Lutte contre l'évasion fiscale : les administrations fiscales doivent faire aussi leur révolution

La lutte contre l'évasion fiscale impulsée par l'OCDE passe aussi par l'élimination des risques de double imposition. Mais cela soulève une question d'organisation des administrations. Par Eric Lesprit, Associé,Taj, société d'avocats, membre de Deloitte Touche Tohmatsu Limited

Si les travaux menés par l'OCDE sous l'acronyme BEPS pour lutter contre la fraude fiscale internationale constituent une révolution pour les entreprises, ils contiennent aussi des recommandations à destination des administrations fiscales pour mieux traiter les situations de double imposition. Les administrations fiscales, dont l'administration française, vont ainsi être contraintes de procéder à des ajustements opérationnels, notamment en renforçant leurs équipes. Mais l'OCDE propose également un changement culturel en appelant les administrations fiscales à une réelle collaboration entre elles.

La double imposition, un frein au développement économique

Les cas de «double imposition» subis par les groupes internationaux - cas dans lesquels ces derniers doivent payer deux fois l'impôt sur un même revenu dans 2 pays différents - constituent un frein réel au développement économique, ainsi Chrysler en 2011 a été confronté à une triple imposition représentant un milliard de dollars ! Ils constituent aussi une source de tension entre États, c'est pourquoi ces derniers ont, de longue date, signé des conventions définissant les règles permettant de résoudre ces conflits.

 L'OCDE propose des procédures

 En théorie, ce mécanisme dit de «procédure amiable» permet de traiter ces situations, mais la réalité est plus complexe. Certaines administrations refusent l'ouverture de la procédure, les échanges sont souvent très longs, les solutions parfois partielles ou, à l'extrême, n'aboutissent pas en laissant les acteurs économiques supporter la double imposition. Aussi, très naturellement, l'OCDE a-t-elle proposé pragmatiquement et concrètement les clés pour améliorer l'efficacité des procédures.

Si les travaux de l'OCDE recommandent des ajustements juridiques de certaines conventions, les mesures pratiques pourraient gêner les administrations fiscales en requérant la disponibilité de ressources suffisantes pour traiter ces procédures, l'indépendance à l'égard des services de contrôle, l'amélioration des relations entre les administrations, l'engagement des États à traiter ces procédures dans un délai moyen de deux ans et la publication des règles applicables.

Ces propositions seront-elles suffisantes ? Et surtout les administrations fiscales sont-elles prêtes à les mettre en œuvre avec autant de rapidité que les nouvelles mesures de lutte contre les abus ?

De plus en plus de dossiers de "double imposition"

En effet, dans de nombreux pays, des équipes restreintes font face à une masse de dossiers «double imposition» en augmentation constante (multiplication par près de 2 du nombre des dossiers en 7 ans - statistiques de l'OCDE - soit 4.566 dossiers à fin 2013 au sein des pays de l'OCDE, dont 618 en France). Cette situation obère le traitement efficace de ces affaires, allonge les délais de procédures et pèse sur les finances des groupes qui, en France, doivent désormais payer l'impôt en attendant la solution... et de facto fragilise la pérennité de ressources budgétaires liées aux transactions internationales. Pourtant, d'autres Etats ont su adapter la taille de leurs services aux flux ou aux stocks de ces affaires, assurant ainsi un prélèvement plus rapide, moins conflictuel et sécurisé de ressources budgétaires.

10 personnes en France pour 600 affaires

En France, l'organisation de l'administration dans ce domaine a été revue en 2013. En doublant, d'une part, le nombre de personnes désormais dédiées à ces affaires, loin devant l'Italie ou l'Espagne. Reste que l'équipe demeure restreinte, en comparaison avec d'autres de nos partenaires : moins de 10 personnes en France pour traiter environ 600 affaires, contre environ 100 personnes aux Etats-Unis pour traiter 730 dossiers et 30 en Allemagne pour traiter 860 dossiers. La France doit pourtant faire face à un stock de dossiers de «double imposition» non traités qui reste le troisième plus important des pays de l'OCDE , même s'il décroît. D'autre part, cette nouvelle organisation assure l'indépendance à l'égard des services de contrôle fiscal- comment en effet garantir la recherche d'une solution si les échanges sont organisés sous l'influence des services de contrôle, au risque de voir ces derniers défendre à tout prix leurs positions ? -

La question de la mise en œuvre de ces recommandations à l'égard des administrations au même rythme que les transpositions nationales des travaux de l'OCDE à l'égard des entreprises reste entière. Chacun peut espérer qu'elle se réalisera, d'autant que cette mise en œuvre participera à une collaboration plus sereine entre opérateurs économiques et administrations fiscales, propice à la sécurité juridique recherchée par les opérateurs et à la sécurisation des ressources budgétaires indispensable aux Etats.

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Commentaires 2
à écrit le 19/11/2015 à 22:23
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Merci pour cet article qui donne un reel éclairage par tout un chacun sur le fonctionnement de Bercy. Puisse l'IGF vous entendre et renforcer les moyens humains dédiés à l'instruction des dossiers de double imposition en souffrance. Là n'étai...

à écrit le 18/11/2015 à 14:32
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Il faudrait voir le risque de double imposition, certes, mais aussi chercher à contrôler et surtout finaliser les poursuites contre ceux qui fraudent et "oublient" l'imposition... Quid des GAFA qui ne paient rien, des L'Oreal et des largesses de l'é...

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