L'Inde de Narendra Modi, un an après

Le premier ministre indien parvenu au pouvoir il y a un an a lancé une série de réformes. De quoi susciter des mécontentements. Par Philippe Humbert, consultant en entreprise et analyste politique

Un an après le triomphe électoral de Narendra Modi en mai 2014 et la conquête de la majorité absolue à la chambre basse du Parlement (« Lok Sabha ») par le parti hindouiste BJP , les orientations et priorités de la législature 2014/2019 commencent à se dessiner .

1-Narendra Modi a d'abord introduit un changement de rythme et de style.


A la différence de son prédécesseur, N. Modi est en campagne permanente ; son image est partout, la communication omniprésente, le pouvoir est extrêmement concentré et ramassé, les annonces quotidiennes, les élections d'Etat (cf infra) qui ont eu lieu depuis l'été 2014 ont été autant d'occasions de marteler l'argumentaire électoral gagnant de 2014 et de créer des attentes positives et auto-entretenues sur le plan économique : confiance des milieux d'affaires, regain d'intérêt des partenaires étrangers, se traduisant finalement par des résultats concrets : afflux de capitaux flottants, baisse de l'inflation , aidée par une politique habile de la Reserve Bank of India.
Le remplacement de la puissante « Planning commission » par un organisme consultatif, la Commission nationale pour le développement et la réforme, illustre bien l'esprit libéral du nouveau pouvoir.

2- Le budget 2015/2016  retient deux grandes priorités : l'industrie manufacturière et les infrastructures , l'énergie en particulier .

La campagne « Make in India » lancée dès septembre 2014 vise à accroître la part de l'industrie dans le PNB et offrir des emplois aux 15 millions de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, délaissant une agriculture surpeuplée et un secteur des services surdimensionné.
Par ailleurs , un programme massif de création d'infrastructures (autoroutes, chemins de fer, aéroports, ...) est lancé ; le plus spectaculaire concerne les énergies renouvelables dont la capacité cumulée doit atteindre 175 Giga Watt en 2022 (dont 100 d'énergie solaire et 60 d'énergie éolienne).
Annoncé à l'ouverture de la Conférence RE - INVEST à Delhi (15/17 février) par Narendra Modi, ce programme est le plus ambitieux au monde en matière d'énergies renouvelables . Il vise à juste titre à réduire le déficit énergétique structurel et aussi à améliorer la position tactique de l'Inde en vue de la Conférence sur le climat prévue à Paris en décembre 2015 .

Amélioration des prévisions macro-économiques

Joint à l'optimisme des milieux d'affaires, la baisse des taux d'intérêt et la chute des cours du pétrole ont permis au gouvernement indien de retenir des prévisions macro-économiques en nette amélioration : le taux de croissance (recalculé en hausse récemment grâce à un changement de bases statistiques assez mystérieux) devrait passer de 6,6 % en 2013/14 (4,7 % sur les anciennes bases) à 7,5 % en 2014/15, puis à 8/8,5 % en 2015/16).

3- Une diplomatie active et pragmatique, au contenu à la fois économique et stratégique.

A la surprise des observateurs, N Modi a multiplié les initiatives et missions à l'étranger dès son arrivée au pouvoir, avec un triple objectif : d'abord rechercher investissements et technologies auprès des pays développés ( Japon, Australie, USA, Russie, Israël, France, Allemagne ) et émergents ( Chine ) , ensuite contrer l'influence chinoise dans la zone du sud-est asiatique (Népal, Bangladesh, Sri-Lanka, Bhoutan, Birmanie, Malaisie, Maldives) , enfin conserver son autonomie stratégique et créer une émulation au sein du trio USA ( visite du Président Obama les 25/26 janvier ), Russie ( présence à Moscou le 9 mai ) et Chine (visite officielle du 14 au 16 mai ).

4- A l'intérieur , le BJP bénéficie d' un rapport de force politique encore favorable , malgré l'avertissement des élections de l'Etat de Delhi

Mettant fin à un série de succès du BJP aux élections destinées à élire les députés siégeant dans les Assemblées d'Etat (victoire du BJP au Maharasthra, au Rajasthan, dans le Jhakhand et même partiellement au Jammu-Cachemire), qui semblait fonder une invincibilité du BJP, les électeurs de Delhi ont, au contraire et à la surprise générale, infligé au BJP une défaite sans précédent.

En effet, aidé par l'effet amplificateur du mode de scrutin, le parti AAP de Arvind Kerjrival (« le parti de l'homme ordinaire ») obtient 54,3 % des voix et emporte 67 sièges sur 70. Le BJP recueille 3 sièges avec 32,2% des voix et le Congrès, aucun siège, avec 9,7 % des voix.
L'avertissement est sérieux car si les 13 millions d'électeurs de Delhi ne représentent pas toute l'Inde, ils constituent un bon microcosme de cette Inde urbaine, de son électorat jeune, éduqué, « aspirational », de la classe moyenne et aussi des couches plus pauvres souvent constituées d'immigrés.


