'usine Carrier peu de temps après, il a mis en garde d'autres entreprises qu'il leur imposerait de lourdes taxes douanières si elles délocalisaient leurs usines à l'étranger puis expédiaient ensuite leurs produits sur le territoire américain.

Son compte Twitter a produit un flux de commentaires de la même veine. Il s'est attribué le mérite de la décision de Ford de garder une usine de Lincoln au Kentucky, plutôt que de la délocaliser au Mexique. Il a menacé la société General Motors de droits d'importation si elle continuait à importer des Chevrolet Cruzes du Mexique, au lieu de les fabriquer aux États-Unis.

Une rupture brutale

Trump a également poursuivi des entrepreneurs de la défense pour leurs dépassements de budget, il a notamment réprimandé le géant de l'aéronautique Boeing et Lockheed Martin à différentes reprises, en leur reprochant de produire des avions trop chers.

Le style politique de Trump représente une rupture brutale par rapport à celui de ses prédécesseurs. Il est fortement personnalisé et capricieux. Il s'appuie sur les menaces et sur l'intimidation. Il est enclin à se vanter, à exagérer et il ment sur ses réussites véritables. C'est une sorte de spectacle public, mis en scène sur Twitter. Et cela est profondément nocif pour les normes démocratiques.

Les économistes ont tendance à préconiser une relation où le gouvernement se tient à une distance respectable des entreprises. Les fonctionnaires sont censés se protéger des entreprises privées, de peur qu'ils ne se corrompent et ne se livrent à du favoritisme. C'est un principe précieux aux États-Unis, mais qui est plus souvent bafoué que respecté. Un exemple patent est l'influence indéniable sur la politique du gouvernement américain exercée par les magnats de la finance durant les trois dernières décennies.

Des entreprises soutenues par la puissance publique

Pourtant de proches interactions entre les entreprises et les pouvoirs publics sont à l'origine d'un grand nombre de réussites de l'Amérique. L'histoire du développement économique des États-Unis appartient plutôt à la catégorie de ces partenariats pragmatiques et de collaboration entre les secteurs public et privé, plutôt qu'à celle des relations à distance respectable et des règles inflexibles. Comme nous l'ont rappelé les économistes et les analystes politiques à la culture historique Michael Lind, Stephen Cohen et Brad DeLong, les États-Unis sont les héritiers d'une tradition hamiltonienne dans laquelle le gouvernement fédéral fournit les investissements, l'infrastructure, les finances et d'autres formes de soutien, dont le secteur privé a besoin.

L'innovation technologique américaine doit autant à certains programmes publics, tels que les aides sous forme de prêt ou les achats gouvernementaux, qu'à l'ingéniosité des entrepreneurs et des inventeurs américains. Comme le fait remarquer le professeur de la Harvard Business School Josh Lerner, certaines des entreprises technologiques les plus dynamiques des États-Unis, notamment Apple et Intel, ont reçu l'appui financier de l'Etat avant d'ouvrir leur capital. Le constructeur d'automobiles électriques Tesla est l'un des bénéficiaires du programme de garantie de prêt public, ainsi que l'entreprise de cellule solaire Solyndra, qui a fait faillite en 2011 dans un krach public spectaculaire.

Le rôle accru de l'administration fédérale

Comme le montre l'exemple de Solyndra, de nombreuses initiatives publiques échouent. Mais le test ultime consiste à savoir si le retour social sur l'ensemble du portefeuille est positif, en considérant ensemble les réussites et les échecs. Les évaluations globales de ce genre ont tendance à se faire rares. Mais une analyse a révélé que les programmes américains qui visent à dynamiser l'efficacité énergétique ont produit des bénéfices nets positifs. Fait intéressant, la plupart des bénéfices sont attribuables à trois projets relativement modestes.

