Les leçons françaises du laboratoire grec

Il faut imposer des réformes structurelles plutôt qu'une austérité destructrice. Par André Grjebine, directeur d'études au Centre de recherches internationales de Sciences Po

Décidément, l'ignorance de l'histoire qui semble caractériser les dirigeants de l'Union Européenne n'a pas de limite. Ils se sont déjà distingués, si on peut dire, en négligeant la leçon de la crise des années 1930, à savoir que mettre en œuvre une politique d'austérité en période de croissance faible ou nulle et alors que le chômage est déjà très élevé ne peut qu'amplifier la crise. C'est maintenant les conséquences des réparations infligées aux vaincus par le traité de Versailles qu'ils ignorent. Oubli d'autant plus étonnant que l'Allemagne était bien placée pour s'en souvenir en en ayant été la victime.

Imposer une véritable politique de réforme en Grèce... mais lesquelles?

Ce qui ne veut pas dire que l'Union Européenne doive continuer à accepter l'incurie des gouvernements grecs successifs, mais plutôt qu'elle doit imposer une véritable politique de réformes, encore faut-il s'entendre sur ce que signifie réformer un État. C'est moins l'intransigeance des créanciers de la Grèce qui est en cause que la nature des exigences qu'ils formulent. Comme l'a bien montré Romaric Godin dans ces colonnes , il y a un malentendu sur ce qu'il faut entendre par réformer l'État. Contrairement à ce que croient les autorités européennes, il ne s'agit pas de contraindre un pays à réduire le plus rapidement possible son endettement en lui imposant une austérité qui lui interdit de facto de procéder aux réformes nécessaires pour préparer son avenir. La question est plutôt d'obliger les pays à se réformer sans leur imposer une austérité contre-productive. Cette question ne se pose pas que pour la Grèce. Elle est en fait centrale pour sortir de la crise que connait l'Union Européenne et singulièrement les pays du Sud, France comprise.

La logique comptable n'a mené à rien

La logique comptable qui a été appliquée ne s'intéresse qu'à des équilibres statiques : dégager un excédent budgétaire primaire en réduisant les dépenses et (ou) en augmentant les recettes. Dans l'optique des autorités européennes, procéder à des réformes plus profondes ne peut que signifier renforcer la flexibilité des salariés et comprimer les coûts salariaux. C'est la logique qui prévaut aujourd'hui au sein de l'Union Européenne. Certes, cette logique peut à court terme améliorer la compétitivité, mais elle compromet la modernisation du tissu socio-économique.

Lier aide massive à une politique d'austérité: une stratégie contradictoire

 Lier l'aide massive à une politique d'austérité est contradictoire. Dans un tel contexte, les faibles perspectives de la demande conduisent les entreprises à réduire leurs investissements. De ce fait, la baisse actuelle de l'euro n'a que peu d'effets sur les pays comme l'Italie ou la France qui ont connu une dégradation de leur appareil de production. Pour leur part, les gouvernements ont tendance à diminuer les investissements, notamment en matière d'éducation, de recherche et de santé, plutôt que les dépenses de fonctionnement autrement plus difficiles à réduire. C'est en général la partie la moins protégée de la population qui est la première victime de l'austérité. Selon un rapport rédigé par deux économistes grecs, Tassos Giannitsis (université d'Athènes) et Stavros Zografakis (université agricole d'Athènes), pour la fondation allemande Hans Böckler, le revenu des 10 % des ménages grecs les plus modestes a chuté de 86 % entre 2008 et 2012, alors que les foyers les plus riches ont perdu moins de 20%.

Quand l'aide accordée ne va pas de pair avec une réforme profonde et réelle (et pas seulement dans les discours) des structures socio-économiques, elle se perd dans les circuits administratifs, à moins qu'elle ne soit détournée. Les problèmes structurels ne font pas que paralyser l'efficacité de l'État, ils déteignent sur le secteur privé.

Et ailleurs ?

La Grèce apparait comme un concentré des problèmes qui se posent avec des doses variables dans d'autres pays européens aussi bien la France que l'Italie ou l'Espagne. Quand on voit la difficulté que le gouvernement français a eu pour faire passer les timides mesures de la loi Macron, on imagine ce qu'il en serait pour procéder à de véritables réformes dans les domaines où l'attachement au statu quo pénalise profondément nos économies : un système éducatif dont chaque année une partie notable de jeunes sortent sans aucun diplôme, sans parler de ceux qui obtiennent des diplômes « invendables » sur le marché du travail ; gaspillages inhérents à la formation permanente ; système de retraites dont le rééquilibrage exige un recul de l'âge de départ à la retraite et l'application aux fonctionnaires du droit commun, sans compter le développement de nouvelles sources d'énergie, réforme européenne s'il en est. Comment un Etat qui, malgré un vote unanime à l'Assemblée Nationale, n'est pas capable d'imposer l'écotaxe à quelques milliers de routiers et d'agriculteurs bretons pourrait-il entreprendre des réformes d'envergure susceptibles à la fois de réduire nos dépenses publiques et d'induire plus de souplesse et d'efficacité dans le comportement des acteurs sociaux ?

