La révolution numérique doit rester au service de l'humain

Par Alexis Collomb, responsable du département Economie finance assurance banque (EFAB) du Cnam et co-fondateur du Scichain Lab (1)

La révolution numérique, qui est en marche depuis l'émergence de l'Internet et des nouvelles technologies de l'information et de la communication essentiellement, semble être aujourd'hui en pleine accélération... S'il est déjà difficile pour nombre d'entre nous d'imaginer se passer de notre smartphone et de ses dizaines d'applications au quotidien, on nous promet pour demain voitures autonomes, objets connectés, des capteurs et des robots à tous les coins de nos rues ou de nos salons. Certains cercles transhumanistes nous vantent même les avantages de devenir des hommes et des femmes « augmentés »... L'homo sapiens risque de devenir sous peu un « homo numericus », pour ne pas dire un

cyborg mi-homme mi-machine... Dernier exemple de la révolution numérique en marche : la floraison de crypto-monnaies et de blockchains qui s'attaquent au droit régalien de création de la monnaie et aux grandes plateformes centralisées du Web, et qui aspirent à bouleverser nos institutions comme nos modes de gouvernance. Bref, alors que le caractère humain semble invariant depuis Homère, la révolution numérique, elle, va vite, de plus en plus vite...

De nombreux enjeux

Les enjeux du numérique pour notre pays sont aussi immenses que nombreux, mais je me bornerai à en énumérer trois.

Tout d'abord, il y a un enjeu économique et géopolitique très fort : si les grands de l'Internet d'hier, les GAFA, sont tous américains, les licornes d'aujourd'hui - ces startups qui dépassent le milliard de dollars de valorisation - sont aussi chinoises ou indiennes, un peu plus rarement européennes (surtout post-Brexit) et encore moins françaises, à quelques exceptions près (certes remarquables comme par exemple BlaBlaCar ou Vente-Privée). Et à ceux qui s'inquiètent pour notre souveraineté numérique, et la compétition globale à laquelle nous avons à faire face, il est indispensable de comprendre qu'on ne fera rien de fort sans l'Europe en travaillant avec nos partenaires de toutes tailles comme l'Allemagne ou l'Estonie (cette « startup nation »).

Ensuite, il faut saisir que la transformation numérique n'est ni comprise, ni souhaitée par tous - surtout dans certains territoires encore mal équipés en très haut débit - et qu'elle représente un enjeu sociétal majeur. Mal négociées, ses transitions risquent d'être des sources de conflits sociaux paralysants, surtout lorsqu'elle fait voler en éclats des rentes ou des monopoles (et notre pays n'en est pas dépourvu). Regardez ce qui s'est passé avec l'introduction d'Uber... Que se passera-t-il lorsque les voitures autonomes commenceront à peupler nos routes ? Des études récentes suggèrent que quasiment la moitié des métiers pourraient être numérisés et robotisés d'ici

2030 avec le développement de l'intelligence artificielle et du big data(2). Pire, ces risques d'automatisation ne concernent plus seulement les tâches routinières. Certes, si vous êtes un optimiste, vous pourrez avancer que cette révolution devrait, comme les révolutions industrielles avant elle, nous permettre de nous affranchir des tâches les plus ingrates pour nous donner une meilleure maîtrise de nos agendas et nous laisser nous focaliser sur les exercices où la créativité humaine reste encore inégalée. Mais iriez-vous maintenant expliquer à quelqu'un que ses compétences, souvent durement acquises, sont devenues caduques, si vous n'avez pas de nouveaux horizons à lui proposer ?

Et précisément, face à la transformation attendue de nombreux métiers, se situe un formidable défi éducatif et de formation continue à relever. L'enseignement, initial ou tout au long de la vie, public ou privé, doit s'adapter à cette nouvelle réalité. Et alors que nos écoles, lycées et universités font aujourd'hui face à Coursera, Khan Academy et tout un secteur EdTech de plus en plus agile et compétitif, c'est même pour certains établissements une question de survie. Ainsi, au Conservatoire National des arts et métiers (CNAM) l'un des spécialistes français de la formation continue - de gros efforts ont été déployés ces dernières années pour prendre le « tournant numérique » en devenant par exemple l'un des leaders de France Université Numérique (FUN).

En somme, la transformation numérique est un outil à double tranchant extrêmement puissant : bien utilisée, elle devrait par exemple nous permettre de continuer à réformer l'État, à simplifier et fiabiliser nos processus administratifs, à réduire nos déficits budgétaires, et à améliorer notre productivité ; mal maîtrisée, elle pourrait devenir une source de nouvelles fractures sociales et de dérives éthiques.

Pour une réussite sociétale

C'est la conviction profonde de l'auteur que la révolution technologique que nous sommes en train de vivre, un moment unique de notre Histoire, a déjà commencé à transformer nos vies pour le meilleur et pas pour le pire - c'est même clairement évident si l'on songe à certaines dimensions de nos vies - et que cela devrait continuer. Mais ce souffle transformationnel puissant ne sera une vraie réussite sociétale que si nous sommes capables de montrer à tous nos concitoyens quels avantages ils peuvent en tirer, en expliquant ces mutations et en offrant à chacun les moyens de les anticiper et de se les approprier.

Au fond, on finit toujours par retomber sur la sagesse des anciens : jamais le bon vieil adage rabelaisien et humaniste, « science sans conscience n'est que ruine de l'âme », n'a été autant d'actualité. La conscience, l'une des dernières frontières de l'intelligence artificielle, est ce qui distingue encore l'homme de la machine. Et l'âme, ce qu'il ne faut jamais perdre...

(1) Focalisé sur les crypto-monnaies et les blockchains, et affilié à mines Paritech et son Institut des hautes études pour l'innovation et l'entrpreneuriat (IHEIE)

(2) On pourra consulter l'étude de Frey et Osborne de 2013, The Future of Employment : How Susceptible Are Jobs to Computerisation ?

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En savoir plus sur le Printemps de l'économie : www.printempsdeleco.fr

Pour cette Ve édition du Printemps de l'économie, La Tribune animera une conférence le 22 mars sur « l'enjeu du numérique pour l'avenir de la France » au CNAM, partenaire fondateur de l'événement.

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Commentaires 3
à écrit le 26/03/2017 à 9:34
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d'où l'importance de s'approprier le sujet ! Go ! https://websdugevaudan.wordpress.com/2017/03/26/sante-et-education-lurgence-dun-debat-public/

à écrit le 18/03/2017 à 20:14
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Je conseille d'ailleurs à chacun de prendre des cours du soir au CNAM. C'est une machine à divorce, mais ça vaut le coup (pas le divorce, l'autre). Très respectable Monsieur Collomb. La finance, vous classez ça dans l'Art, ou dans les Métiers..?? Pou...

le 08/06/2017 à 10:45
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très intelligent

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