La dette à taux négatifs, un dysfonctionnement de plus

Politique monétaire non conventionnelle aidant, un stock croissant d'obligations émises par les États de la zone euro offre désormais des rendements négatifs. Du jamais vu dans l'histoire financière. Et de quoi déstabiliser banques et assureurs. Par François Leclerc @fdleclerc

Les taux négatifs de la dette souveraine n'ont pas fini de faire parler d'eux. La Banque des règlements internationaux (BRI) s'inquiète de leurs conséquences sur le monde financier, l'économie réelle ainsi que sur la situation politique et sociale. Tout en se défendant de mettre en cause la BCE, Wolfgang Schäuble y voit de son côté la source « d'énormes problèmes », sans toutefois les identifier.

Le phénomène a pris une grande ampleur dans la zone euro, dont le stock de la dette souveraine à plus d'un an assortie d'un taux négatif serait de l'ordre de 1.800 milliards d'euros. Soixante pour cent du stock de la dette allemande à plus d'un an est assorti d'un taux négatif, son rendement ne devenant positif que pour les titres à 8 ans de maturité et au-delà. Pour la France, le stock équivalent est de quarante pour cent et ce n'est qu'au-delà de 5 ans de maturité que le taux devient légèrement positif. Dans le cas de la Suisse, même les titres à dix ans ont un rendement négatif.

Aplatissement de la courbe des taux

Les analystes financiers parlent à propos de ce phénomène, inédit pour avoir pris de telles proportions, d'aplatissement de la courbe des taux: ceux-ci ne montent que faiblement lorsque la maturité des titres s'accroit, avec comme effet que le taux de la dette a dix ans est très proche de celle à un an. Non seulement cette configuration ne reflète plus le risque, mais elle est en puissance fort perturbante pour le système financier, notamment pour les banques et les compagnies d'assurance, ses principaux acteurs.

 Moins de rentabilité pour les banques

Les banques se rémunèrent grâce au différentiel de taux entre leurs emprunts à court terme et leurs prêts à moyen et long terme, en utilisant également les dépôts non rémunérés de leur clientèle. Cet écart se réduit lorsque la courbe des taux s'aplatit, rendant moins rentable l'activité de crédit, le métier de base de la banque. Les compagnies d'assurance subissent le même effet de ciseau lorsqu'elles garantissent comme en Allemagne et aux Pays-Bas le taux des assurances-vie qu'elles commercialisent, et leur clientèle voit sa rémunération fondre au fil du temps si ce n'est pas le cas, avec le risque d'une désaffection pour ce produit à la base de leur activité financière.

Connaissant déjà une importante baisse de leur rentabilité, les banques sont incitées à développer leurs activités spéculatives dans des secteurs de l'activité financière à risque accru, et les compagnies d'assurance voient la leur s'éroder au fur et à mesure du renouvellement de leur stock d'obligations souveraines. Résultat, l'activité d'intermédiation financière est soumise à des tensions qui vont s'accroître si le phénomène des taux négatifs s'approfondit et s'élargit comme il est prévisible, en raison de la poursuite du programme d'achat de titres de la BCE. Il n'y a en effet pas a priori de limite à ce que les taux pénètrent plus avant en territoire négatif, la théorie n'y voyant comme seul obstacle que le taux zéro des billets de banque, dont la thésaurisation devient dans ces conditions attractive, un faible rempart.

Les États grands gagnants

Si ce mécanisme d'aplatissement de la courbe des taux n'est pas favorable au développement du crédit bancaire - et donc à la relance économique, pour ceux qui fondent leurs espoirs sur l'accroissement de son offre - il n'en est pas de même pour les finances publiques. Les États de la zone euro, à l'exception de la Grèce, peuvent en effet financer leur déficit et faire rouler leur dette à moindre effort, diminuant même progressivement sa charge à endettement constant. Le phénomène est à ce point significatif que l'on peut se demander s'il n'est pas, avec la dépréciation de l'euro, un objectif poursuivi sans être reconnu par la BCE. Car l'apparition des taux négatifs et la baisse générale des taux pourraient se révéler être une contribution appréciable à la gestion de la dette, moins de ressources publiques devant être dédiées à son service.

Mais une telle politique a un prix : une bulle financière est actuellement en train de gonfler sur le marché obligataire, fruit de la recherche d'un refuge par les investisseurs confrontés aux territoires inconnus qui se présentent à eux. La faible volatilité qui est aujourd'hui constatée sur ce marché pourrait se retourner en une correction brutale et une crise de liquidité, les investisseurs se précipitant tous ensemble pour vendre leurs titres. La « patience » de la Fed et sa prudence à propos du relèvement de son taux directeur exprime cette crainte qui est partagée par de nombreux analystes. Les dommages au sein du système financier pourraient être immenses : une bulle sur le marché obligataire, c'est toute autre chose qu'une bulle sur celui des actions, d'autant plus qu'elles coexisteraient simultanément, ce phénomène faisant partie des nouveautés d'un système financier dont la crise se poursuit en empruntant des chemins inédits.

Une telle perspective renvoie à la constatation que le volume de la dette est devenu beaucoup trop important, et que les politiques de désendettement - ou destinées à contenir la progression de la dette - ne sont pas à la hauteur de l'enjeu de sa réduction. Et cela souligne sans attendre que, même si le problème était on ne sait comment réglé, il ne faudrait pas recommencer à creuser le trou. Mais par quoi remplacer un endettement qui est le moteur de la croissance, si ce n'est en remettant en cause la nature de celle-ci et au passage les inégalités qu'elle génère ? Une grosse mise à plat ne s'imposerait-elle pas ?

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Commentaires 4
à écrit le 03/04/2015 à 9:45
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je pense que l'endettement n'est necessaire que si par des méthodes de calcul fiable il est démontré que l'investissement crée par l'endettement est positif. Or les politiques publiques sont le plus souvent de l'endettement négatif. Il sert le plus...

le 03/04/2015 à 17:07
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"et surtout la création de nouveaux postes de fonctionnaires causé par la création de nouveaux organes de controle-régulation fiscaux/territoriaux/de santé/sociaux etc." d'une part et : "batir des infrastructures d'interet général." Vous avez donc c...

le 03/04/2015 à 19:57
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l'interet général c'est quand ca profite à tout le monde Mr Yvan. Or l'argent qu'on donne aux fonctionnaires pour leur salaire, ca ne profite qu'à eux. Ce n'est donc pas dans l'interet général de favoriser les fonctionnaires, ils ne constituent qu'u...

à écrit le 02/04/2015 à 19:26
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Les dettes des états étant essentiellement des impôts non recouvrés ...

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