Le délitement de Toshiba, enjeu stratégique entre Tokyo, Washington et Pékin

Washington et Pékin veulent éviter que éviter que la Chine saisisse l'occasion de la vente de pans entiers de Toshiba pour faire avancer ses priorités stratégiques. Par Jean-François Dufour, responsable du China Control Panel, Montsalvy Consulting

Pour faire face à ses difficultés financières, le conglomérat japonais Toshiba a engagé, à la fois, la faillite de sa filiale nucléaire Westinghouse, et la vente de son activité de production de puces mémoires. Ces deux énormes opérations sont suivies attentivement à Tokyo, mais aussi à Washington. Avec un souci : éviter que la Chine saisisse cette opportunité de se développer dans deux secteurs qui font partie de ses priorités stratégiques.

Toshiba a engagé le 28 mars la procédure visant à mettre sa filiale Westinghouse sous la protection de loi américaine sur les faillites, deux jours avant la date limite fixée pour les offres de rachat de sa branche de production de puces mémoires.

Les deux opérations, malgré leur nature différente, présentent un point commun : l'attention apportée par les autorités japonaises - et derrière elles les autorités américaines, dont les émissaires ont évoqué le dossier avec leurs homologues à la mi-mars - à ce que ces deux activités stratégiques ne fassent pas l'objet d'offres de reprise susceptibles de les faire passer entre des mains chinoises.

Nucléaire : discussions sur invitation

Toshiba a ainsi discuté, sans succès, avec l'électricien coréen Kepco (Korea Electric Power Corp.) d'une éventuelle acquisition de Westinghouse, avant de prendre la décision de faillite qui mettra temporairement le groupe à l'abri.

Avec un message implicite des autorités japonaises : les autres repreneurs potentiels évidents - à savoir CNNC (China National Nuclear Corp), CGN (China General Nuclear) ou SPIC (State Power Investment Corp), les opérateurs chinois dans l'énergie nucléaire, tous trois engagés dans d'importants programmes basés sur le réacteur AP1000 de Westinghouse - n'étaient pas invités à la table des négociations.

Semi-conducteurs : avertissement dissuasif

L'activité semi-conducteurs de Toshiba qui doit être cédée, a pour sa part fait l'objet d'un message plus explicite du gouvernement japonais. Celui-ci a en effet averti courant mars que les offres seraient examinées en tenant compte des implications de sécurité nationale. Le message était clair pour les groupes chinois qui se mettraient sur les rangs, et même pour ceux qui leur sont jugés trop proches : le taiwanais HonHai, qui réalise l'essentiel de son activité (notamment la sous-traitance pour l'américain Apple) en Chine, a ainsi manifestement été dissuadé après avoir manifesté son intérêt.

Nucléaire : ambitions chinoises à l'export

L'attention accordée aux deux dossiers s'explique par les ambitions non cachées de la Chine dans les deux domaines concernés, et leurs implications stratégiques. Sur le dossier nucléaire, la Chine n'est plus seulement le premier marché mondial - pour l'AP1000 de Westinghouse et de manière générale. Elle est également un acteur qui a dévoilé ses ambitions à l'export.

De l'Argentine au Kenya, en passant par le Royaume Uni, la société commune créée par CNNC et CGN en 2015 pour promouvoir l'exportation de réacteurs de conception nationale, déploie une forte activité. L'acquisition de technologies de Westinghouse accroitrait sa crédibilité, et la perspective de voir s'inverser le rapport fournisseur - client aujourd'hui à l'avantage des Etats-Unis et du Japon dans le nucléaire.

Puces mémoires : ambitions de substitution aux importations

Sur le dossier des puces mémoires, ce sont les objectifs de substitution aux importations de Pékin qui inquiètent les Etats-Unis et le Japon.

Alors que la Chine importe près de 90% des semi-conducteurs utilisés par son énorme industrie électronique (qui en consomme près de la moitié de la production mondiale), réduire cette dépendance est un objectif prioritaire des autorités chinoises, qui s'est vu assigner d'énormes moyens financiers.

Dans ce contexte, l'acquisition de la branche dédiée aux mémoires flash de Toshiba, neuvième producteur mondial de semi-conducteurs, mais numéro deux sur ce créneau spécifique, constituerait un apport majeur pour l'industrie électronique chinoise. Avec la perspective, là aussi, d'une accélération de la transformation d'un rapport commercial à l'avantage des groupes américains et japonais face à la Chine. Les déboires financiers de Toshiba ne constituent pas seulement un dossier financier hors normes. Ils se trouvent au cœur de l'évolution des relations économiques stratégiques entre la Chine, le Japon et les Etats-Unis.

Jean-François Dufour, responsable du China Control Panel, Montsalvy Consulting

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Commentaire 1
à écrit le 10/04/2017 à 16:10
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À force de mettre du privé partout on ne contrôle plus rien. Merci pour cet article très intéressant, Toshiba conçoit, a conçu en tout cas étant donné que dans le domaine industriel nous payons toujours plus cher des produits de plus en plus mauv...

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