Loi Travail : osons la flexicurité !

Il faut une transformation profonde d'un système à bout de souffle. Par Anne Albert-Cromarias Professeur de Stratégie et Management, CRCGM/Groupe ESC Clermont

L'actualité de la loi Travail montre combien les Français (quel que soit leur bord politique, mais aussi leur situation professionnelle ou leur âge) sont inquiets quant aux conséquences d'une refondation de la relation de travail. Osons aller au-delà des clichés et des postures idéologiques pour comprendre le pourquoi de ce renouveau nécessaire et en identifier les pistes possibles.

Le report de deux semaines sera-t-il suffisant pour faire prendre conscience de l'ampleur de ces changements et de l'inadaptation de notre système actuel ? En effet, ce dernier est hérité de l'ère industrielle et des Trente Glorieuses, période de reconstruction économique, de forte croissance et de plein emploi. Après quarante années de crise et d'installation durable du chômage de masse (la crise pétrolière marquant le coup d'arrêt à ces années d'expansion), peut-on raisonnablement continuer à fonctionner avec des outils et des schémas de pensée d'un autre âge ?


Un contexte radicalement nouveau

L'acronyme barbare d'ATAWADAC (Any Time, Any Where, Any Device, Any Content), qui symbolise à lui seul la révolution numérique en cours, résume bien l'ampleur de ces changements, qui impactent tout autant la vie professionnelle que la vie privée, nécessitant de repenser l'idée même de frontière entre l'entreprise et la sphère personnelle. L'absence de repère est patente face à l'inconnu ouvert par les nouvelles façons d'accéder et de consommer, de s'organiser et de travailler, les nouveaux usages proposés, tout cela réduisant le temps et l'espace et détruisant, par l'automatisation, la valeur de la main d'œuvre quand celle-ci est répétitive.

Ainsi, 77% des emplois en Chine seraient menacés de disparition du simple fait de l'automatisation... Quant aux mouvements des chauffeurs de taxi à l'encontre d'Uber ou la fronde des hôteliers à l'égard des Airbnb et autres Booking, ils témoignent bien de cette incompréhension des nouveaux modèles, légitime quand on la ramène à l'individu qui voit son emploi menacé, plus discutable quand il s'agit de construire, collectivement, de nouveaux repères.

Flexibilité patronale versus sécurité salariale

Le terme est lâché... Le Premier Ministre lui-même ose parler de flexi-sécurité en tant que philosophie générale du texte. Mais quelle flexi-sécurité ? Comme si ce terme permettait de mettre fin au débat tant il fait l'unanimité... On en est pourtant bien loin !
La relation de travail est au cœur des inquiétudes, aussi bien du côté patronal que salarial, bien évidemment pour des raisons très différentes. Ainsi le patronat dénonce depuis des années le carcan législatif qui s'impose aux entreprises françaises et les empêche d'embaucher, par crainte de ne pouvoir ensuite se séparer du salarié, si l'activité économique ne suit pas.

C'est classiquement le volet « flexibilité » réclamé par le patronat. Quant aux organisations syndicales, elles défendent becs et ongles la « sécurité », via un contrat de travail protecteur et, si possible, durable. Rappelons d'ailleurs que le CDI reste la norme puisque, fin 2012, 87 % des salariés du secteur concurrentiel sont sous ce statut, 3 % étant intérimaires et 10 % en CDD. Sans oublier les 5 millions d'agents sous statut de la fonction publique, soit environ 1/5ème de la population active. Mais si l'on regarde les embauches réalisées (et non les salariés en emploi), 92% sont des contrats temporaires (CDD ou intérim) et seulement 8% des CDI (chiffres DARES 2014).

Et si on osait la vraie flexicurité ?

Certes la logique de « sécurité sociale professionnelle » ouvrant des droits attachés à la personne et non plus à l'emploi (dans la lignée des rapports Boissonnat et Supiot des années 1990), amorcée avec le DIF puis aujourd'hui le CPF et demain le CPA, est louable. Mais au-delà de la partie visible de l'iceberg, qui définit la flexicurité selon une approche simpliste de « meilleure protection des travailleurs flexibles », il convient d'appréhender le concept dans sa globalité. Si l'on se réfère aux pratiques vertueuses des pays nordiques (Danemark et Pays-Bas en tête), et aux nombreuses recherches menées sur le sujet depuis une quinzaine d'années [1], flexibilité et sécurité sont en réalité multiformes et combinables entre elles.

