Les jeux d'argent, un problème de santé publique à prendre au sérieux

Le nombre de Français victimes d'une addiction aux jeux d'argent ne cesse de croître. L’État actionnaire de la Française des jeux ou du PMU ne voit pas les conséquences sociales et sanitaires à long terme de cette dépendance. Des mesures urgentes doivent être prises. Par Thomas Amadieu, sociologue, Université Paris-Sorbonne

La dernière enquête nationale de l'Observatoire des Jeux parue récemment lève un peu plus le voile sur un fléau social et de santé publique encore traité avec légèreté en France : les jeux d'argent. Depuis la première enquête de 2010 l'évolution des habitudes de jeu des Français est particulièrement inquiétante : un million d'entre eux ont une pratique de jeux qui confine à l'addiction, soit 400 000 de plus en 5 ans seulement. Une population de plus en plus large est touchée, désormais les mineurs et les femmes sont de la partie. A l'heure où est étudiée la possibilité d'accroitre encore l'offre de jeu en ouvrant des casinos à Paris il est temps de s'interroger sur la pertinence de cette façon de lever l'impôt.

Le coût important de l'addiction

Car si les jeux sont une ressource fiscale, ils représentent également un coût important lié à l'addiction au jeu et à l'appauvrissement de nombreux joueurs.
C'est avant tout la prolifération de l'offre de jeu ces dernières années qui explique cette augmentation. D'abord l'ouverture des jeux en ligne à la concurrence introduite en 2010 a séduit un public plus jeune, attiré par la mode du poker et des paris sportifs. Or ces jeux sont très addictifs, car ils donnent l'illusion de l'habileté et conduisent plus aisément à l'isolement devant son écran. Ensuite de nouveaux casinos ont ouvert, principalement dans les grandes villes. Enfin et surtout la FDJ et le PMU ont fait preuve d'un activisme commercial impressionnant, multipliant les nouveaux jeux pour attirer une population plus féminine et plus jeune, notamment en proposant des jeux faciles d'accès car ne nécessitant pas de compétence particulière en termes de jeu.

Une présentation déformée de possibilités de victoire

Des cagnottes toujours plus faramineuses sont proposées presque chaque jour de la semaine contribuant ainsi à en faire un véritable rituel social, sous l'égide de l'État qui détient le monopole sur les loteries.
Les opérateurs de jeu sont désormais passés maîtres dans l'art de jouer de nos erreurs d'interprétation du hasard, ce que les psychologues appellent nos biais cognitifs. Les jeux sont conçus de telle sorte qu'ils donnent au joueur l'impression d'avoir de bonnes chances de gagner. Faut-il rappeler que la probabilité d'emporter le jackpot à l'Euro Millions est d'une chance sur 116 millions, soit beaucoup moins que d'être frappé par une météorite ? En mettant en avant ses grands gagnants auxquels chacun peut s'identifier la FDJ rend tangible la possibilité de gain et déforme ainsi notre perception des possibilités de victoire.

Des dépenses de publicité qui explosent

Les dépenses consacrées à la publicité pour les jeux ont explosé ces dernières années, de sorte que la sollicitation à « tenter sa chance » est omniprésente. Dans la même veine on appâte le joueur avec de petits lots ou des pertes déguisées en gain. Des jeux toujours plus addictifs sont ainsi créés, qui conduiront nombre de joueurs à rejouer de façon compulsive. C'est d'ailleurs sur les joueurs les plus accros que les opérateur font une grande partie de leur chiffre d'affaire.
Le piège des jeux d'argent réside dans la promesse d'enrichissement qui est faite alors que les jeux sont conçus pour enrichir l'opérateur et non le joueur. Car c'est avant tout la désespérance économique et sociale qui fait le succès des jeux de hasard. Le jeu est pour bon nombre de Français la dernière solution (illusoire rappelons-le) lorsque les voies habituelles de réussite sont fermées ou simplement pour boucler des fins de mois difficiles. On sait que les joueurs les plus assidus sont aussi les plus fragiles économiquement - ouvriers et employés, revenus modestes et travailleurs précaires.

 L'espoir de regagner le contrôle sur son destin

Le jeu leur offre l'espoir vain d'un enrichissement inespéré et de regagner le contrôle sur leurs destins. En s'accrochant à ce rêve les joueurs les plus modestes s'exposent à une aggravation de leurs conditions de vie, qui les conduira parfois à jouer toujours plus pour combler les pertes et les dettes engendrées par le jeu. Près de deux millions de Français perdent ainsi plus de 1500 euros par an en tentant désespérément de s'en sortir financièrement par le jeu.

Un impôt régressif

La dépendance croissante des pouvoirs publics à cette forme d'impôt régressif - car touchant avant tout les plus démunis - résulte d'une vision de court-terme négligeant les conséquences sociales et sanitaires à moyen et long-terme.

Protéger les plus vulnérables

Il serait temps de cesser l'exploitation cynique des frustrations sociales et des difficultés financières de nombreux Français en protégeant les plus vulnérables face au risque de dépendance au jeu. D'abord en empêchant réellement aux mineurs de jouer (ils payent un lourd tribu en termes d'addiction), mais aussi en permettant aux joueurs qui le souhaitent de s'interdire de jeu.

La mesure existe déjà pour les casinos, mais faute de contrôle des cartes d'identité dans les autres points de vente celui qui est dépendant au jeu peut toujours se replier sur le PMU ou la FDJ. Ensuite en proposant des jeux moins addictifs, c'est-à-dire dont le rythme est moins rapide et où les joueurs sont réellement informés de leurs chances de victoire. Enfin la limitation de la publicité contribuerait à atténuer l'attractivité de jeux perçus par les joueurs comme plus profitables qu'ils ne le sont en réalité.

En adoptant de telles mesures les pouvoirs publics clarifieraient une position pour le moment ambiguë qui les voit faire la promotion des jeux tout en affichant leur souci d'informer de leur dangerosité.

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Commentaires 8
à écrit le 17/10/2019 à 13:37
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et où les joueurs sont réellement informés de leurs

à écrit le 04/05/2018 à 17:49
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Une réponse à la spoliation de la Française des jeux se trouve dans l'épargne-loterie : http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/05/04/francaise-des-jeux-ne-substituons-pas-un-monopole-prive-a-un-monopole-public_5294464_3232.html

à écrit le 30/04/2015 à 4:49
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La française des jeux une tricherie nationale !

à écrit le 28/04/2015 à 13:21
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Le pire des jeux de paris est le jeu de paris sur les prix : la bourse.

à écrit le 27/04/2015 à 16:22
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Effectivement, tous ces élus et responsables politiques qui jouent avec notre argent commence de vraiment poser problème !

à écrit le 27/04/2015 à 16:04
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Merci à Mr Sarkosy d'avoir fait passer la loi autorisant les jeux d'argent en ligne sous son mandat. Quoi de plus normal puisqu'un de ses frères avait des intérêts financiers dans ce domaine. Ca ne tient à pas grand chose la santé publique.

à écrit le 27/04/2015 à 15:52
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Pour infos, l'introduction des jeux ne s'est pas effectuée en 2012, mais en Mai 2010. Elle a été applicable en Juillet 2010 à cause de l'Etat Européen de Malte qui a retardé la loi française pour opposition à certains textes contenus dans la loi.

à écrit le 27/04/2015 à 14:43
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Excellent article, merci monsieur Thomas Amadieu.

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