La renaissance de la filière nucléaire française

Fin de partie pour le nucléaire français? Les déboires de l'EPR peuvent le laisser penser. En réalité, le nucléaire se développe dans le monde, et la filière française a un rôle jouer dans cette relance d'une énergie décarbonnée. Par Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po

A l'heure où la filière nucléaire française connaît une crise majeure, et alors que le conseil d'administration d'EDF s'apprête à approuver la construction de deux EPR au Royaume-Uni, il convient de mettre en perspective la question de l'énergie nucléaire en Europe, et les perspectives d'avenir de notre filière. Certes, l'accident industriel de Fukushima en mars 2011 a marqué un coup d'arrêt à de nombreux projets nucléaires dans les pays développés. Cependant, il serait inexact de prétendre que l'industrie nucléaire n'est pas dans une phase d'expansion, et ce pour une raison simple : le nucléaire permet d'assurer la vente, sur le long terme, d'une énergie décarbonée à un prix fixe, tout en sécurisant les approvisionnements.

 Un potentiel de construction important

Le potentiel de construction de centrales nucléaires dans le monde est estimé à 360 GW d'ici 2030. Cette croissance exponentielle du nucléaire résulte à plusieurs facteurs : la croissance de la demande mondiale d'énergie ; la lutte contre le changement climatique qui favorise l'électricité décarbonnée ; la volatilité du prix des combustibles fossiles et les externalités qu'ils provoquent, alors que le nucléaire offre une assurance sur les coûts de production à long terme. Certes, les projets nucléaires sont très disparates. Si l'Europe et les Etats-Unis restent les marchés "matures", le potentiel de croissance est très élevé dans les pays émergents. Parmi ces derniers, on peut considérer que les pays déjà équipés, à l'instar de la Chine, l'Inde ou l'Afrique du Sud, développeront leur parc de centrales nucléaires. De plus, toute une génération de pays émergents arrive sur le marché des pays primo-accédants, parmi lesquels le Vietnam, le Bangladesh, la Malaisie, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, ou bien encore l'Iran qui pourra, aux termes de l'accord sur le nucléaire de juillet 2015, se doter d'une industrie civile.

 Un rôle pour la filière française

De la sorte, contrairement à une idée répandue en France, l'industrie nucléaire civile est en pleine expansion dans le monde. Et la filière nucléaire française, malgré ses difficultés actuelles, joue un rôle international de premier plan. Après les EPR en cours de construction à Taishan (Chine) et à Olkiluoto (Finlande), EDF a signé, en janvier 2016, un protocole d'accord avec l'électricien national indien (Nuclear Power Corp of India) portant sur la construction de six réacteurs nucléaires à Jaitapur, dans l'Ouest de l'Inde. Le projet de construction de deux EPR au Royaume-Uni, à Hinkley Point, s'inscrit dans le cadre de cette grande compétition mondiale. Ce contrat britannique, qui marque la relance de l'énergie nucléaire dans un pays européen, permet une remise en ordre de la filière française à l'exportation et une consolidation de cette filière à l'exportation. D'une certaine manière, avec la sortie du nucléaire de l'Allemagne et l'Italie après l'accident de Fukushima, EDF apparaît comme un acteur incontournable.

 Quatre facteurs

Dans ce cadre, quatre facteurs viennent fixer la toile de fond de la refonte de la filière nucléaire française : l'impératif climatique qui implique de développer les énergies décarbonnées ; la nécessité de disposer de capitaux pour conduire le financement de ces lourdes opérations industrielles à l'exportation (25 milliards d'euros pour Hinkley Point, ce qui a conduit à faire appel à des financements chinois) ; le développement des projets nucléaires en Europe de l'Est et dans les pays émergents ; la cristallisation des opérateurs nucléaires mondiaux autour des trois filières française, russe et chinoise.

 Le coût des projets, ainsi que la concurrence des nouveaux entrants, à l'instar de l'électricien sud-coréen KEPCO qui a emporté, en 2008, le contrat nucléaire aux Emirats arabes unis, doit nous inciter à développer nos relations avec les grands partenaires, tout en ayant une vision de long terme, ce qui implique de garantir la formation de nos ingénieurs et de réfléchir à la construction de nouveaux EPR en France à l'heure où le parc actuel connaitra prochainement un renouvellement substantiel. La réalisation du projet d'Hinckley Point, malgré toutes les difficultés qu'il présente, est stratégique pour la compétitivité de la filière nucléaire française à l'international.

Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du conseil scientifique de la Fondapol et auteur de "Les pays émergents, approche géo-économique" (Armand Colin, 2014)

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Commentaires 3
à écrit le 08/03/2017 à 15:22
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Marrant cet article rétrospectivement. Les Chinois et les Russes, les 2 derniers acteurs encore solvable financièrement du secteur le sont seulement du fait que les états respectifs ne compte pas leur subventions au secteur. Grâce aux pétrodollars po...

à écrit le 08/03/2017 à 14:07
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En lisant cet article, le bras m'en tombent ... L'auteure démontre, en apportant l'argument de l'urgence climatique pour soutenir le nucléaire, qu'elle n'a rien compris aux enjeux liés au développement durable (cf. le rapport Brundtland par exemple)....

à écrit le 21/04/2016 à 15:13
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Il est important que notre filière nucléaire exploite ses acquis en déployant une meilleure stratégie commerciale. Actuellement notre expérience nucléaire française est trop peu exploitée à l'international par notre incapacité à concrétiser certains ...

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