La croissance est supérieure à ce qu'on dit

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, la croissance est supérieure à ce qu'on dit

Je voudrais souligner ici trois bonnes raisons de penser que la croissance de nos économies contemporaine est de plus en plus mal appréhendée.

La mesure du PIB est truffée de biais extrêmement difficiles à effacer

Le premier argument est bien connu. Face au ralentissement du PIB et de la productivité, certains économistes mettent en alerte sur une insuffisante prise en compte des effets de l'innovation sur la qualité des produits. Cette sous-estimation irait croissante dans un monde où les produits se renouvellent de plus en plus vite et s'enrichissent d'applications. Et les organismes statistiques, en braquant leurs observations de prix sur les secteurs et produits les plus pérennes, tendraient à surpondérer la dynamique de la vieille économie.

Discerner ce qui, dans la hausse du PIB, relève de la hausse des prix, de la hausse de la qualité, ou de la hausse des volumes, relève en effet de la gageure.

Partons déjà de la sphère matérielle, où les quantités et les prix sont observables, pour prendre la mesure du problème que pose l'irruption de nouveaux produits. Pour l'Insee, la problématique est bien identifiée. L'institut incorpore les nouvelles générations de biens de façon incrémentale, en tentant de départager via l'économétrie, à l'intérieur d'un prix unitaire, ce qui relève de la variation des prix et ce qui relève d'une modification de puissance de traitement pour les équipements numériques, ou de confort dans l'immobilier par exemple... La démarche est nécessairement entachée d'incertitude.

Mais la difficulté ne s'arrête pas là. Il y a les rabais, les ristournes. Il y a les modes de tarification de plus en plus complexes, à l'instar des LOA dans l'automobile, qui mêlent des prestations de service d'entretien, des options de reprise ou d'achat, qui rendent de plus en plus opaque le calcul du prix intrinsèque de l'automobile... La liste est longue.

Que dire alors de la sphère des services où rien n'est observable ni objectivable en termes de quantité. Où derrière un prix unitaire inchangé, les bouquets ne cessent de s'enrichir, et la fréquence ou le suivi des prestations d'augmenter. Et où l'abonnement est souvent de mise.

Bref, la tâche des instituts statistiques est de plus en plus titanesque. Et l'on ne se hasardera pas ici à estimer l'ampleur du biais. Ce qui est certain, c'est que les travaux académiques en la matière, comme ceux de Philippe Aghion, s'ils ont le mérite d'attirer l'attention sur le problème, sont encore trop frustes et trop inexacts sur la méthodologie des instituts statistiques pour restituer l'ampleur du biais.

Le "digital labour" n'est pas traqué

Le second gros problème, c'est celui de la gratuité ou pseudo gratuité numérique. Une part de la problématique se rattache à celle des effets qualités. Toute la face freemium des activités numériques, c'est au fond un plus qui enrichit un bouquet de services. Mais pas seulement. Les Google, Facebook, AirBnB, Uber, Blablacar ont pour point commun de mobiliser du temps homme... du travail en coproduction de l'utilisateur, non rémunéré ou sous rémunéré, en contrepartie de services en apparence gratuits ou aux prix cassés.

Toute cette composante qui remet à jour l'économie du troc, du don contre don, du travail à façon échappe en grande partie aux radars de la comptabilité nationale. Cette dernière ne traque que les flux monétaires, et en l'occurrence ici essentiellement la vente des données personnelles. En un mot, derrière la fameuse phrase "quand c'est gratuit, c'est vous le produit" demeure une fonction de production souterraine.

Les flux intra-groupe sont largement sous-estimés

Troisième gros problème, dans une économie où les groupes organisent leur chaîne de production hors frontière, les flux de prestation intra-groupe sont très largement sous-estimés. Les filiales utilisent la marque, le savoir-faire, l'ingénierie, la conception des maisons mères. Mais dans des pays à haute fiscalité comme la France, il y a de bonnes raisons de ne pas les facturer. L'optimisation fiscale pousse au contraire à développer des circuits de facturations fictifs, qui déplacent le chiffre d'affaires vers les pays paradisiaques... D'où l'aberration du PIB irlandais ou luxembourgeois par exemple.

La liste n'est pas exhaustive. Mais suffisante pour comprendre que le doute est permis.

>> Plus de vidéos sur le site Xerfi Canal, le médiateur du monde économique

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