L'Etat plateforme ou la révolution des services publics

Quand le numérique abouti à redéfinir le rôle de l'Etat... Par Steven Zunz, Président de Domaines Publics

Imaginez un monde où les citoyens s'organiseraient de manière spontanée et autonome pour construire et gérer eux-mêmes leurs services publics, sans intervention de l'Etat, et trouveraient en une vaste banque publique de données toutes les ressources nécessaires ? Nous n'en sommes pas encore là, mais c'est bien cet esprit qui habite l'ambitieux projet d'Etat plateforme, lancé dans une relative discrétion, qui promet de redéfinir en profondeur le rôle de l'Etat et de son administration. Il s'inscrit dans la stratégie numérique globale entamée sous l'actuel quinquennat: ouverture des données publiques, modernisation de l'action publique ou, plus récemment, consultations législatives en ligne.

 Volonté de simplification

Cette « plateforme » répond d'abord à un souci de simplification. Elle repose sur un mécanisme d'identification et d'authentification appelé « France-Connect », qui assure au citoyen un accès universel à toutes les administrations en ligne et permet à celles-ci de partager les données qu'elles détiennent. Plus besoin pour l'usager de fournir pour chaque démarche les mêmes informations, c'est à l'administration de les réunir. L'Etat plateforme entend donc mettre fin au cloisonnement qui règne actuellement entre les différentes structures administratives, avec à la clé un service plus simple, plus rapide et plus efficace. De plus, cet identifiant universel attribué à chaque citoyen devrait lui donner un contrôle total sur ses données et l'utilisation qui en est faite par les différents services concernés.

 Pour les entreprises

Un tel mécanisme existe déjà pour les entreprises. Baptisé « Dites-le nous une fois », il fait du numéro Siret la seule donnée d'identité à fournir par les entreprises pour toute information relative à leur situation fiscale, sociale ou à leur chiffre d'affaires. Il est d'ores et déjà utilisé par deux services, « Marché public simplifié» et « Aide publique simplifiée», qui permettent aux entreprises de candidater à un marché public ou de faire une demande d'aide publique. L'idée est de le généraliser aux particuliers et à l'ensemble de l'administration. Vous faites une demande de bourse, plus besoin d'y joindre l'avis fiscal dont dispose déjà la Direction générale des finances publiques.

 Une véritable banque publique de données

Mais au-delà de cette simplification bienvenue, ce partage d'informations entre les différentes administrations permettra de construire une véritable banque publique de données. Ceux qui les détiennent, directions et ministères, seront incités à les mettre à disposition sous la forme d'interfaces utilisables par tous, appelées A.P.I pour application programming interface. Elles pourront ainsi être réutilisées par les administrations ou par tout autre opérateur privé, le but affiché étant de favoriser la création de nouveaux services publics innovants et, à terme, d'y faire participer de nouveaux acteurs : entreprises, associations ou même coopératives citoyennes.

 L'État plateforme représente donc une triple révolution. Révolution technologique avec l'entrée de plain-pied de l'administration dans l'ère numérique ; révolution politique avec le passage d'un Etat organisateur à un Etat régulateur et facilitateur ; révolution démocratique avec la promesse d'une gestion participative et collaborative des services publics et d'une transparence accrue de l'administration.

 Cheval de Troie néolibéral ?

Ce bouleversement ne va évidemment pas sans poser de questions. Il n'est pas neutre politiquement, puisqu'il s'agit de fait d'une remise en cause du monopole étatique dans un certain nombre de secteurs, qui ne devrait néanmoins pas concerner les activités régaliennes de l'État. D'aucuns l'accusent déjà d'être un cheval de Troie néolibéral qui, sous couvert de modernité, ne fera qu'accélérer l'austérité et la privatisation des services publics. En réalité, cela fait bien longtemps que le secteur privé gère des activités d'intérêt général de manière satisfaisante sans que cela ait remis en cause la délivrance de ces services ou augmenter leur coût.

 Plus fondées sont les interrogations sur l'utilisation qui sera faite des données personnelles, sur leur véritable confidentialité et leur monétisation. Il faudra assurément répondre à toutes ces questions pour faire de cet « État » plateforme l'outil qu'il promet d'être, l'initiateur de services publics de haute qualité au service des citoyens.

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