Les actionnaires désormais arbitres des rémunérations des dirigeants

Avec le "Say on Pay" sur la rémunération des dirigeants dans les sociétés cotées, les actionnaires ont désormais un droit de vote contraignant sur la rémunération des mandataires sociaux. Par Antoine Larcena, Avocat Associé et Emilie Colly Chenard, Avocat, Taj, Deloitte Legal
Actionnaires se rendant à une Assemblée générale

En vertu de la loi Sapin 2[1], les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé devront faire valider annuellement, par leurs actionnaires, les rémunérations de leurs dirigeants mandataires sociaux. Les sociétés auront quelques mois pour s'adapter à cette modification. Jusqu'alors, c'était sur un fondement non contraignant qu'elles consultaient leur assemblée, et seulement pour avis.

 Ce changement s'inscrit dans un contexte général de durcissement des normes en la matière, à commencer par les nouveaux codes de gouvernance et la Directive européenne sur les droits des actionnaires, dont la modification est envisagée. Transparence et contrôle sont les maîtres mots dans ce processus.

 D'une approche volontariste (le comply or explain) à une démarche obligatoire

 Cette année, deux sociétés cotées françaises d'importance ont entendu passer outre le vote négatif des actionnaires relatif à la rémunération de leurs dirigeants. Depuis 2013, les sociétés cotées devaient appliquer les recommandations d'un code de gouvernance, ou à défaut, s'en expliquer. Alors que la loi accordait compétence au conseil d'administration sur la rémunération des mandataires sociaux, le code Afep-Medef préconisait un vote consultatif de l'assemblée, a posteriori. Une règle de transparence sanctionnait les cas de désaveu, imposant après avis du comité des rémunérations, un communiqué du conseil d'administration.

Or, en réaction aux événements récents, la soft law cède le pas au Code de commerce, qui impose désormais le vote obligatoire et préalable des actionnaires.

 Un double contrôle par les actionnaires

 Le régime français dessaisit désormais le conseil d'administration, pourtant lui-même nommé par les actionnaires. L'assemblée votera « au moins chaque année » sur les rémunérations individuelles des Présidents, Directeurs généraux et DG délégués. Un dispositif similaire est instauré dans les sociétés anonymes à directoire [2].

 Préalable imposé, l'assemblée fixera la politique relative à tous les éléments de la rémunération en raison de leur mandat (fixes, variables et exceptionnels et avantages de toute nature). Un contrôle a posteriori validera ensuite l'application de ces principes. Parachutes dorés et retraites chapeaux étaient déjà soumis à un vote spécial des actionnaires. Le niveau général de rémunération des mandataires sera désormais contrôlé, dans toutes ses composantes, au risque qu'aucune rémunération variable ou exceptionnelle ne soit versée faute d'avoir obtenu la majorité des voix.

 En cas de vote négatif, il sera fait application des principes et critères que l'assemblée ordinaire aura validés antérieurement. A défaut, la rémunération sera déterminée conformément à celle attribuée au titre de l'exercice précédent ou encore « conformément aux pratiques existant au sein de la société », ce qui ouvre la porte à de nombreuses interrogations.

 La nouvelle mouture du code Afep-Medef, modifié en novembre 2016, établit, de son côté, de nouveaux principes de gouvernance, distinguant mandataires exécutifs ou non. Il préconise de définir durablement la rémunération fixe et de plafonner la rémunération variable à un pourcentage du fixe, excluant également que le cours de bourse n'en soit le seul critère de référence. Le Conseil constitutionnel, saisi pourtant de cette nouvelle mesure, ne l'a pas écartée[3]. Reste désormais à attendre les précisions du décret d'application.

 Un processus décisionnel plus strict que les standards européens

 Au Royaume-Uni[4], précurseur en la matière, l'assemblée décide tous les trois ans de la politique de rémunération. En revanche, le vote sur l'octroi des rémunérations individuelles reste consultatif. Le dispositif outre-manche, désormais reproduit en Espagne, par exemple, pourrait durcir ses exigences en matière de transparence. Comme pour la future mouture de la Directive européenne « droits des actionnaires », qui adoptera probablement un régime décisionnel similaire, l'accent sera porté sur la précision des critères et des rapports. En France, l'Autorité des marchés financiers regrette d'ailleurs que les recommandations professionnelles relatives aux critères qualitatifs sont moins bien suivis que les autres[5].

 Pour emporter la confiance des actionnaires, l'enjeu consistera à proposer une politique et des rapports suffisamment précis et lisibles. Cette nouvelle compétence des actionnaires accroîtra probablement le poids des agences de conseil de vote (proxy), notamment pour les investisseurs étrangers.

[1] Loi 2016-1691 du 9-12-2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, JORF n°0287 du 10 décembre 2016

[2] Art. L. 225-37-2 et L. 225-82-2 du code de commerce

[3] Décision du conseil constitutionnel n°2016-741 DC du 8 décembre 2016

[4] Companies Act 2006, sections 439 and 439A

[5] Rapport AMF 2016 sur le gouvernement d'entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées

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Commentaires 2
à écrit le 05/01/2017 à 19:10
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c'est la moindre des choses que les propriétaires des entreprises aient leurs mots à dire sur la rémunération des dirigeants

à écrit le 05/01/2017 à 16:14
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"Cette nouvelle compétence des actionnaires accroîtra probablement le poids des agences de conseil de vote" Que de choses sont dites dans cette phrase. Les actionnaires vont avoir encore plus de pouvoir mais comme ils sont peu compétents de natur...

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