La démocratie : efficace, au moins autant que représentative

Le vrai problème des gouvernants, c'est leur incapacité à obtenir des résultats. Par Bruno Alomar, auditeur de la 68 session de l'IHEDN, économiste et spécialiste des questions européennes

 Le fait est entendu : les démocraties sont malades. Un tel constat est assez largement partagé. Au sein des pays occidentaux, qui ont fait le choix de ce système politique, l'adhésion des populations recule, avec pour principale manifestation la montée du populisme. Plus profondément, de nombreux pays émergents semi autoritaires (Chine, Singapour, Russie), remettent clairement en cause le principe même de la démocratie, et entendent proposer des voies de développement politique, économique et social différentes, plus conformes à leur conception traditionnelle de la Cité.

 Disons-le tout net : rien de nouveau dans la critique de la démocratie. Les Grecs anciens, inventeurs du concept, ont très tôt identifié que la démocratie avait son jumeau noir, la démagogie. En France, le décalage entre pays réel et pays légal est un fil directeur de notre histoire politique depuis 1789. Et l'exclamation de Winston Churchill, selon laquelle la démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres, reste valide.

 Insuffisante représentativité?

Est-ce à dire alors qu'il faille renoncer à débattre de notre système démocratique ? C'est le contraire qui est vrai. Le sel de la démocratie, Rousseau l'a bien montré, est la capacité à reposer en permanence, au bénéfice de la Cité, la question suivante : pourquoi, et comment, le citoyen gouverné accepte-t-il, renonçant à la part de souveraineté qu'il détient, de transférer son pouvoir à d'autres citoyens, les gouvernants ? Les démocraties actuelles ont pour ce qui les concerne apporté une réponse univoque à la crise qu'ils traversent : l'insuffisante représentativité. Tous nos maux disparaitront quand notre démocratie aura atteint un degré de représentativité absolu. Référendum, parité, scrutin proportionnel, déficit démocratique européen, populisme : autant de façons de regarder la question démocratique au seul prisme de la représentativité.

 Une telle approche est profondément erronée.

 Besoin de structures partisanes

D'abord, elle omet cette réalité d'évidence : la démocratie, sortie du confort de l'Agora grecque, n'en déplaise à ceux qui voient dans Internet le lieu d'un nouveau contrat social, est et demeurera représentative. Elle ne peut être directe. Elle a besoin de représentants, de structures partisanes, d'Institutions pour s'incarner. Elle a besoin, il faut cesser d'avoir peur de le dire, d'élites, c'est-à-dire que les meilleurs des citoyens, au sein de l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, distingués par leurs « talents, mérites et vertus », exercent les responsabilités éminentes de la Cité.

 Ensuite, car l'élection représentative ne résume pas à elle seule la démocratie. Parce qu'elle est faillible, comme toute chose humaine, la démocratie doit être complétée, et le cas échéant bornée par l'Etat de droit, qui garantit le respect de la minorité. Parce qu'elle est semblable à une plante délicate, elle ne peut s'épanouir que sur un terreau favorable, fait de libertés publiques, d'éducation des masses, de liberté de la presse etc.

 Sur ces seuls critères, il fait peu mystère que nos démocraties sont bien malades. Il est cependant un critère complémentaire, qui ne s'est perdu qu'en apparence, mais qui nourrit la sourde - et légitime - colère des citoyens : l'efficacité.

 Une incapacité des gouvernants à obtenir des résultats

Lech Walesa, lointain écho au thème du « 1% », rappelait à juste titre que pour survivre, un régime politique devait contenter une masse suffisante des citoyens pour que ces derniers veuillent le protéger. Les anglo-saxons parlent à cet égard d'accountability, c'est à dire de reddition des comptes. Les gouvernés, à juste titre, tiennent les gouvernants comptables des résultats de leur politique.

A cet égard, le problème de la construction européenne est moins son déficit démocratique, inhérent au principe d'une organisation mêlant des Etats aux intérêts et aux traditions divers, que son incapacité chronique à faire la preuve de son efficacité.

 Le rejet de leur système politique par les français résulte largement de l'incapacité de nos gouvernants à obtenir des résultats. Où est la démocratie, quand après avoir tant promis, le chômage reste si élevé, la croissance si faible, les déficits sociaux, extérieur et publics aussi élevés, la voix de la France si affaiblie dans le monde ? Comment justifier de continuer à cadenasser le citoyen sous un amas de normes juridiques et fiscales, si c'est pour obtenir des résultats aussi médiocres ? Notre actualité regorge d'exemples en la matière. Nous apprenons ainsi que, comme il est devenu commun, nos finances publiques restent hors de contrôle. De même, nous constatons les résultats calamiteux de la mise en œuvre du paquet neutre de cigarettes qui a vu la consommation de tabac augmenter au lieu de se réduire etc.

 Au total, il est urgent de remettre les résultats, l'efficacité, la compétence, le sérieux au centre du jugement que nous formons sur notre système politique. Faute de quoi, les démocraties seront bien démunies face à des régimes moins soucieux des libertés politiques et publiques, mais capables, eux, de justifier de leur existence par leurs résultats.

 Bruno Alomar, auditeur de la 68 session de l'IHEDN, économiste et spécialiste des questions européennes

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