La monnaie mondiale, une fausse bonne idée

Une monnaie mondiale n'aurait a priori que des avantages: fin des problèmes de change, des guerres monétaires. En réalité, elle n'est pas possible, ni même souhaitable, compte tenu du lien entres banques centrales et institutions politiques. Par Larry Hatheway, économiste en chef de GAM Holding, et Alexander Friedman, directeur de GAM Holding.
La Réserve fédérale, à Washington

Le monde d'aujourd'hui n'a jamais aussi intégré sur les plans économique et financier depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Pourtant, et de manière anachronique, l'élaboration des politiques - notamment par les banques centrales - demeure nationale et paroissiale. N'est-il pas temps de repenser le (non-)système monétaire mondial ? En particulier, est-ce qu'une banque centrale mondiale unique et une monnaie mondiale n'auraient pas plus de sens que notre assemblage déroutant, inefficace et démodé de politiques et devises nationales ?

 Une monnaie mondiale technologiquement possible

La technologie a dorénavant atteint un niveau de développement qui rend certainement possible la création d'une monnaie numérique commune, grâce à l'adoption quasi universelle de la téléphonie mobile. Et, aussi lointaine que la perspective d'une monnaie mondiale puisse sembler, rappelez-vous que, avant la Première Guerre mondiale, un abandon de l'étalon-or semblait tout aussi improbable.

Le système actuel est à la fois risqué et inefficace. Les différentes devises ne sont pas seulement une nuisance pour les touristes qui rentrent à la maison les poches pleines de pièces de monnaie étrangères inutilisables. Les entreprises mondiales perdent du temps et des ressources en efforts largement futiles pour couvrir le risque de change (qui ne bénéficient qu'aux banques servant d'intermédiaires).

Les immenses avantages d'une monnaie mondiale...

Les avantages liés à l'élimination des monnaies nationales dans le monde entier seraient immenses. D'un seul coup, le risque de guerre des devises, ainsi que les dommages que ces dernières peuvent infliger à l'économie mondiale, seraient éliminés. La fixation des prix ​​serait plus transparente, permettant aux consommateurs de déceler des anomalies (à partir de leurs téléphones) et de saisir les meilleures offres. De plus, en éliminant les opérations de change et les coûts de couverture, une monnaie unique permettrait de revigorer le commerce mondial en panne et améliorerait l'efficacité de l'allocation des capitaux mondiaux.

En bref, l'état actuel des choses est le sous-produit de l'ère désuète de l'État-nation. La mondialisation a rétréci les dimensions de l'économie mondiale, et l'heure d'une banque centrale mondiale est arrivée.

 ... mais contrebalancés par une impossibilité structurelle

Vous pouvez toujours rêver. Une monnaie mondiale unique n'est en fait ni probable ni souhaitable.

Les banques centrales, bien que idéalement indépendantes de toute influence politique, doivent néanmoins rendre des comptes au corps politique. Elles doivent leur légitimité au processus politique qui les a créées, qui est basé sur la volonté des citoyens que les banques centrales doivent servir (et dont elles tirent leur autorité).

L'histoire des banques centrales, bien que relativement brève, suggère que la légitimité issue de la démocratie n'est possible qu'au niveau de l'État-nation. Au niveau supranational, la légitimité reste très discutable, comme l'expérience de la zone euro le démontre amplement. Ce n'est que si la souveraineté de l'Union européenne éclipse, par choix démocratique, celle des Etats-nations qui la composent que la Banque centrale européenne obtiendra la légitimité dont elle a besoin pour rester la seule autorité monétaire de la zone euro.

Une légitimité politique inimaginable pour toute autorité mondiale

Or, la même légitimité politique est inimaginable pour toute autorité monétaire transatlantique ou trans-Pacifique, et encore moins pour une autorité mondiale. Des traités entre pays peuvent harmoniser les règles régissant le commerce et d'autres domaines. Mais ils ne peuvent pas transférer la souveraineté d'une institution aussi puissante qu'une banque centrale ou un symbole aussi fort que le papier-monnaie.