Le dilemme du prisonnier

En schématisant, en matière de réforme, on peut distinguer les pays en fonction de la réponse qu'ils privilégient au dilemme du prisonnier. Celui-ci caractérise en théorie des jeux une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où, faute de confiance entre les deux, chaque joueur choisira de trahir l'autre. La raison en est que si l'un coopère et l'autre trahit, le coopérateur est fortement pénalisé. Pourtant si les deux joueurs trahissent, le résultat leur est moins favorable que si les deux avaient choisi de coopérer.

En Allemagne et plus encore dans les pays scandinaves, les individus confient leurs intérêts, au niveau national, à des organisations syndicales puissantes qui tiennent compte de l'intérêt général dans la mesure où elles regroupent une grande partie des salariés, et à l'échelle des entreprises, à des représentants élus qui participent au pouvoir (cogestion). La coopération est donc privilégiée. Au contraire, dans les pays où les partenaires sociaux sont faibles et leur représentativité réduite, comme en France, chacun tend à privilégier la défense de ses avantages acquis et il le fait en s'alliant avec ceux qui partagent ses avantages.

Faute d'être assuré de sa démarche par son appartenance à une organisation syndicale puissante, chaque groupe social a toujours peur d'être berné, de perdre ses avantages sans en gagner d'autres. D'où la difficulté de procéder à des réformes. Selon un rapport de l'Institut Bertelsmann (Policy Performance and Governance Capacities in the OECD and EU, avril 2014) qui tente de mesurer la capacité de l'exécutif de mener des réformes, les pays du premier groupe se classent tous parmi les premiers (les quatre premières places sont occupées par les pays scandinaves, l'Allemagne est 8eme), alors que les pays du second groupe sont mal classés (Espagne 22eme, France 27eme, Italie 29eme, Grèce 38eme sur 41, etc.).

Le rôle de l'Union européenne

On peut donc avoir des doutes sur la capacité des pays du second groupe à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour moderniser leurs relations sociales et, plus généralement, leur économie. Dans cette optique, l'intervention de l'Union Européenne pourrait s'avérer essentielle.
Elle pourrait, tout d'abord, conditionner l'octroi de prêts à la mise en œuvre de réformes structurelles dans les domaines mentionnés. Comme l'a récemment suggéré Emmanuel Macron, la première incitation pourrait consister à sortir les sommes consacrées à l'investissement des calculs du déficit et de la dette. En même temps, en démultipliant le Plan Juncker, une stratégie communautaire pourrait être mise en œuvre, notamment en matière de développement de nouvelles énergies. Ce programme serait financé par des crédits à long terme et à faible taux d'intérêt accordés par la Banque centrale européenne. Ils ne seraient remboursables que quand le taux de croissance de la zone euro dépasserait un certain niveau et que les recettes publiques augmenteraient en conséquence.

Compte tenu de l'importance qui serait ainsi impartie au budget européen ou à un organisme communautaire spécialement créé pour organiser et financer les opérations envisagées, on imagine mal qu'il ne soit pas soumis à un contrôle politique, soit du Parlement européen, soit d'un ministre des finances de l'UE, amorce d'un véritable gouvernement communautaire. Reste à savoir dans quelle mesure les blocages politiques et institutionnels propres au fonctionnement de l'Union Européenne pourraient être levés pour assurer la mise en œuvre d'une telle politique.

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Commentaires 5
à écrit le 23/05/2015 à 16:10
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Marrant, je tombe par hasard sur un article en français et retrouve le même discours que pendant mes études... Rigolo de voir ressortir pêle-mêle la crise de 29, l'arrivé d'Hitler au pouvoir et le sauveur Keynes (qui se serai bien passé de tels groop...

à écrit le 16/04/2015 à 18:13
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La Grèce était donc bien le "laboratoire" économique des tireurs de ficelle, un peu comme Chypre a été le labo pour constater les effets d'une ponction massive sur les comptes bancaires... Et ce qui se passe en Ukraine ou en Syrie, ça aussi c'est des...

à écrit le 02/04/2015 à 9:02
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Payer pour faire en sorte de ne pas pouvoir être rembourser, semble être la politique de l'UE de Bruxelles! Mais pourquoi?

à écrit le 01/04/2015 à 19:38
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L'Europe est déjà saoule de keynésianisme bu à bonnes doses depuis 35 ans... Encore un petit peu pour qu'elle s'effondre complètement en comas keynésien !

le 08/04/2015 à 12:45
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On doit pas vivre dans la meme UE .... la politique économique portée par l'union repose depuis 2008 sur une baisse des dépenses de l'état! (retour aux 3% de deficit +réduction du deficit structurel de x% par an) ....pas vraiment ce que Keynes avait ...

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