Les sociologues Fred Block et Matthew Keller fournissent peut-être la meilleure analyse de « l'état de développement » américain : une réalité qu'ils estiment avoir été obscurcie par l'idéologie régnante d'un fondamentalisme du marché. Bloc et Keller décrivent la manière dont un « réseau décentralisé de laboratoires financés par l'État » et une « soupe à l'alphabet » des initiatives de financement, comme la Small Business Innovation Research (SBIR), collabore avec les entreprises privées et les aide à commercialiser leurs produits. Eux et leurs collègues ont documenté le rôle accru de l'administration fédérale et des administrations à l'appui des réseaux de collaboration sur lesquels repose l'innovation, aussi bien dans la biotechnologie, dans les technologies vertes, ou dans les nanotechnologies.

Ces politiques industrielles, fondées sur une étroite collaboration et sur une coordination entre les secteurs public et privé, ont bien sûr été la caractéristique principale de la politique économique avec l'Extrême-Orient. Il est difficile d'imaginer la transformation de la Chine en une puissance industrielle (et la réussite de son modèle axé sur l'exportation), sans l'aide et l'orientation fournies par le gouvernement chinois. Il est ironique que les mêmes personnes qui exaltent les gains chinois tirés de la mondialisation soient souvent inquiets qu'une administration américaine puisse copier l'approche chinoise et cautionner explicitement les politiques industrielles.

Une exigence de transparence

Contrairement à la Chine, évidemment, les États-Unis prétendent être une démocratie. Et la politique industrielle dans une démocratie exige la transparence, la responsabilité et l'institutionnalisation. La relation entre le gouvernement et les entreprises privées doit être mesurée avec soin. Les organismes gouvernementaux doivent être assez proches pour que les entreprises privées obtiennent les informations nécessaires sur les réalités technologiques et sur celles du marché sur le terrain. Par exemple, quelles sont les raisons fondamentales de la perte d'emplois dans le secteur industriel, par exemple dans la production automobile, et comment le gouvernement peut fournir son aide le cas échéant ? Mais ils ne peuvent pas se rapprocher des entreprises privées au point de finir à la botte des entreprises, ou à l'autre extrême, tout simplement les mener à la baguette.

Et c'est là où la politique industrielle à la Trump ne parvient pas réussir le test. D'une part, ses nominations aux postes clés de l'économie indiquent qu'il n'a guère l'intention de rompre les liens du gouvernement avec Wall Street et la grande finance. D'autre part, sa conduite de la politique par tweets suggère qu'il n'éprouve pas un grand intérêt à renforcer le dialogue institutionnel, avec toutes les garanties exigées, dont a besoin une politique industrielle solide.

Cela signifie que nous pouvons nous attendre à ce que la politique industrielle de l'administration Trump vacille entre le népotisme et l'intimidation. Cela pourra bénéficier à certains ; mais cela ne sera guère utile à l'écrasante majorité des travailleurs américains, ni à l'économie dans son ensemble.

Dani Rodrik, professeur d'économie politique internationale à la John F. Kennedy School of Government, Université de Harvard. Il a publié : Economics Rules: The Rights and Wrongs of the Dismal Science.

© Project Syndicate 1995-2017

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Commentaires 18
à écrit le 18/01/2017 à 11:52
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Si l'économie était une science exacte cela se saurait depuis longtemps. Trump a-t-il raison, a t-il tort sur le plan économique? Ce que l'on peut constater pour l'instant c'est qu'il est un milliardaire blond platine et accessoirement un gros "porc"...

à écrit le 17/01/2017 à 15:09
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Ce n'est pas que je sois favorable à Trump, tant s'en faut, mais cette tribune me semble atrocement mal écrite: la plupart des choses sont vraies (et les autres sont 'probablement vraies') mais... mais ... qu'a donc voulu prouver ce monsieur? Je ne...

le 19/01/2017 à 12:39
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D'accord avec vous...par ailleurs, je ne suis pas certain que les liens d'Obama ou Clinton avec la haute finance aient de quoi glorifier la "neutralité" du gouvernement par rapport au privé..

à écrit le 14/01/2017 à 7:01
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ah ah ...! la théorie contre la pratique ? non ? La politique de Trump est peut etre mauvaise ( d'après la diatribe de ce théoricien enseignant ) , mais en attendant , il y a déjà eu pas mal de choses faites pour l'emploi et l'activité industrielle ,...

