Marchés d'actions  : point de salut sans baisse des taux

CHRONIQUE. Cette semaine nous le confirme : le sort des marchés d'actions est plus que jamais lié à celui des taux d'intérêt. Il ne faut espérer aucune accalmie sur les actions tant que les taux courent après l'inflation. Par Karl Eychenne, stratégiste et économiste.
(Crédits : Reuters)

« Il suffira d'un signe », comme dirait l'autre. Ce signe on l'a entre aperçus ce lundi en début d'après-midi, avec la publication de l'ISM manufacturier américain. Plutôt anodin, le chiffre en léger recul révéla néanmoins des baisses surprenantes des deux composantes les plus surveillées par les initiés : l'emploi et les nouvelles commandes. Il n'en faudra pas davantage pour que les investisseurs soient pris de palpitations, appréciant la nouvelle de manière excessive, mais instructive.

Durant les seules journées de lundi et mardi, les taux d'intérêt à 10 ans se détendent de près de -0,2% aussi bien aux États-Unis qu'en Europe, une baisse d'une ampleur inédite compte tenu du contexte haussier depuis le début de l'année : +2%. Quant aux marchés d'actions, ils s'apprécient de près de 5% durant le même moment. Là encore une hausse spectaculaire compte tenu de la tendance baissière des actions depuis le début de l'année : près de -20%. Depuis, les taux se sont quelque peu ressaisis, et les marchés d'actions se sont quelque peu assagis. Néanmoins, les mouvements de cette semaine nous confirment deux faits essentiels, l'un qui ne surprendra personne, l'autre peut-être plus éclairant...

La princesse au petit pois

Le premier fait essentiel est que les taux d'intérêt nous démontrent une sensibilité exubérante. La moindre nouvelle susceptible d'apaiser les craintes des investisseurs suffit à l'exaltation. Et il faut dire qu'ils sont inquiets les investisseurs : la Banque Centrale a décidé de monter ses taux directeurs pour le meilleur (freiner l'inflation), mais aussi pour le pire (étouffer l'activité). Dès lors, la publication de l'ISM a produit son petit effet : les investisseurs ont proclamé l'apaisement immédiat de façon ostensive, comme s'il suffisait de point du doigt l'ISM pour signifier la chose sans la dire.

Rien de nouveau en vérité. Cela fait bien longtemps que l'extrême sensibilité des marchés ne surprend plus personne. Il y a toujours eu de la princesse au petit pois chez l'investisseur. Les marchés sont excessifs, que pourraient-ils être d'autre ? Même l'efficience des marchés autorise des variations rationnelles des primes de risques exigées par les investisseurs... en français, cela signifie que le marché a le droit de s'effondrer si l'investisseur anticipe que la récession économique peut lui faire perdre son emploi et son épargne en même temps. En effet, l'investisseur ne peut pas se couvrir contre le risque de perdre son emploi, par contre il peut toujours se couvrir contre le risque de perdre son épargne. Et puisqu'il ne peut faire que cela, il le fera avec d'autant plus d'entrain, d'où les baisses qui peuvent paraitre excessives au profane.

L'inflation ranime le pouvoir de nuisance des taux

Le deuxième fait essentiel à retenir est peut-être le premier en vérité, car il nous éclaire sur la mécanique des marchés d'actions et des taux en exercice depuis le début de l'année. Ce fait essentiel est que les hausses de taux d'intérêt sont, de nouveau, le principal facteur justifiant la baisse des actions. Le théoricien de la finance ne trouvera pourtant rien d'original à cette affaire, puisque lui sait bien que la valeur d'une action doit baisser si le taux d'intérêt monte. Sauf que le praticien de la finance lui fera remarquer que ce n'était plus le cas depuis les années 2000, puisque les taux avaient tendance à baisser alors que les actions avaient tendance à faire ce qu'elles voulaient.

Le théoricien plutôt ouvert d'esprit récusera quand même l'antinomie. Pour cela, il proposera l'intervention d'une variable cachée susceptible de justifier l'anomalie observée par le praticien : la prime de risque. « Si les actions ont désobéi aux taux, c'est parce que la prime de risque exigée par l'investisseur a brouillé les cartes », dit le théoricien. « Super, et pourquoi elle n'agit plus aujourd'hui ta prime de risque ? », répond le praticien. Effectivement, la prime se semble plus agir aujourd'hui puisque les taux exercent de nouveau leur pouvoir de nuisance sur les actions. Un débat pas si stérile qu'il en a l'air, puisqu'après de longs échanges théoriciens et praticiens dénoueront le nœud gordien de cette affaire. « Si les taux causent de nouveau des soucis aux actions, c'est probablement parce que l'inflation cause de nouveau des soucis aux Banquiers centraux... ».

En effet, il sera relevé que durant les 20 dernières années l'inflation a disparu des radars. Le cas des États-Unis est éclairant, avec un taux de chômage ayant atteint des niveaux bien plus bas que le niveau dit naturel (NAIRU), sans motiver aucune accélération indésirable de l'inflation, ou inflexion des anticipations d'inflation de long terme. Cette inflation décevante eut pour effet de débrancher les taux d'intérêt du risque inflationniste, et d'inviter les Banques Centrales à se réorienter professionnellement. Sans fonction, mais pas sans organe, ces mêmes Banques Centrales décidèrent alors d'utiliser leur taux non plus pour lutter contre l'inflation, mais comme pompe à incendie : en cas de crise, on baisse les taux à 0%. La pratique de politiques monétaires ultra-accommodantes eut alors pour effet d'asphyxier progressivement les taux d'intérêt de long terme, et ainsi d'annihiler leur pouvoir de nuisance sur les marchés d'actions.

Mais aujourd'hui, le retour de l'inflation en fanfare change la donne. Désormais, les Banquiers centraux  doivent de nouveau utiliser leurs taux afin de lutter contre l'inflation, et non plus pour sauver la planète. Les taux ont donc de nouveau carte blanche pour monter autant qu'ils le souhaitent. De fait, les taux redeviennent alors une menace pour les marchés d'actions. D'où la forte baisse des actions depuis le début de l'année, dans un contexte de remontées significatives des taux d'intérêt. Tant que le risque inflationniste restera d'actualité, le pouvoir de nuisance des taux envers les actions restera effectif. Et puisque la crise énergétique en cours ne permet pas d'anticiper un apaisement prochain côté inflation, on peut raisonnablement penser que les taux continueront d'inhiber les marchés d'actions.

« C'était un désespéré. On le comprend, il avait prévu l'avenir »
De Gaulle à propos de Chateaubriand

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