La BCE  : nouveau leadership, nouvel outil

OPINION. Qui va remplacer Mario Draghi ? La question agite les marchés, alors qu'un mercato s'est ouvert sur plusieurs postes stratégiques en Europe. Mais la véritable question est surtout celle de la politique que l'heureux élu voudra et pourra mener. Par François Xavier Oliveau (*)
(Crédits : Kai Pfaffenbach)

Certains signaux faibles ont été émis par quelques titulaires potentiels. Le très orthodoxe Jens Weidmann, président de la Bundesbank, a récemment déclaré que les tensions sur les marchés du travail et des capitaux allaient bien finir par faire remonter les prix. Il s'inscrit en cela dans la tradition des économistes de la BCE, qui prédisent avec une grande constance un retour de l'inflation. Mais la réalité est cruelle : malgré une économie mondiale plutôt dynamique, malgré des taux d'intérêts nuls, malgré l'injection de 2 600 milliards d'euros en assouplissement quantitatif, l'inflation ne revient pas.

Les annonces de la BCE jeudi dernier ne font pas exception. Les prévisions d'inflation sont à nouveau révisées à la baisse. Initialement censés remonter en 2019, les taux ne bougeront pas avant mi-2020 au plus tôt. La politique monétaire demeure donc exceptionnellement accommodante, avec des taux de marché qui battent de nouveaux records à la baisse et la reprise annoncées d'outils non-conventionnels (TLTRO).

Malgré cela, les prévisions d'inflation restent basses pour les trois prochaines années. Le niveau anticipé, entre 1,3 et 1,6%, reste nettement en dessous de l'objectif « proche de 2% » de la BCE. Mais l'inflation n'a pas atteint les 2% depuis 2012, et encore était-ce grâce à la flambée des cours du pétrole. En corrigeant des matières premières, il faut remonter à 2009 pour voir la BCE atteindre son objectif.

L'approche du candidat finlandais Olli Rehn semble donc plus réaliste que celle de Jens Weidmann. Il a fait en mars dernier le constat lucide de l'échec de la BCE, incapable de relancer l'inflation, avant de suggérer une « revue complète des principes directeurs, des hypothèses clés et des outils utilisés pour la mise en place d'une politique monétaire. » De fait, le nouveau président pourra difficilement faire l'impasse d'un tel exercice à sa prise de fonction. Comment imaginer tenir huit ans en attendant indéfiniment une inflation évaporée ?

L'étape de diagnostic est essentielle. Comme l'explique Daniel Tarullo, ancien membre du conseil de la Fed, « nous n'avons pas aujourd'hui de théorie de la dynamique de l'inflation qui marche suffisamment bien pour servir à conduire une politique monétaire en temps réel. » Impossible de contrôler les prix si on ne comprend pas leur évolution.

La relecture des classiques pourra s'avérer utile. Elle rappellera une vérité simple : dans une économie qui fonctionne, les prix tendent naturellement à baisser. Comme l'explique Schumpeter, « à long terme les prix ne manquent pas de s'adapter au progrès technologique - il les fait baisser souvent de manière spectaculaire - à moins d'en être empêché par des évènements monétaires et politiques. »

Fourastié, dans un ouvrage au titre sublime publié en 1984 au pic de l'inflation en France (Pourquoi les prix baissent) explique qu'« à l'échelle du siècle, les variations dues au progrès technique  sont aisément de l'ordre de grandeur de 200 à 1 000% et vont au-delà jusqu'à 10 000%. » Et il le démontre sur des séries longues de prix. Le blé, 400 fois moins cher que sous Louis XV. Le miroir, 4000 fois moins cher que sous Louis XIV. En 1910 et exprimés en euros actuels, la baguette coûtait 4 €, un kilo de steak 92 €, une balle de tennis 52 €, un Paris-Tours en train, 3e classe, 450 €, un vélo 5 300 €.