Ainsi la flexibilité apparaît tour à tour numérique (volume d'emplois) ou fonctionnelle (caractéristiques de ces emplois), chacun de ces deux critères se déclinant à son tour en interne ou externe ; de même la sécurité peut concerner le poste, l'emploi, le revenu et la sécurité d'option (par exemple, combiner emploi salarié et bénévolat). Rappelons que les salariés aussi peuvent rechercher plus de flexibilité dans leur travail (pensons, par exemple, au temps partiel choisi) et que, simultanément, bon nombre d'entreprises souhaitent pouvoir sécuriser leurs relations d'emploi afin de bénéficier d'une main d'œuvre compétente, formée et fidélisée.

La loi Travail est donc un exercice nécessaire, dont nous ne ferons pas l'économie. Mais les enjeux économiques et sociétaux sont tels qu'il ne faudrait pas, sous diverses pressions, qu'elle se réduise à quelques « mesurettes », saupoudrant la partie visible de l'iceberg. Osons aborder les questions de flexicurité de façon posée et non partisane, dans une optique de transformation profonde et salvatrice d'un système définitivement à bout de souffle.

[1] : Voir notamment la recension de ces travaux dans ALBERT-CROMARIAS A. (2009), La flexicurité dans les petites et moyennes organisations : enjeux des pratiques et dynamiques territoriales, Thèse de doctorat en sciences de gestion, Université Jean Moulin Lyon 3.
Ou dans un article issu de la thèse : https://www.cairn.info/revue-geographie-economie-societe-2010-4-page-415.htm

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Commentaires 9
à écrit le 08/03/2016 à 17:34
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Patronale ! Inversons les rôles. Après plus de 50 ans de flexibilité appliquée aux salariés (multiples formules de contrats de travail, travailleurs détachés, etc), l'abaissement du coût du travail financé par le salarié par ses impôts directs et ind...

à écrit le 08/03/2016 à 13:23
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Osons dire surtout que le contrat de travail liant systématiquement l'individu à l'entreprise dans laquelle il travaille est has been et qu'il faut distinguer la nécessité de changer de travail et d'entreprise régulièrement de la nécessité de changer...

à écrit le 08/03/2016 à 12:45
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Cette loi n'est qu'une vaste arnaque ! Elle ne concerne encore une fois que les salariés du privé, qui vont devenir les véritables bêtes de somme de l'économie ! Je rappelle que le MEDEF avait promis un million d'embauche suite au pacte de compétitiv...

à écrit le 08/03/2016 à 12:07
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On ne cesse de théoriser sur ce qui peut être une évolution naturelle, au point de vouloir en faire un dogme, alors qu'une simple adaptation et du pragmatisme arrive au même résultat! Mais, malheureusement, nous sommes déjà dans un dogme au niveau de...

à écrit le 08/03/2016 à 11:08
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Osons expliquer cela aux syndicats !

à écrit le 08/03/2016 à 11:01
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Oui je suis d'accord avec ce bon article mais non ce n'est pas le travail qui est la cause de cette profonde crise économique mondiale. Ce qui est la cause de notre profonde crise économique c'est l'accumulation des richesses dans les mains de qu...

le 08/03/2016 à 11:50
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En attendant que vous échafaudiez un plan génial pour reprendre "ce que les riches vous ont volé" il y a 5 millions de chômeurs en France. Il est temps de tenter des solutions à moins que la situation actuelle vous convienne.

le 09/03/2016 à 10:59
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"En attendant que vous échafaudiez un plan génial pour reprendre "ce que les riches vous ont volé" il y a 5 millions de chômeurs en France. " Parce que les riches volent l'argent coupant net le circuit vitale de la redistribution des richesses do...

à écrit le 08/03/2016 à 10:31
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On va commencer à en parler demain dans la rue pour commencer.

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