Les risques de l'incohérence entre réglementations financières

Après la crise de 2008, tous les pays industriels ont voulu réglementer la finance. Mais, contrairement aux intentions premières, le processus a été très peu concerté. D'où une incohérence réglementaire lourde de dangers. par Howard Davies, professeur à Sciences Po
Howard Davies.

Dans la soupe à l'alphabet des institutions travaillant à la réglementation des marchés financiers mondiaux, le FLMC - pour Financial Markets Law Committee - ne compte pas parmi les plus célèbres. Dans la mesure où cette entité est basée exclusivement à Londres, née d'une initiative de la Banque d'Angleterre il y a 20 ans, la plupart des banques n'en ont tout simplement jamais entendu parler (bien que certaines d'entre elles soient représentées au sein de son Conseil). Or, les services fournis par le FMLC ne se sont jamais révélés aussi nécessaires qu'aujourd'hui.

La mission du FMLC consiste à identifier et à proposer des solutions aux problématiques d'incertitude juridique sur les marchés financiers, susceptible de créer des risques à l'avenir. Comme l'a récemment démontré un rapport du FMLC, la déferlante de nouvelles réglementations mises en place depuis la crise financière mondiale - pour beaucoup piètrement planifiées ou incohérentes selon les États - nous laisse avec un paysage désordonné d'incertitudes juridiques.

Incohérences multiples

Songez aux contraintes de capital intéressant les banques. L'accord de Bâle III, qui permet à ses adhérents d'accroitre la liquidité de toutes les banques et de réduire leur endettement, est ainsi considéré comme une norme solide en certaines régions du monde. Or, d'autres ailleurs le considèrent comme un strict minimum qu'il serait possible de compléter par des règles supplémentaires. Une telle « super-équivalence », sorte de « placage à la feuille d'or » pour employer un terme plus accessible, génère des incohérences entre les pays.

De même, l'Union européenne, par opposition aux États-Unis, considère le ratio d'endettement comme un supplément facultatif de supervision, et en fait une « mesure du Pilier II » (qui permet aux superviseurs d'ajouter des limites de capitaux supplémentaires face aux risques propres à une banque en particulier). Et bien que les États-Unis et l'UE interdisent tous deux les opérations pour compte propre, ils en font chacun une définition différente.

Des incohérences existent également entre les États-Unis et l'UE dans le cadre de la réforme du marché des instruments dérivés qui, selon le Conseil de stabilité financière, risquerait de mettre à mal les objectifs fixés par le G20 en matière de standardisation des contrats, pour améliorer la transparence. De même, là où les normes de Bâle continuent de considérer largement les notations de crédit établies par les agences comme la base de l'évaluation de la solvabilité des emprunteurs, la loi Dodd-Frank américaine s'éloigne d'un tel recours aux notations.

Des initiatives nationales, en lieu et place de la concertation annoncée

Ces différences - et le Conseil du FMLC en énumère bien d'autres - témoignent d'une évolution dangereuse dans la manière dont le monde aborde les réglementations. L'enthousiasme des premières heures d'après-crise, en faveur de nouvelles normes réglementaires concertées à l'échelle mondiale, a cédé la place à diverses initiatives nationales, fondées sur les programmes politiques nationaux, et peu soucieuses des considérations de compatibilité par-delà des frontières.

Plus problématique encore, les procédures d'examen par les pairs qui ont été introduites jusqu'à présent ne permettront qu'une résolution minime, voire aucune résolution du problème. C'est également le cas des protocoles d'accord élaborés par les régulateurs financiers nationaux, qui n'offrent aucun espoir de salut. D'après le FMLC, « ils suscitent généralement des désaccords d'interprétation, ne présentent pas de force juridiquement contraignante, ne s'accompagnent d'aucun mécanisme contraignant de résolution des litiges, et n'empêchent nullement les autorités nationales d'agir de manière unilatérale. »

Quatre recommandations

Qu'est-il alors possible d'entreprendre ? Le FMLC formule ici quatre recommandations majeures.

Tout d'abord, il s'agirait pour le Conseil de stabilité financière de contribuer à réduire les incohérences évitables entre les États, en mettant en avant un ensemble de principes essentiels, auxquels tous les États membres devraient se conformer au moment de l'introduction de nouvelles réglementations. En effet, la nécessité de tels principes aurait dû être admise dès 2009, lorsqu'a débuté la vague de re-réglementation.

Deuxièmement, afin de résoudre les conflits réglementaires existants, le FLMC préconise l'instauration d'un cadre régissant les « conflits de réglementations », afin de déterminer quel régime juridique - celui du siège de la société internationale ou celui du pays d'accueil de sa filiale locale - serait pris en compte  dans le cadre d'un litige transfrontalier. L'alternative consistant à faire appel à une organisation multilatérale tierce en tant qu'entité de médiation, dans le cadre de tels litiges, ne suscite qu'une adhésion minime parmi les pays du G20.

Troisièmement, le FLMC propose d'étendre le mandat du Conseil de stabilité financière. Cet organe, construit en 2009 sur la base de l'ancien Forum de stabilité financière, bénéficiant de pouvoirs moindres et d'aucun statut formel, n'est devenu une entité juridique distincte que récemment. Le renforcement de ses pouvoirs - auxquels pourraient par exemple être intégrés plusieurs principes de résolution des distorsions juridiques entre les États - constituerait une avancée majeure dans la résolution des difficultés suscitées par les disparités réglementaires.

Enfin, le FMLC recommande la mise en place d'un secrétariat permanent du G20, afin d'améliorer la continuité et la coordination des présidences du G20. En l'état actuel des choses, les priorités politiques ne cessent d'évoluer en dents de scie, certains dossiers particuliers perdants de leur centralité, voire se volatilisant, d'une année à l'autre.

Les risques d'une grande incertitude

L'incertitude en matière règlementaire n'apparaît pas a priori comme un sujet des plus passionnants, ce qui explique probablement pourquoi le rapport du FMLC a été si largement ignoré. Or, comme l'a démontré avec brutalité la crise financière mondiale de 2008, une telle incertitude est de nature à faire dysfonctionner les marchés, l'ambiguïté relative aux responsabilités des différents régulateurs rendant difficile, voire impossible, la résolution des problèmes provoqués par les entreprises en faillite. (Les Mémoires de crise de l'ancien Secrétaire du Trésor américain Tim Geithner illustrent malheureusement clairement ce phénomène).

À l'époque où je présidais l'Autorité des services financiers, organe réglementaire du Royaume-Uni, j'ai toujours pensé qu'il s'agissait pour les juristes d'avoir leur mot à dire, mais sans avoir le dernier mot. Il leur faut en revanche toujours pouvoir être entendus. Aujourd'hui, les juristes les plus influents du FMLC ont parlé. Il appartient au monde d'entendre ce qui a été dit.

Traduit de l'anglais par Martin Morel

Howard Davies, ancien président de l'Autorité britannique des services financiers, sous-gouverneur de la Banque d'Angleterre, et directeur de la London School of Economics, est professeur à Sciences Po Paris.

© Project Syndicate 1995-2015

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Commentaire 1
à écrit le 07/05/2015 à 12:48
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Premier exemple le délit d initiés commis par l'agence des participations de l état dans l affaire Renault avec complicité de l AMF ét du ministre de l économie ! 💣👹💉

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