La Ligue 1 de Football en apnée économique et sportive

Paul Pogba est devenu le symbole d'une France et de son football promis à une tiers-mondisation qui ferait d'elle seulement une productrice de matière première footballistique. Par Jean-Christophe Gallien, professeur associé à l'Université de Paris 1 la Sorbonne, Directeur général de ZENON7, Président de j c g a
Jean-Christophe Gallien.

Jean-Michel Aulas, le très influent et médiatique président de l'Olympique Lyonnais lançait, il y a peu, la saison footballistique en multipliant les attaques contre un PSG qui poursuit, selon lui, "une politique excessive d'investissements qui va abaisser la compétitivité de notre L 1" et dont l'excès d'argent "tue l'aléa sportif". Dans la foulée, il va plus loin et interroge : « Comment espérer gagner demain ? »

Tête de gondole promotionnelle pour beaucoup ou vampire prédateur pour certains comme Jean-Michel Aulas, le PSG Qatari est-il le seul et vrai problème du football professionnel français ?

Bernard Caïazzo, le président du conseil de surveillance de l'AS Saint-Etienne, monument du patrimoine footballistique français, répond fermement par la négative en élargissant la perspective vers des enjeux véritables :

« Le vrai problème de notre football, ça n'est pas le PSG, c'est qu'on est derniers pour les droits télé et premiers pour les charges fiscales. »

L'écart avec les ligues européennes se creuse

On est tenté de lui donner raison et on pourrait ajouter bien d'autres handicaps français, qui nécessiteraient, pour beaucoup, une intervention publique nationale et locale notamment l'enjeu des stades qui n'est toujours pas traité. Au milieu des tempêtes qui secouent la planète football partout dans le monde, c'est bien la situation générale du football professionnel français qui interpelle négativement malgré un Euro 2016 totalement réussi.

Les constats de déclassement demeurent et, si le Foot français ne décroche plus, il peine à résister aux évolutions européennes et mondiales du football professionnel. Malgré de sérieux efforts dans de nombreux domaines où les clubs peuvent intervenir individuellement : gestion, sponsoring, billetterie, produits dérivés ... ou collectivement en direction notamment des droits audiovisuels, l'écart avec les ligues professionnelles européennes concurrentes se creuse dans un monde ouvert, depuis 1995 par l'arrêt Bosman, à tous les vents de la libéralisation qui effacent les frontières d'une activité paradoxalement totalement localisée et sédentarisée dans un territoire national.

Une compétitivité générale en régression

Le résultat, c'est une économie en grande difficulté, des résultats sportifs en berne et une compétitivité générale en régression.

Comment ne pas regretter que l'une des quatre véritables marques de football de ce pays, le club de l'une des deux véritables villes de football - nous parlons de l'Olympique de Marseille - est tellement dégradée, presqu'abandonnée à son triste sort de dépôt vente de seconde zone.

Le dopage à l'argent qatari ne suffit plus

Comment ne pas s'étonner que le marché le plus actif de l'avant et de l'après Euro 2016 fut celui des consultants et animateurs TV. Comment ne pas s'inquiéter que la grande majorité des clubs français demeurent des nains comparés aux géants européens. Et comment ne pas constater que, même dopé par l'argent qatari, le PSG a calé en quart de finales en 2013, 2014, 2015 et 2016.

Le football français vient pourtant d'offrir au marché global le joueur le plus cher de l'histoire. Paul Pogba, devenu le symbole d'une France et de son football promis à une tiers-mondisation qui ferait d'elle une productrice de matière première footballistique que d'autres puissances valoriseraient ensuite dans leur industrie du spectacle propre.

Et comme pour toutes les industries de ce monde multipolaire et mondialisé, nous sommes en compétition féroce avec les autres ligues professionnelles en Europe et bientôt dans un monde footballistique dont la géographie s'élargit avec l'arrivée de ligues ambitieuses, en particulier aux Etats-Unis et en Chine.

Avec des poids spécifiquement français qui nous lestent lourdement au moment où, c'est José Mourinho, l'entraîneur de Manchester United, qui le dit :

« Le foot est fou, le marché est fou. »

Mercato anglais en folie

Les clubs anglais ont lancé le mercato estival 2016 sur des bases folles. Selon une étude Deloitte, les dépenses anglaises sur le marché des joueurs de cet été atteindront les 1,2 milliards d'euros ! Et ce n'est qu'un avant-goût de ce qui nous attend dans les années à venir. S'appuyant sur l'explosion des droits télé qui atteindront les 10 milliards d'euros - droits domestiques et internationaux - que vont se partager les 20 clubs de la ligue, pendant 3 ans, la Premier League est devenue une merveilleuse et efficace machine à cash. Le dernier de la saison 2017 recevra 155 millions d'euros de droits télévisuels ! Les investisseurs de toutes les économies et de toutes les géographies s'y précipitent, les équipementiers sportifs et autres sponsors se battent pour signer des partenariats avec l'ensemble des 20 clubs de la Ligue, les joueurs, les entraîneurs et leurs agents suivent... c'est une place de marché et d'influence globale bien loin de ses balbutiements innovants de 1992.

