L'économie de la paresse a-t-elle un avenir  ?

LA CHRONIQUE DES LIVRES ET DES IDÉES. Dans « L'Art d'être libre dans un monde absurde », le journaliste britannique Tom Hodgkinson fait une analyse acerbe du fonctionnement de nos sociétés, en particulier de notre rapport au travail tel qu'il est organisé. Mais loin d'en rester aux lamentations, ce livre, écrit d'une plume alerte qui mêle réflexions personnelles et érudition, propose un vadémécum pratique pour reprendre nos vies en main avec pour mot d'ordre : « Do it ! »
Robert Jules
Manifestation de retraités à Paris contre la loi Travail proposée par Emmanuel Macron.

Début septembre, de passage à Athènes, le président français, Emmanuel Macron, a créé une polémique en promettant de ne rien céder « ni aux fainéants ni aux cyniques ni aux extrêmes », coupables d'entraver les réformes qu'il entend mener. Si personne n'a défendu les deux dernières catégories, en revanche, celle de « fainéants » a provoqué une avalanche de commentaires, témoignant de la sensibilité morale et passionnelle de notre rapport au travail, et surtout de sa signification sociale.

Vénérable tradition

Or, c'est bien là le problème, selon le journaliste Tom Hodgkinson. Cette attitude culpabilisante nous empêche de mener une vie selon nos désirs, explique-t-il dans « L'Art d'être libre dans un monde absurde » (éditions Les liens qui libèrent). Déjà auteur d'un best-seller qui annonçait la couleur, « Comment être paresseux » (non traduit), Hodgkinson s'inscrit dans une vénérable tradition allant du grec Diogène le Cynique (1) à Bertrand Russell en passant par Paul Lafargue et son « Droit à la paresse ». Ces auteurs considèrent grosso modo qu'il y a deux sens au travail : celui d'une activité forcée ou ennuyeuse régie par le temps des horloges où l'on perd sa vie à la gagner. Et puis un deuxième qui valorise au contraire l'activité libre, ce que les Romains appelaient l'otium, dont on trouve un exemple aujourd'hui dans l'engagement associatif.

Dans son livre, Tom Hodgkinson raconte avec humour sa propre expérience. Journaliste qui travaillait pour un titre de presse sans intérêt sinon commercial, il a couru après la carrière, les dettes, les factures, la consommation effrénée d'objets et d'images - l'industrie du divertissement est une des plus florissantes -, jusqu'à la déprime. Epreuve qui lui a fait prendre conscience qu'il ne voulait plus de cette vie. Et pour cela, il faut cesser de subir l'hydre normative de l'Etat et la séduction d'un « marché de dupes » qui colonisent toutes les sphères de nos vies, nos moindres faits et gestes.

Frugalité épicurienne

Le propos n'est pas nouveau - le livre est préfacé par l'inévitable Pierre Rabhi - et s'inscrit dans le mouvement de décroissance - même si l'auteur n'utilise jamais le mot - ou celui de l'indépendance financière en vogue aux Etats-Unis. Ces mouvements remettent la frugalité épicurienne au goût du jour comme moyen de reprendre le contrôle de sa vie. On trouvera donc des pages instructives sur les raisons de ne pas s'endetter, de préférer le vélo à la voiture, de cultiver son jardin (selon les préceptes de la permaculture), de bricoler plutôt que de pousser son chariot à l'hypermarché (une des bêtes noires de l'auteur), de préférer nouer des liens amicaux avec ses voisins, en favorisant la coopération et l'entraide.

En revanche, le propos de Tom Hodgkinson est plus original au regard de ses références.  Il reprend à son compte la thèse développée par Max Weber dans son ouvrage classique « L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme ». Selon le sociologue allemand, la Réforme, qui a eu lieu au XVIe siècle, a substitué à la culture catholique du Moyen Age fondée sur le jeu, la fête, l'amour, dont les activités quotidiennes n'étaient pas sous l'emprise de l'argent, celle fondée sur l'ascétisme, le travail et l'épargne. La version puritaine de la réforme protestante va favoriser l'essor d'un capitalisme fondé sur la division du travail au détriment de l'hédonisme d'antan, un changement que Hodgkinson voit résumé dans la célèbre maxime de Benjamin Franklin : « Le temps, c'est de l'argent ». Une phrase qu'il juge stupide.