à écrit le 13/01/2017 à 20:50
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Trump est milliardaire, et gére des affaires pas faciles dans un pays très concurrentiel, alors forcément il en connait moins qu'un économiste en chambre, à quatre fois le smic en France assistée.

à écrit le 13/01/2017 à 17:35
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Trump est un héritier qui n'a réussi que dans la spéculation immobilière et que parce que la finance l'a soutenu quand son empire était au bord du gouffre. Toutes ses tentatives en dehors (ex la compagnie aérienne) ont été des fiascos retentissants....

à écrit le 13/01/2017 à 17:23
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Le monde et surtout les USA est en guerre économique. En général les belligérants d'une guerre (surtout les dictatures) s'autorisent tous les coups bas pour vaincre. En ce sens, Trump, futur dirigeant des USA est totalement dans son rôle, quelque soi...

à écrit le 13/01/2017 à 13:16
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Trump est un héritier qui n'a réussi que dans la spéculation immobilière et que parce que la finance l'a soutenu quand son empire était au bord du gouffre. Toutes ses tentatives en dehors (ex la compagnie aérienne) ont été des fiascos retentissants....

le 13/01/2017 à 16:53
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@Bruno_bd: erreur fondamentale que la plupart des commentateurs font ! 1) un économiste en vaut un autre et si on écoute 5 d'entre eux, on a souvent 5 opinions différentes. 2) Trump n'est pas l'alpha et l'oméga. Il est entouré de gens aussi compétent...

le 16/01/2017 à 8:27
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La solution existe (une taxe sur l'énergie pour réduire le cout du travail). Elle a été exprimée dans plusieurs documents (note n°6 du CAE, réforme fiscale de Coe-Rexecode, thèse sur la taxe carbone du CIRED...). Elle n'est pas appliquée par incompét...

à écrit le 13/01/2017 à 11:43
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Trump bouscule sans ménagement le modèle "démocrate" américain bâti sur un entre-soi d'une classe politique affairiste et en partie corrompue et d'une oligarchie financière ,modèle cautionné auprès de l'opinion par des gourous "économistes" comme Rod...

le 13/01/2017 à 16:30
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> Canada qui a décidé de "coopérer " Le Canada n'a rien décidé, il fait ce qu'il sait faire, il suit. > chinois leader mondial de l'e commerce Alibaba vaste blague voici leur annonce : Alibaba will create 1 million U.S. jobs by enabling 1...

à écrit le 13/01/2017 à 11:14
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A vous lire en semble devoir comprendre que l'homme est au service de l'économie qui est au service de la monnaie, alors que je pense "bêtement" le contraire!

à écrit le 13/01/2017 à 10:19
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S'il fallait suivre les préceptes des économistes de référence, la finance, le libre échange et le mondialisme devraient guider tous les choix économiques et diriger le monde. Nous aurions alors dans les pays les plus évolués des personnages extrêmem...

le 16/01/2017 à 13:01
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Entièrement d'accord avec vous ; d'autant plus que cette "analyse" s'apparente davantage à une prospective sur la politique économique engagée par Donald Trump. Selon ces mêmes fins analystes, cette élection devait conduire à la débandade sur la plac...

à écrit le 13/01/2017 à 10:13
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Le problème majeur comme la quasi totalité des intellectuels et autres penseurs c'est que vous faites fi du bilan désastreux de l'oligarchie mondiale, les états unis font comme le reste du monde, sont paralysés économiquement parce que sa ploutocrati...

le 13/01/2017 à 18:09
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"ce n'est pas à Harvard que la réalité vous bouscule" Que dire, bien sûr on y voit tellement plus clair le nez dans le guidon, l’œil rivé sur son petit bout de lorgnette Etre bousculé par la réalité ne protège en rien des œillères, simplement ce ...

le 14/01/2017 à 19:58
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Merci Jack, vous illustrez parfaitement mon propos.

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