Le véritable problème allemand

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, l'Allemagne a peu réformé, notamment en faveur de l'éducation. Sa croissance par habitant est structurellement poussive. Par Federico Fubini, chroniqueur financier

Si l'Italie peut apparaître aujourd'hui comme « l'homme malade de l'Europe », elle n'est pas le seul pays qui ait besoin d'un traitement. Bien au contraire. La puissante Allemagne semble avoir attrapé froid.

L'Italie est, il est vrai, en bien mauvaise posture. Au cours des vingt dernières années, la croissance annuelle du PIB n'y a été en moyenne que de 0,46% et la dette publique a régulièrement augmenté, pour atteindre 130% du PIB. Le chômage est demeuré très élevé, l'investissement s'effondre et le secteur bancaire connaît de graves problèmes.

Autre source d'inquiétude, le nombre de femmes en âge d'avoir un enfant a baissé de presque deux millions depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Et la part des travailleurs actifs ayant reçu un enseignement universitaire stagne à des niveaux à peine comparables à ceux des autres économies avancées.

 Une faible croissance par habitant

 Pour toutes ces raisons, il n'est guère étonnant que l'Italie et la Grèce, rongées par la crise, aient enregistré au cours des trois dernières années les moins bonnes performances de la zone euro en matière de PIB par habitant. Plus surprenante est la place de l'Allemagne à l'antépénultième rang de ce classement. L'Allemagne est pourtant budgétairement saine, et elle dispose d'un excédent d'épargne important. Elle est aussi très compétitive en termes de coût unitaire du travail ; les taux d'activité y sont au plus haut et elle profite d'un apport régulier de main-d'œuvre qualifiée venue des autres pays d'Europe.

En dépit de tout cela, la croissance moyenne annuelle du PIB par habitant est en l'Allemagne de 0,51% depuis 2014, ce qui la place loin derrière les autres pays du noyau de la zone euro - en l'occurrence l'Autriche, la Belgique, la Finlande et les Pays-Bas. Même la France, où la croissance par habitant dépasse à peine celle de l'Italie, fait légèrement mieux que l'Allemagne.

Pas plus de production potentielle avec les immigrés

Comment est-il possible que des économies aussi différentes que l'Allemagne et l'Italie enregistrent des performances de croissance par habitant quasi semblables ? Jusqu'à un certain point, l'explication pourrait sembler élémentaire. L'Allemagne est bien plus proche de sa croissance potentielle que ne l'est l'Italie, voire que ne le sont les États-Unis, qui ont eu plus de difficultés à sortir de la crise après 2008. Mais la reprise plus récente des autres pays avancés devrait pourtant dynamiser cette croissance potentielle d'une économie tirée, rappelons-le, par les exportations.

De même, l'afflux migratoire pourrait avoir des conséquences sur la croissance du PIB par habitant. L'Allemagne a accueilli 2,7 millions de nouveaux résidents, nets des flux sortants, au cours des cinq dernières années, dont près d'un million de réfugiés. Ces derniers amènent à l'évidence une accélération keynésienne, mais n'ajoutent guère à la production potentielle.

Ces arrivées de migrants en Allemagne ne sont pourtant pas exceptionnelles. Le pays a connu à d'autres périodes au cours des trente dernières années des flux nets entrants d'une importance similaire, sans effet négatif sur la croissance du PIB par habitant. Au contraire, dans de nombreux cas, les migrants accueillis en Allemagne, notamment lorsqu'ils sont jeunes et qualifiés, ont renforcé la production potentielle.

Les banques allemandes ne financent plus le reste de l'Europe

La véritable cause de la faible croissance du PIB par habitant en Allemagne doit être recherchée ailleurs. Selon la Banque des règlements internationaux, les créances des banques allemandes sur les autres pays de la zone euro - dont l'Autriche, la France, l'Irlande, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne - ont baissé de plus de 200 milliards de dollars, au total, depuis l'acmé de la crise de la dette, à la mi-2012. Les créances sur l'Italie sont revenues aux niveaux d'avant l'euro, et sur l'Espagne, elles s'en approchent. L'Allemagne s'est même désinvestie des pays du noyau de la zone euro.