Et bientôt de nouveaux ogres...

Et les prochains ogres pointent déjà leur nez. Les USA avec leur Major League Soccer qui aimante déjà les investisseurs et surtout la Chine et sa Super League qui anime, elle aussi, le marché des transferts à coup de millions d'euros et qui investit partout en Europe dans l'économie du Football. Les investisseurs chinois sont stimulés par un double objectif : l'investissement à l'étranger et l'ambition déclarée du président Xi Jinping de faire de la Chine une grande nation de football et du sport. Xi est résolu à créer une économie du sport d'une valeur approchant les 750 milliards d'euros à l'horizon 2025. Globalement cette économie du sport a aujourd'hui une valeur d'un peu plus de 300 milliards d'euros !

La plupart des pays ajustent des régulations ad hoc pour attirer les meilleurs dans leurs ligues respectives. Joueurs bien sûr, cadres techniques aussi, investisseurs et sponsors surtout, ... fiscalités, charges sociales ... la bataille pour créer les conditions de la compétitivité dépassent le seul terrain de jeu.

Manque de profondeur culturelle et historique

Reste que les liens culturels et identitaires entre le sport professionnel et en particulier le football sont plus puissants dans les autres pays que chez nous. Oui, la Liga espagnole se défend par un système de droits audiovisuel, fiscal et social qui la positionne valablement pour l'investissement notamment étranger mais elle développe aussi un lien intense et profond avec ses territoires et leurs populations par le concept des clubs d'associés populaires. L'Allemagne fait reposer le succès économique et sportif de la Bundesliga sur un lien fort avec son propre biotope économique, un lien très faible en France.

Plus de Peugeot, pas de Renault, pas de Total ... moins de compétitivité c'est aussi la faiblesse de l'implication des acteurs économiques privés nationaux et locaux mais aussi des personnes physiques pour dépasser le seul rôle de sponsor ou de supporter.

N'en déplaise aux marketeurs français du sport, il ne s'agit pas seulement du marketing du spectacle ou expérientiel. C'est de culture dont il s'agit, d'identité. Il s'agit davantage de se relier en profondeur à un territoire, à une histoire, être très fort sur une géographie, ... produire une identité, une expérience que d'autres vont vouloir partager ailleurs en France en Europe ou plus loin.

Une concurrence territoriale pour tout

On ne le répétera jamais assez, le Football, comme les autres sports mondialisés et les autres produits du marché du mainstream des industries du divertissement, est placé dans une concurrence territoriale pour tout : les talents, l'argent, l'audience médiatique, les produits dérivés ... Au delà, la compétitivité sportive ou culturelle engage une partie de celle, générale, du pays de résidence de cette industrie, son attractivité aussi et plus largement encore sa capacité de performance dans la bataille intense que se livrent les pays et les blocs géopolitiques pour le leadership contemporain.

La guerre économique s'accélère et la tentative de valorisation de tous leurs atouts potentiels mobilise les responsables politiques et économiques de tous les pays. Très au delà du symbole pour les uns et de la caricature pour les autres, favoriser ou non l'éclosion d'une ligue professionnelle conquérante du principal sport européen et de l'un des sport les plus populaires au monde est un vrai choix stratégique de nature économique et politique.

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Commentaires 4
à écrit le 16/08/2016 à 15:45
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Vous évoquez l'OM comme club en dépôt vente, mais ce n'est pas la mondialisation ou le montant des droits TV qui l'a fait plonger, ce sont les hommes qui l'ont dirige qui ont été mauvais, ne connasissant rien a l'ecpnomie du football et n'ayant aucun...

à écrit le 13/08/2016 à 18:41
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" Ils " ont réussi à nous dégouter du foot . Le PS-Qatar et ses pétrodollars ne suscite aucun engouement, même au niveau international . L'OL résistait un peu aux investissements capitalistiques , il vient de céder aux fonds chinois . Des équipes de ...

à écrit le 12/08/2016 à 23:59
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"La guerre économique s'accélère "... et la croissance est en panne. Le foot n'échappera pas à la grande curée qui se prépare, parce que le système économique (capitaliste) est devenu incontrôlable, inévitablement sur le déclin. Nous vivons une fuite...

à écrit le 12/08/2016 à 18:13
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Non pas d'argent public dans le sport professionnel, nous perdons trop d'argent dans ces puits sans fond. Il est grand temps de faire une loi de type 1905. Sortir le sport pro de l'état comme on a sorti la religion. C'est aux fédérations de financier...

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