Un rapport de force politique globalement favorable au BJP

Certes,à court terme, le BJP aura une vie plus compliquée sur le plan parlementaire car
il voit s'éloigner son objectif de conquête de la majorité au Sénat (« Rajya Sabha ») où il est minoritaire, ce qui rend plus difficile l'adoption parlementaire de textes importants et délicats . Mais le gouvernement dispose de moyens pour passer outre (« Ordinance route »), au prix de perte de temps et de crispations avec l'opposition.
A moyen terme, le BJP va continuer à bénéficier de l'effondrement du parti du Congrès qui s'enfonce dans une crise existentielle et voit s'exacerber la tension entre la « vieille garde » du parti et l'entourage de Rahul Gandhi, au moment où Sonia Gandhi envisageait de transmettre à son fils la présidence du parti. Il est improbable que le Congrès puisse surmonter sa crise historique avant plusieurs années.
AAP peut-il s'organiser à l'échelle du pays et offrir une alternative crédible et durable ? La question est ouverte, mais l'expérience des élections générales de 2014 n'est pas encourageante (AAP avait obtenu 4 députés seulement) ; une percée électorale dans les grands centres urbains est possible, si AAP réussit à Delhi, mais sans doute pas dans les zones rurales, sauf à s'allier avec d'autres partis régionaux et séculaires (= laïcs) pour remplir l'immense vide laissé par le Congrès et donner une expression politique aux impatiences et aux insatisfactions .

5- Des mécontentements qui ont une triple origine

- D'abord, l'écart entre les attentes , démesurées , créées par la campagne électorale de 2014 et les résultats perçus par la population . Les ambitions justifiées du « make in India « ne sont réalisables qu'à moyen / long terme ; la situation est similaire pour les infrastructures, même si un impulsion spectaculaire est donnée aux investissements dans les énergies renouvelables. Par ailleurs les progrès en terme de gouvernance , le 2ème thème de la campagne de 2014, sont peu perceptibles: pollution , traitements des déchets , pression de la corruption , sécurité des femmes en particulier, autonomie des collectivités locales , renouveau du fédéralisme.
- Ensuite, la politique « pro business « affichée délibérément par le gouvernement et mise en œuvre sans ménagement se heurte à une opposition croissante des agriculteurs pauvres, des défenseurs de l'environnement et de tous ceux qui redoutent un creusement des inégalités. Ainsi la réforme de la loi foncière ( « Land Acquisition Act « ) adoptée par le Congrès en 2013 et jugée trop protectrice par le BJP provoque des manifestations de masse .
Les attaques récentes du gouvernement contre Greenpeace et autres ONG s accusées de freiner les projets d'exploitation minière ( charbon ) et nucléaires renforcent l'image d'un pouvoir tout dévoué aux intérêts des grandes entreprises .
- Enfin et surtout , le BJP doit résister à un adversaire de taille qui est en lui-même : ses racines fondamentalistes , la matrice RSS ( Corps national des volontaires , créé en 1925 ) d'où il tire son origine .

Oublieux du fait que N. Modi avait soigneusement mis de côté pendant sa campagne l'idéologie du nationalisme hindou portée par l'organisation « culturelle » RSS, les tenants de l' « hindutva », c'est-à-dire de l'hindouisme dominateur, ont multiplié ces derniers mois les déclarations et provocations visant à stigmatiser les autres religions. Les attaques et le saccage d'églises chrétiennes, le prosélytisme hindou ont créé un climat malsain et le risque d'un engrenage très dangereux pour les relations entre communautés. L'absence de réaction officielle n'a été rompue que dans les derniers jours de février par N Modi, déclarant qu'aucune religion ne devait prévaloir sur les autres. Cette réaction tardive et minimale a entretenu des doutes sur la capacité et la volonté du BJP de maintenir le cap de la laïcité à l'indienne et du multiculturalisme .

Protégé par sa majorité parlementaire et le contrôle de nombreux Etats , le BJP est bien installé au pouvoir ; mais les prochaines élections ( au Bihar en novembre 2015 et au Tamil Nadu en 2016 ) montreront la capacité des partis régionaux , du Congrès et de AAP de capter à leur profit un essoufflement de l'élan du BJP.

Philippe Humbert

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Commentaire 1
à écrit le 21/05/2015 à 4:04
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Bonjour, il n'y a pas d'espace avant les virgules et les points en typographie française. Et écrire tout un paragraphe sous forme de liste construite à la main (sans les balises html adéquates), c'est un peu discutable. Dommage.

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