La révolution (de la régulation) télécom à nos portes

La commission de Bruxelles est prête à de vrais changements. Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, ULB

C'est en septembre que la Commission rendra publique sa réforme de la régulation télécom pour rattraper son retard. Des fuites permettent déjà de s'en faire une idée.

Première nouveauté : un accès facilité pour les concurrents aux parties de réseaux qu'on ne pourra jamais dupliquer. La Commission songe au câblage dans les buildings, parfois aux mains d'un opérateur ou coincé dans une infrastructure tierce. En milieu rural où jamais un réseau concurrent ne verra le jour, des parties du réseau de l'opérateur en place, dominant ou pas, pourraient être obligatoirement partagés. Le réseau cuivre resterait aussi fortement régulé (avec un prix pour son utilisation orienté sur les coûts). Si des accords commerciaux pour louer le réseau cuivre existent, la commission serait prête à lever cette régulation sévère.

Ces mesures sont une réponse, dit la Commission, aux plaintes des régulateurs qui ne peuvent traiter les cas complexes d'oligopoles sans un acteur qui domine les autres. On essaierait aussi d'harmoniser techniquement comment un opérateur se connecte au réseau d'un autre opérateur, pour éviter les discussions techniques sans fin quand un opérateur A veut utiliser le réseau d'un opérateur B. Mais ce n'est pas un big bang : la régulation télécom restera basée sur le droit de la concurrence, à savoir trouevr le « coupable », un acteur dominant qu'il faut réguler.

Promotion des réseaux à haute performance

Ces réseaux, à haute vitesse , à grande résilience (jamais d'interruption) et à faible latence permettront à des applications ultra-critiques de voir le jour. Pour inciter l'investissement dans de tels réseaux, la Commission propose de ne les réguler, quand ils existeront, qu'en cas d'impact (négatif) sur l'utilisateur final. Pour ces réseaux, la Commission aimerait favoriser des accords commerciaux entre opérateurs et si conflit il y a, les régler dans une procédure à l'amiable. En tout cas, les réseaux à haute performance seraient partiellement non régulés pendant la période nécessaire pour récupérer l'investissement. Mieux, il n'y aurait pas d'obligation de donner l'accès à des tiers au réseau de l'opérateur dominant si il a été déployé suivant un modèle qui aura laissé la possibilité aux petits acteurs de co-investir. La commission veut protéger les initiatives locales dans des zones peu intéressantes commercialement, pour déployer des réseaux à haute performance. Trop souvent, ces initiatives sont tuées dans l'œuf par les mesures de rétorsion de l'opérateur historique qui investira alors aussi. Ce sera au régulateur de contrôler que l'opérateur historique ne jour pas ainsi au chat et à la souris.

 Dans ces zones, les clients n'auront au final qu'un seul choix, l'opérateur qui y aura investi. La Commission encouragera ces opérateurs à se muer en fournisseur d'accès en gros à des opérateurs de vente au détail : un seul réseau certes mais différents acteurs qui opèrent dessus. Comment ? Via moins de régulation pour les opérateurs qui auront spin-offés volontairement leur réseau dans une structure wholesale qui est prête à se vendre à tous. Un nouvel entrant pourrait se trouver très bien à louer à l'opérateur historique son réseau cuivre d'antan alors que celui-ci aimerait bien en finir. Le régulateur pourra lever, dans ces conditions, l'obligation pour l'opérateur historique de louer son réseau cuivre. Bref, mieux vaut investir pour être moins régulé.

Spectre

La commission revient à la charge avec ses propositions d'harmoniser les procédures d'attributions du spectre (et éviter la cacophonie entre pays pour la mise aux enchères de son spectre : la France ayant ouvert le bal pour le 700 MHz). Cela a toujours rendu les Etats membres très nerveux que la Commission se mêle de leur spectre.

Pour la 5G, la commission proposera l'usage d'autorisations générales (notamment pour l'internet des objets) plutôt que de licences individuelles à usage exclusif. C'est en soi une petite révolution. Les bandes envisagées pour les autorisations générales sont hautes et peu encombrées, il est vrai.