Ce tranquille mouvement de dissociation des banques allemandes tranche nettement avec le comportement de leurs consœurs qui ont leur siège en France, en Italie, en Espagne ou aux Pays-Bas et ont toutes renoué avec l'intégration financière européenne, en stabilisant voire en renforçant leurs positions dans les autres pays. Ces tendances divergentes expliquent en partie, plus qu'une fuite générale des capitaux, les déséquilibres croissants du système de paiement Target 2 de la zone euro.

Pourquoi les banques allemandes sont-elles les seules à revenir sur l'intégration ? On peut y voir la marque du scepticisme des autorités financières du pays sur l'avenir de la zone euro, qui auraient conseillé aux banques nationales de réduire leur exposition au reste de la zone. On peut aussi imputer cette attitude à un malaise qui couve dans les banques allemandes, que les régulateurs européens tardent à reconnaître. Car les coûts des banques allemandes sont les plus élevés du monde développé, et leur rentabilité parmi les plus faibles, malgré leurs taux négligeables de créances irrécouvrables.

Une telle pusillanimité est néanmoins déconcertante. Environ la moitié du système bancaire allemand appartient au secteur public, et jouit donc, implicitement, de la garantie de l'État. De fait, les banques allemandes ont reçu 239 milliards d'euros (253 milliards de dollars) d'aides publiques entre 2009 et 2015.

Pas bon pour la confiance

Quoi qu'il en soit, le retrait des banques allemandes du champ d'action européen ne peut rien signifier de bon pour la confiance, l'investissement ou le dynamisme du secteur des services. Rappelons que l'investissement en Allemagne était, l'année dernière, inférieur de plus de cinq points de PIB à son niveau de 1999, alors même que l'épargne brute nationale atteignait son plus haut niveau depuis la création des séries statistiques du FMI en 1980.

Les dirigeants allemands expliquent généralement cette chute impressionnante en invoquant la prudence d'une société vieillissante. Mais ces difficultés démographiques - qui pèseront demain sur la production potentielle - devraient inciter à une réforme des prestations sociales et du système éducatif, et non à supprimer la demande actuelle. Et c'est précisément là où le bât blesse : aucun pays de l'UE, à l'exception, peut-être, de la France, n'a réalisé aussi peu de réformes que l'Allemagne au cours des dix années qui viennent de s'écouler.

Ce manque de réformes devient visible. La méfiance des banques et la faiblesse de l'investissement ont joué un rôle, assurément, depuis 2012, dans ce qui apparaît comme la période de plus faible croissance de la productivité totale des facteurs que l'Allemagne ait connue depuis trente ans. En donnant une telle importance aux exportations - c'est-à-dire à la demande des autres pays - le gouvernement allemand a peut-être été conduit à négliger certaines de ses responsabilités intérieures. Or il est dans l'intérêt de toute l'Europe - et de l'Italie en particulier - que la première économie du continent se renforce encore.

Certes, le ralentissement de la productivité n'est nullement propre à l'Allemagne. Mais à moins que celle-ci ne prenne chez elle le mal à la racine, elle risque d'être durement touchée si sa monnaie vient à connaître une réévaluation brutale, qui prendrait la forme d'une baisse de ses exportations et d'une dégradation de son secteur bancaire déjà fragilisé par la déflation et des taux d'intérêt à long terme négatifs.

La maladie dont souffre l'Italie est bien plus aigüe que celle dont l'Allemagne est atteinte, mais toutes deux peuvent devenir graves, et toutes deux ont besoin d'être traitées sans délai.

Traduction François Boisivon

 Federico Fubini est chroniqueur financier. Il est l'auteur de Noi siamo la rivoluzione (« Nous sommes la révolution »).

 © Project Syndicate 1995-2017

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