Les entreprises, grandes perdantes du prélèvement de l'impôt à la source

Le projet de retenue à la source transfert une grosse partie de la charge de gestion de l'impôt sur les entreprises. Avec de multiples problèmes oubliés.. Par Yves de la Villeguérin, président du Groupe Revue Fiduciaire
Le ministre des Finances, Michel Sapin, promet la mise en oeuvre d'un impôt sur le revenu retenu à la source

 La loi de finances pour 2016 a posé le principe de la mise en œuvre du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu en vue de son application effective le 1er janvier 2018, le texte devrait être finalement adopté à l'automne dans le cadre de la loi de finances pour 2017 et non cet été. Le ministre des Finances et le secrétaire d'Etat au budget l'ont confirmé le 16 mars 2016.

L'objectif de la réforme est de collecter l'impôt au moment du versement des revenus imposables et non avec l'actuel décalage d'un an.

 Un grand perdant: l'entreprise

Dans le dossier de presse du ministère, ont peut lire que le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu serait très simple puisque l'administration fiscale communiquera à l'employeur le taux moyen d'imposition du salarié calculé sur la base de la déclaration de revenus du printemps 2017 (taux indiqué sur l'avis d'imposition envoyé en septembre 2017). Pourtant, après analyse, on remarque que le grand perdant de cette réforme est l'entreprise.

 Un nouveau tiers payeur

Dans la mesure où l'impôt apparaîtra sur le bulletin de salaire comme c'est le cas actuellement pour les prélèvements sociaux, la retenue à la source fait entrer l'employeur dans le recouvrement de l'impôt sur le revenu en tant que tiers payeur, excepté pour les catégories ne percevant pas de salaires mais des revenus de remplacement, dans ce cas ce seront les organismes sociaux qui assumeront cette mission (ex. : caisses de retraite pour les retraités, assurance-chômage pour les allocataires de Pôle Emploi).

Cette nouvelle responsabilité subie par l'entreprise induit des investissements supplémentaires (temps des collaborateurs dédiés à cette mission, logiciels spécifiques ou adaptation des logiciels « paye » actuels), des phases de test chronophages seront par ailleurs nécessaires.

Tous ces investissements devraient donc être pris en charge par l'Etat, les entreprises n'ayant pas vocation à endosser gratuitement le costume du percepteur, ou à minima une contrepartie financière devrait leur être attribuée. Quoiqu'il en soit l'entreprise appliquera cette nouvelle obligation, au détriment d'autres investissements, en particuliers dans les petites entreprises peu outillées pour y faire face.

 De nombreuses situations problématiques

Si le net à payer du salarié diminue du fait de l'augmentation du taux de prélèvement à la source en raison de ses revenus globaux, cela peut poser des problèmes de gestion du personnel : en effet l'employeur n'en est pas responsable, et pourtant, le salarié aura l'impression d'être perdant.

De plus, certains salariés pourraient  se tourner vers l'entreprise pour demander une prime, une augmentation. Inversement, si le prélèvement à la source baisse du fait d'un changement de situation du salarié (baisse des revenus globaux de son foyer, mariage, naissance...), l'employeur devra en principe en faire abstraction au niveau de ses décisions d'octroi de primes ou d'augmentations.

Par ailleurs il faudrait que le législateur précise qui est prioritaire, entre l'impôt sur le revenu et d'éventuelles saisies sur rémunération. Le texte actuel envisage de permettre au salarié de modifier périodiquement le taux de prélèvement selon l'évolution de sa situation. En pratique, l'employeur va donc devoir modifier les paramétrages...à sa charge ?

Certaines entreprises peuvent être dépourvues de logiciels de paye et de prestataires (payes traitées à la main).

Comment procèderont elles? Les entrées et sorties en cours de mois (application d'un même taux ?) Les versements de sommes qui peuvent être exonérées d'impôt sur le revenu (certaines indemnités de rupture). L'employeur devra ventiler les sommes...

On peut imaginer le mécontentement des salariés découvrant un salaire net en baisse lors de la mise en place, en particulier pour ceux qui n'étaient pas mensualisés à l'impôt sur le revenu.

 Est-ce à l'employeur de faire la pédagogie du système ?

La réponse de principe est non. Il n'appartient pas à l'employeur de se substituer à l'administration fiscale en en devenant l'auxiliaire. Les contraintes qui pèsent sur les entreprises sont déjà suffisantes pour qu'aucune autre ne soit ajoutée. Or c'est le résultat auquel aboutit cette réforme, car en pratique c'est très largement l'employeur qui sera sollicité.

Le ministère affirme que cette réforme n'influe pas sur le statut de l'entreprise, qu'il ne s'agit pas d'une redéfinition de l'environnement de travail, pourtant, pour les salariés c'est bien via le bulletin de salaire que l'impôt sur le revenu sera prélevé.

Le législateur pourrait prévoir à bon escient de faire figurer sur le bulletin de paye le coût global du salarié pour l'entreprise au regard du net perçu par le celui-ci, permettant d'identifier l'ensemble des prélèvements.

Autre inquiétude : la confidentialité des informations.

Le ministère insiste sur le fait que l'employeur ne sera informé, ni de la situation personnelle, ni des autres revenus perçus par le salarié ou son foyer. Pourtant la crainte d'une atteinte à la confidentialité existe, malgré une communication par le fisc limitée au seul taux de prélèvement.

En effet, l'entreprise sera appelée à connaître des informations relatives aux salariés. Ces éléments pourront interférer dans le cadre des négociations salariales car le taux révèle notamment l'existence d'autres revenus.

Quel potentiel de "réussite" ?

L'énumération des changements provoqués par cette réforme prouve que le ratio risque / bénéfice pour l'entreprise est négatif. Elle a tout à y perdre et rien à y gagner du fait notamment de la complexité résultant de la progressivité de l'impôt sur le revenu.

En réalité, il s'agit d'une fausse réforme :

-        qui vise  à atténuer la perception de paiement d'un impôt sur le revenu en le rendant moins visible et moins douloureux en apparence, donc plus acceptable pour ceux toujours moins nombreux à le payer (entretien l'idée de gratuité pour les non assujettis),

-        qui peut faire redouter l'instauration d'une progressivité de la CSG

-        et enfin, qui expose l'entreprise à d'éventuelles actions en responsabilité à son encontre en cas de régularisation demandée par le fisc en raison d'une erreur d'application d'un taux par l'entreprise.

La vraie réforme aurait consisté à simplifier l'impôt sur le revenu, avant de s'attaquer au recouvrement. Beaucoup de pays pratiquent le prélèvement à la source, mais l'impôt y est plus simple et plus transparent.

Le développement de la déclaration en ligne combiné  à une mise en œuvre de la simplification de l'impôt auraient pu avoir des conséquences très positives sur la compréhension de l'impôt et son acceptation par le plus grand nombre.

Ce texte doit encore passer l'examen du conseil constitutionnel qui pourrait le considérer comme n'étant en rien une mesure de simplification. Le ministère reste par ailleurs très discret sur le chiffrage de l'économie réalisée par l'Etat.

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