La commission aimerait avoir le pouvoir d'adopter des lignes directrices pour les procédures d'attribution (calendrier, renouvellement, durées ....) ainsi que la quantité maximum de spectre par operateur, les obligations de couverture de roaming,... On voit mal ces sujets qui ont fait l'actualité en France des mois durant avec Free passer au niveau européen.

C'est le RSPG, organe constitué d'experts mandatés par les Etat membres pour conseiller la Commission en matière de spectre, qui recevrait la tâche de mener les travaux d'harmonisation technique pour permettre à la Commission de prendre de telles décisions.

Service Universel

Le secteur pense qu'il faut un service universel non pas qui propose un accès minimal à Internet mais un accès à des services de base qui font internet. Pour le secteur (et la commission semble être d'accord) le déploiement d'un réseau large bande pour tous, même à des vitesses minimales ne doit pas être garanti par le service universel mais par les aides d'Etat. Au-dessus, viendrait le service universel qui proposerait une série de services indispensables auquel on a droit pour ne pas être exclus socialement. Les Etats membres pourront toujours imposer le service universel « classique » dans les zones pas desservies en accès.

Services

Les obligations que supportent les opérateurs doivent-elles s'appliquer aux OTT (protection du consommateur ou de politique générale ou pour maintenir une concurrence à armes égales). Faut-il une protection du consommateur spécifique aux télécoms ou bien généraliste (ce que souhaitent les opérateurs). La tâche ne sera pas simple pour la commission entre le Parlement Européen lobbyé par les associations de consommateurs qui veut continuer la lourde protection spécifique au secteur et les états membres qui ne voudront pas étendre une telle régulation aux OTT.

La commission se risque à proposer comme définition d'un service « télécom », OTT ou non, comme une communication interpersonnelle, à savoir un service qui permet une communication interactive entre deux ou plusieurs personnes y compris des entités qui se substituent aux personnes (on songe aux chat bots) peu importe la technologie utilisée. C'est l'appelant qui doit initier la communication et vers qui. L'idée d'interaction signifie qu'on peut répondre. Donc le broadcasting ou twitter,...sont exclus parce que unidirectionnels mais Facetime et Gmail tombent dedans. La commission veut harmoniser au maximum la protection du consommateur à travers les Etats membres. Moins de liberté serait donnée aux Etats-membres  car, dit-elle, si on cherche à déréguler et assouplir la cadre, ce n'est pas pour que les États membres rerégulent involontairement par des législations consommateurs domestiques plus sévères (comme les 6 mois de contrat maximum en Belgique). Enfin, dit la Commission, une large entreprise ne doit pas être protégée de la même manière qu'un client au détail.

Par contre, dans le cas des packs, la protection du consommateur pourrait être renforcée. On sait bien qu'ils rendent plus difficile de changer de fournisseur.

La portabilité des numéros et l'interopérabilité sont des obligations uniquement pour les acteurs télécom traditionnels. Ils sont censés ne pas bloquer un client avec un opérateur mais les risques de lock in des OTT et leurs services de plus en plus sophistiqués rendent bien plus difficile de changer d'OTT . Sans en citer le nom, la Commission évoque la portabilité des services : on changerait d'opérateurs ou d'OTT s'en même se rendre compte du changement car tout serait comme avant (historique des mails, contacts). Attention, dit la Commission : la portabilité et interopérabilité peuvent impacter les coûts des start ups innovantes qui aimeraient sans doute d'abord lancer leur service plutôt que de s'assurer qu'ils peuvent parler aux autres.

La sécurité est un autre domaine où il n'y pas de level playing field : les clients des OTT sont moins bien protégés que les opérateurs télécom à qui on impose la confidentialité et l'intégrité des communications depuis des lustres.

M2M

La dernière nouveauté vient de la possibilité que pourraient avoir les sociétés de se voir attribuer des numéros sans être opérateur ! Ce sont les sociétés actives dans le machine to machine qui préfigure l'internet des objets. Les numéros attribués à ces machines pour pouvoir les contacter et les commander ne seront pas soumis à toutes les obligations des numéros de téléphone habituels. Les attribuer en direct à la société lui permettrait de l'utiliser en dehors de son pays d'origine, un manière très fine de pousser l'utilisation extraterritoriale des numéros, un autre tabou.

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