Éthique de la vertu et du plaisir de Thomas d'Aquin

Grand lecteur (grâce à son temps libre), Hodgkinson multiplie les sources et les exemples de cette vie joyeuse du Moyen Age, citant nombre d'historiens, notamment les travaux de Jacques Le Goff, ou encore des philosophes et théologiens comme Thomas d'Aquin et son éthique de la vertu et du plaisir. Il fait également l'éloge de l'organisation économique des artisans, les fameuses guildes, qui faisait prévaloir l'éthique du travail sur la division du travail, que prônera quelques siècles plus tard  l'Ecossais Adam Smith.

Hodgkinson n'idéalise-t-il pas cette époque ? Sûrement, la vie au Moyen Age subissait nombre de fléaux comme les guerres, les épidémies, la mortalité infantile, ou la chasse aux hérétiques. Mais son propos n'est ni nostalgique ni réactionnaire. Il se borne à rappeler que d'autres sociétés ont préféré cultiver d'autres valeurs, comme la beauté. Surtout, il montre qu'il est possible de ne pas suivre aveuglément la méga-machine à produire, à consommer et finalement à gaspiller comme l'avaient fait avant lui les penseurs de la contre-culture des années 1960-1970 comme Ivan Illich (« La convivialité ») ou Ernst Schumacher (« Small is beautiful »), ou le  situationniste Raoul Vaneigem.

Utilitariste pragmatique

Car si les progrès matériels ont connu un formidable essor au cours du XXe siècle, il convient aussi de constater que la puissance des États et leur administration bureaucratique combinée à celle des entreprises de taille mondiale imposent une marche du monde sur laquelle l'immense majorité des êtres humains n'a aucune prise.

Mais Hodgkinson, en bon utilitariste pragmatique britannique, ne cherche pas à changer le monde, seulement sa vie quotidienne. Il ne croit pas à la lutte des classes, n'attend rien des autorités et de leur paternalisme et préfère les gens aux marchandises. Ce qui le conduit à résumer son credo politique ainsi :

« Ma quête de liberté me conduit à me définir plutôt comme un anarchiste. L'anarchie, cela veut dire que des individus passent des accords entre eux et non avec l'État. Elle présuppose que les gens sont bons et qu'on devrait leur fiche la paix, contrairement à la vision puritaine selon laquelle nous serions tous mauvais et aurions donc tous besoin d'être contrôlés par une autorité. »

Ou en plus bref : « Do it ».

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(*) Tom Hodgkinson « L'Art d'être libre dans un monde absurde », éditions Les liens qui libèrent, 334 pages, 22 euros.

(1) On pourra lire l'excellente introduction d'Etienne Helmer à ce penseur et à la signification du cynisme antique, parue cette année aux éditions Les Belles Lettres.

Robert Jules

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Commentaires 5
à écrit le 15/10/2017 à 10:30
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le dignitaire fait gonfler la bulle de la finance... mais ce n est pas la valeur refuge garantie ni l avenir aux regards de tout un chacun

à écrit le 15/10/2017 à 8:28
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La "paresse" est le moteur du progrès technique. Elle est favorisée par l'usage de l'énergie qui permet de remplacer le travail. Il faut répartir les charges sociales sur le travail et sur l'énergie. C'est trop difficile à comprendre.

à écrit le 14/10/2017 à 13:57
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on n'a rien contre ces gens qui decident de vivre avec peu, voire en ermites......... non, ce qui est derangeant c'est que ceux qui n'en foutent pas une souhaitent un bon niveau de vie assure par les esclaves qui vont devoir trimer, remplir les cais...

le 14/10/2017 à 20:53
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Très juste !!! La paresse des uns est l'abus des autres !!! Et c'est ce qui est gênant !!

à écrit le 14/10/2017 à 11:42
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Un avenir , je ne sais pas. Un présent oui: le programme de la CGT et de France Insoumise

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