Comment s'en étonner ? Entrepreneurs, designers, ingénieurs, acheteurs cherchent sans cesse comment produire mieux et moins cher les biens et services. Le jeu de la concurrence transmet ces gains dans les prix, au profit du consommateur final. Et la révolution technologique qui s'annonce ne va pas ralentir le mouvement, bien au contraire. Intelligence artificielle, robots, drones, véhicules autonomes, impression 3D vont avoir des effets férocement déflationnistes quand ils auront atteint leur stade de maturité.

Olli Rehn a raison : face à un tel mouvement, il faut revoir les outils disponibles, et notamment questionner le rôle de la dette. Sa seule fonction devrait être de financer des projets de croissance, un rôle vital pour les entreprises. En s'en servant pour stabiliser le niveau des prix, les banques centrales l'utilisent à contre-emploi. Les conséquences négatives sont considérables : mauvaise rémunération du risque par des taux artificiellement bas, fragilisation du système bancaire, création de bulles d'actifs, enfin redistribution à l'envers depuis classes moyennes vers les emprunteurs.

La dette ne peut pas servir deux buts différents et incompatibles. Elle doit être recentrée sur sa première fonction économique, le financement de l'économie. Cela implique de remonter les taux d'intérêts à un niveau raisonnable, légèrement supérieur à l'inflation. Inévitablement, cela fera baisser les prix. Ces pressions déflationnistes doivent être compensées par un nouvel outil permettant d'injecter de l'argent qui ne soit pas sous forme de dette.

Le plus vertueux serait la distribution mensuelle aux individus d'un montant d'argent sans contrepartie ajusté afin de stabiliser l'inflation à un niveau cible. En France, ce montant peut être estimé à 50 à 100 € par mois pour atteindre la cible de la BCE. Ce « dividende monétaire » permettrait de soutenir le niveau des prix et la demande sans polluer le marché de la dette.

Cela ressemble à un cadeau ? En réalité, ce n'en est pas un. Car en produisant de l'inflation, toute création monétaire ponctionne le pouvoir d'achat : Keynes dénonçait cet « impôt invisible » dès 1919. Redistribuer cette monnaie créée à ceux qu'on a ponctionné relève du bon sens et de la justice. Et donc le dividende monétaire serait bien plus neutre économiquement que la politique actuelle de la BCE.

En apparence surprenant voire choquant, cet outil inspiré des travaux de Milton Friedman est bien connu des économistes et des banquiers, mais envisagé aujourd'hui uniquement comme un dernier recours. L'accélération de la baisse des prix suggère de le voir désormais comme l'outil normal de régulation des prix. Un beau chantier pour le successeur de Mario Draghi.

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(*) François Xavier Oliveau, essayiste, expert Sapiens et auteur de l'étude « Pour la création d'un dividende monétaire : une nouvelle politique monétaire à l'ère de la déflation technologique »

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Commentaires 4
à écrit le 20/06/2019 à 9:09
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Enfin ! Un hymne à l inflation plus redistributive que les allocations car elle alimente les caisses de l état et permet de diminuer ou même d abolir certaines taxes . Encore un effort avec l annulation des obligations rachetées par la BCE , et ce...

à écrit le 19/06/2019 à 9:35
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Si les salaires étaient plus élevés , il y aurait de l inflation .. par la consommation . Comme on s aligne sur les pays de l est et en plus l immobilier est hors de prix , comment voulez vous que ça marche ?

à écrit le 19/06/2019 à 9:14
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Ah ben ça fait plaisir a lire, un bout de temps que je vous le dis que ça marche pas votre truc, mais on nous écoute jamais nous les lapins. Racheter de la dette publique pour essayer de faire monter le prix de la botte de poireaux c'est disons, un p...

à écrit le 19/06/2019 à 8:43
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"Malgré cela, les prévisions d'inflation restent basses pour les trois prochaines années." Ah les shadocks, franchement il est difficile de ne pas y voir une corrélation avec la bêtise de la dictature financière ! "Ah ben tiens on s'est encor...

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