La loi de Gresham

"La mauvaise monnaie chasse la bonne"... Inventé à la Renaissance, ce théorème économique élisabéthain devenu adage se voit réactualisé en plein 21e siècle par la crise de la démonétisation dont l'Inde peine toujours à se remettre. Par Michel Santi, économiste(*).
Michel Santi.

En économie, le mal prend toujours le dessus sur le bien ! C'est le principe de la loi de Gresham, du nom du conseiller financier d'Élisabeth I (1533-1603) au XVIe siècle. A l'époque, en Angleterre et ailleurs, des pièces d'argent étaient en circulation présentant une pureté inégale. Les consommateurs et commerçants d'alors conservaient jalousement celles qui contenaient une proportion supérieure d'argent pour se dessaisir en priorité de celles au titre moins favorable. La Renaissance fut donc marquée par cette loi de Gresham car - au final - seules les pièces de qualité médiocre étaient échangées pour le commerce quotidien tandis que celles offrant un degré de pureté supérieur étaient thésaurisées, destinées au marché noir, voire fondues.

Le mauvais argent l'emportait ainsi sur le bon argent, un peu comme nous qui - aujourd'hui - préférons en priorité payer avec des coupures usagées, déchirées, écornées pour conserver les billets de banque en meilleur état. Exemple typique - et totalement inoffensif cette fois - de la loi de Gresham qui nous fait même trier les billets dans notre porte-monnaie de telle sorte que ceux en mauvais état soient les premiers dépensés !

Quand la circulation du "bon" argent se fige

De nos jours, l'Inde - en pleine démonétisation - subit de plein fouet cette loi de Gresham, elle dont les autorités avaient unilatéralement décidé l'an dernier de retirer de la circulation 24 milliards de billets de 500 et 1.000 roupies (environ 7 et 14 euros) soit, en valeur, 80% du cash en circulation. L'administration indienne peinant à mettre les nouveaux billets en circulation, la pénurie fiduciaire a fait monter la valeur des billets restant en circulation, notamment ceux de 100 roupies largement utilisés par tout le spectre des consommateurs et des commerçants. C'est en effet pas moins d'une trentaine de billets de 100 roupies que l'indien moyen conserve jalousement aujourd'hui dans son porte-monnaie, alors qu'il n'en conservait en moyenne que quatre ou cinq préalablement à la démonétisation. En outre, leur durée de vie aux mains du consommateur est d'environ 15 jours alors qu'elles étaient écoulées en 2 ou 3 jours auparavant.

Ces coupures sont désormais avidement recherchées et ce sont les dépenses par carte de crédit qui se retrouvent largement privilégiées (quand les commerces les acceptent), permettant ainsi de conserver le plus longtemps possible ces précieux billets. La coupure de 100 roupies est donc désormais considérée à travers l'intégralité du sous-continent indien comme du «bon» argent dont la circulation et dont l'échange est quasiment devenu statique au profit des dépenses par carte de crédit et de débit représentant dans ce contexte le «mauvais» argent dont on cherche à se dessaisir le plus rapidement possible.

Fracture sociale et numérique

Conséquence hautement néfaste d'une démonétisation hasardeuse menée en Inde qui pénalise une fois de plus les pauvres qui ne disposent pas plus de carte de crédit que de débit. L'épicier, le coiffeur et le petit commerce du coin ont donc subi un effondrement violent de leur chiffre d'affaires du fait de la raréfaction de ces billets de banque et du fait de consommateurs n'ayant pas la chance ni les moyens de pouvoir régler par carte. L'Etat a certes mis en place des distributeurs de billets, qui dispensent néanmoins en grande majorité des coupures de 2.000 Roupies - certes très prisées par le crime organisé et par les fraudeurs - mais qui s'avèrent totalement inutiles au citoyen cherchant simplement à vivre et à commercer.

Dans une conjoncture où les échanges en cash constituaient près de la moitié du PIB et plus du trois quart des emplois en Inde préalablement à la démonétisation, la loi de Gresham y a désormais pour conséquence une augmentation dramatique de la précarité et de la misère.

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(*) Michel Santi est macro économiste, spécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme", "Capitalism without conscience", "L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique", "Misère et opulence". Son dernier ouvrage : «Pour un capitalisme entre adultes consentants», préface de Philippe Bilger.

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Commentaires 2
à écrit le 23/10/2017 à 16:57
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La loi en question est attribuée à Gresham par erreur constante. Elle est en fait connue depuis l'Antiquité (on la trouve dans le théâtre d'Aristophane...). On a toujours compris que lorsque que l'on a deux moyens de paiements en disposition, il fau...

à écrit le 23/10/2017 à 15:14
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Le mauvais argent étant celui de l'économie financière, celui de la rente au détriment du travail, celui de la compromission au détriment de l’honnêteté, celui de l'incompétence au détriment de l'indépendance et du professionnalisme, le bon argent ét...

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