La France dans l'illusion d'une ligne Maginot numérique ?

La politique numérique française échappera-t-elle au syndrome de la ligne Maginot, inefficace et contreproductive dans une guerre de mouvement ? Le débat au Sénat sur la loi Lemaire révèle la persistance de vieux réflexes conservateurs. Par Gilles Babinet, Digital Champion pour la France auprès de la Commission européenne.
Gille Babinet pointe "l'inadéquation chaque jour plus criante qui existe entre un corps politique formé par et pour le XXème siècle et la réalité concrète de la révolution digitale".

La politique numérique française échappera-t-elle au syndrome de la ligne Maginot, cette illusion d'une défense que l'on croit inviolable et salutaire, mais qui se révèle inefficace et contre-productive dans une guerre de mouvement ? L'examen en cours du projet de loi d'Axelle Lemaire sur la République Numérique par le Parlement témoigne du décalage des décideurs politiques avec la société qui s'est plongée dans le monde digital avec énergie et enthousiasme. Plutôt que de lui fournir les munitions nécessaires à son déploiement, le réflexe de la ligne Maginot fige les dispositifs pour que surtout rien ne change. Mais dans une guerre de mouvement, si l'on n'avance plus, on perd !

Un bon départ, mais...

Pourtant le processus avait bien commencé : une consultation publique organisée par le gouvernement et ouverte à tous les citoyens, remarquable aussi bien parce qu'innovante tout autant que  pertinente dans ses résultats. Les contributions avaient par exemple recommandé de préserver sans concession un internet ouvert, de s'engager pleinement dans la mise à disposition des données publiques, de faire sauter quelques verrous à l'innovation comme sécuriser juridiquement le text & data mining pour les chercheurs.

C'est ensuite que les choses se sont gâtées et que les réflexes de complexification réglementaire ont resurgi au travers d'une série d'obligations que les sénateurs se sont empressés d'alourdir au fil des amendements. Ainsi, un des amendements adoptés impose la localisation du stockage des données exclusivement en Europe. Quiconque connaît les principes technologiques sur lesquels sont organisés les services numériques comprend que c'est tout simplement aberrant et pénaliserait l'ensemble de l'économie numérique, en complexifiant ces principes à outrance.

Un autre amendement revient à demander aux plateformes en ligne de surveiller l'ensemble des contenus et produits mis en ligne. Pourtant, un jeune créateur inconnu qui poste une vidéo parmi les 400 heures de vidéos mises en ligne chaque minute, un particulier qui met en vente un meuble sur une plateforme parmi des millions d'objets mis en ligne, ce n'est possible que grâce au niveau d'automatisation et d'industrialisation de ces processus. Si l'on devait réintroduire des contrôles humains à priori, cela reviendrait à rendre impossible l'équation économique qui permet à ces services d'être si efficaces et généralement gratuits.

Le numérique, une opportunité pour la croissance et la compétitivité

La Commission Européenne se penche elle aussi sur le rôle des plateformes en ligne dans le marché unique. Onze États Membres - dont la France ne fait pas partie - recommandent ainsi à la Commission une approche bien différente de celle choisie dans la dernière version du texte sénatoriale : il s'agit d'une part de considérer avant tout le numérique comme une opportunité pour la croissance et la compétitivité, et non une menace, et, d'autre part, d'appliquer les réglementations existantes (protection des données personnelles, droit de la concurrence, protection des consommateurs) avant d'inventer et ajouter de nouvelles réglementations, tant qu'il n'a pas été démontré que les règles existantes ne suffisent pas.

Tout cela ne fait que démontrer l'inadéquation chaque jour plus criante qui existe entre un corps politique formé par et pour le XXe siècle et la réalité concrète de la révolution digitale, qui ne cesse d'accélérer ; sans même parler de l'inadéquation de tels amendements avec les traités et le droit européens. L'opportunité perdue est immense : car au travers de cette rupture, de cette révolution digitale, de cette mise à plat du monde, il y avait l'occasion de refonder le paradigme classique d'affrontement politique. Nous sommes enfermés au sein de notre forteresse idéologique, avec des stratégies datant du siècle dernier, alors que le débat est ailleurs.

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Commentaire 1
à écrit le 25/05/2016 à 15:21
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article sans aucun intérêt !!! cela peut être à la fois une opportunité et une menace on peut toujours dire que le débat est ailleurs .... si l'on ne dit pas où !!!

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