Plus les enjeux sont élevés, plus la légitimité des banques centrales est importante. Les décisions quotidiennes de politique monétaire sont, pour employer un euphémisme, peu susceptibles d'exciter les passions des masses. On ne peut pas en dire autant de la nécessité moins fréquente (on l'espère) pour l'autorité monétaire d'agir en tant que prêteur en dernier ressort au profit des banques commerciales et même des Etats. Comme nous l'avons vu au cours des dernières années, de telles interventions peuvent faire la différence entre le chaos et l'effondrement financier, d'une part, et une simple réduction des dépenses et récession, d'autre part. Or, seules les banques centrales, avec leur capacité à créer librement leurs propres passifs, peuvent jouer ce rôle.

La légitimité est la monnaie des banques centrales

Pourtant, les décisions difficiles que les banques centrales doivent prendre dans de telles circonstances - empêcher des paniques déstabilisantes tout en évitant d'encourager l'aléa moral - sont simultanément technocratiques et politiques. En premier lieu, la légitimité de leurs décisions est enracinée dans la loi, qui est elle-même l'expression de la volonté démocratique. Renflouer une banque et pas une autre? Achetez de la dette souveraine mais pas celle d'états ou du Commonwealth (par exemple, la dette portoricaine)? Bien que décider de telles questions à un niveau supranational ne soit théoriquement pas impossible, ce serait tout à fait impraticable dans l'ère moderne. La légitimité, et non la technologie, est la monnaie des banques centrales.

Renforcer les institutions multilatérales mondiales

Cependant, le fait qu'une banque centrale mondiale et une monnaie unique échoueraient spectaculairement (indépendamment de la force de l'argument économique en leur faveur) ne dispense pas les décideurs de leur responsabilité face aux défis posés par un système monétaire mondial fragmenté. Et cela implique le renforcement des institutions multilatérales mondiales.

Le rôle du Fonds monétaire international comme arbitre indépendant d'une politique macroéconomique saine et empêchant les dévaluations concurrentielles des monnaies doit être renforcé. Les ministres des Finances et les banquiers centraux des grandes économies doivent souligner, dans un protocole commun, leur engagement envers des taux de change déterminés par le marché. Et, comme Raghuram Rajan, le gouverneur de la Reserve Bank of India, a récemment suggéré, le FMI devrait fournir un filet de sécurité aux économies émergentes qui pourraient faire face à des crises de liquidité en raison de la normalisation de la politique monétaire américaine.

Améliorer les outils actuels

De même, un monde plus globalisé nécessite un engagement de tous les acteurs pour améliorer les infrastructures, afin d'assurer la circulation efficace des ressources dans l'économie mondiale. À cette fin, la base de capital de la Banque mondiale à travers sa Banque internationale pour la reconstruction et le développement devrait être augmentée à la hauteur des 253 milliards de dollars demandés, afin d'aider à financer les investissements des économies émergentes dans les routes, les aéroports et bien d'autres choses.

Un soutien multilatéral aux investissements d'infrastructure n'est pas la seule façon de relancer le commerce mondial au sein du système monétaire actuel. Comme cela a été amplement démontré au cours des sept dernières décennies, la réduction des tarifs et des barrières non tarifaires aiderait également - surtout dans l'agriculture et les services, tel que prévu par le Cycle de Doha.

La stabilité financière mondiale, elle aussi, peut être renforcée dans le cadre existant. La seule chose qui est nécessaire est l'adoption de règles de réglementation et de supervision harmonisées, transparentes et faciles à comprendre.

Pour le système monétaire international actuel, le mieux - une banque centrale et une monnaie uniques inaccessibles - ne devrait pas être l'ennemi du bien. En travailler selon nos moyens existants, il est certainement possible d'améliorer nos outils de politique et de stimuler la croissance et la prospérité mondiales.

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Traduit de l'anglais par Timothée Demont

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LES AUTEURS :

Larry Hatheway est économiste en chef de GAM Holding. Alexander Friedman est directeur de GAM Holding.

© Project Syndicate 1995-2015

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