Modernisation de l'Etat : dépasser les idées reçues

Avant de reprendre sereinement le chantier de la réforme de l'Etat, il faut évacuer sept idées reçues qui, souvent, bloquent toute avancée. Par Agnès Audier, directrice associée en charge du secteur public au Boston Consulting Group

 La modernisation de l'Etat et des structures publiques constituera un chantier majeur du prochain quinquennat, parce que les citoyens demandent une administration plus performante et moins couteuse, parce que les situations économique et sociale, mais aussi sécuritaire et diplomatique conduisent à une demande forte de plus d'Etat et de services publics, et qu'il faut donc redéployer et s'adapter.

 Pour changer un corps social, un peu comme pour changer soi-même, il faut se défaire des idées fausses qui empêchent d'avancer. Je voudrais en nommer sept qui expliquent en partie la vitesse de tortue à laquelle ce grand chantier avance depuis des années.

  • "Les agents publics sont frileux, et conservateurs. Ils se mettent en grève dès qu'il y a des changements majeurs".

FAUX : les agents publics sont aujourd'hui pleinement conscients qu'il faut bouger. La situation de diminution des budgets conduit à des pannes et à des dysfonctionnements majeurs, crée de la tension et des zones de paupérisation de certains services. Chacun voit bien qu'il est anormal qu'on ait sous-investi dans le réseau ferroviaire, dans nos équipements militaires, dans nos hôpitaux publics, que nos universités et la prévention sanitaire manquent de moyens. La réduction de budgets, sans choix et sans réorganisation, conduit à une baisse de qualité des services, et à une pression accrue sur les agents publics. Elle engendre aussi une baisse d'expertise de l'Etat "concepteur des politiques" qui n'aide pas à gérer des dossiers clés comme le décrochage scolaire ou le sauvetage d'Areva.

  • "Le changement c'est du sang et des larmes"

FAUX : après avoir sous-estimé pendant des années la résistance naturelle des hommes aux changements, nous la surestimons maintenant : les agents souffrent des dysfonctionnements comme de la colère des citoyens. Ils sont aussi de plus en plus dans la situation d'avoir des équipements à la maison (tablettes, stockages, "apps", ...) plus performants que ceux qu'ils utilisent lorsqu'ils travaillent. Changer pour mieux s'organiser, pour avoir de meilleurs outils, pour mieux satisfaire des "clients citoyens" est un objectif motivant pour une immense majorité. Encore faut-il accompagner chacun : prendre en compte ses aspirations, ses enjeux, ses besoins de formation, de mobilité, ... C'est parce qu'il accompagne le changement notamment avec des équipes RH de proximité, que le secteur privé parvient à évoluer parfois de façon très rapide et très profonde.

  • "On a besoin d'une nouvelle revue des politiques publiques pour rationaliser, car la complexité du mille feuilles français est le gros problème"

FAUX : on peut bien sûr rationaliser. Mais l'exercice a été tenté de nombreuses fois avec des succès mitigés parce qu'il butte sur des principes organisationnels et démocratiques forts, quasi constitutionnels. Prenons acte de la donne institutionnelle et avançons en tenant compte de la complexité de la gouvernance. Trouvons des moyens de faire coopérer les structures entre elles "dans le dur" (par exemple en mutualisant les instructions de dossiers, en créant des passerelles informatiques, ....), repartons des "points de douleurs" des utilisateurs pour construire des services adaptés. L'administration doit et peut gérer sa complexité si les institutions ne permettent pas de simplifier drastiquement.

  • "Il faut lancer un nouveau train d'expérimentations"

FAUX : cela fait dix ans que notre pays expérimente, à petite échelle, des centaines de choses qui ne sont pas mises en place "en grand", en vrai. Il ne faut pas confondre "expérimenter" et "tester avant de déployer". Le propre de la sphère publique est qu'il faut souvent servir des centaines de milliers, voire des millions de citoyens. Bien sûr, tout plan d'action qui concerne plusieurs territoires devrait être testé. Mais les expérimentations "pour expérimenter", pour faire moderne, absorbent une énergie disproportionnée par rapport à ce qu'elles apportent. Elles se multiplient d'autant plus que la pression sur les ministres pour communiquer est forte et leurs marges financières modestes : annoncer un pilote ne coûte jamais cher ! Il est urgent de sélectionner les tests concluants et de les mettre en œuvre partout ou cela est pertinent, en accompagnant le déploiement des moyens nécessaires.

  • "Il faut se concentrer sur le fonctionnement des administrations"

FAUX : il faut mener de front le fonctionnement des administrations, de toutes les structures qui produisent des services (armée, hôpitaux, Pôle Emploi, ...) ET travailler sur la qualité des politiques publiques. Nous sommes à un tel niveau de dysfonctionnement qu'il faut revoir à la fois les politiques et leurs mises en œuvre, sans oublier que les deux sont liées : on doit concevoir des politiques pas trop difficiles à déployer, avec peu d'effets pervers et de besoins de contrôle.

  • "On ne sait pas anticiper l'impact des réformes, on se trompe régulièrement"

FAUX : notre tradition politico-administrative n'a pas donné sa chance aux études d'impact. Elles sont conçues comme une obligation bureaucratique, pas comme une aide à la décision pour l'Etat et le Parlement. Pourtant, quoi de plus sérieux et consensuel que de demander à des experts (y compris internes à l'administration) d'anticiper les impacts des décisions dans toutes les dimensions pour différentes hypothèses économiques et sociales. Un axe a été particulièrement mal traité : l'impact macro-économique. Les effets catastrophiques sur le secteur du BTP l'ont montré à de nombreuses reprises, mais il existe bien d'autres exemples. Les études d'impact devraient ainsi servir à prioriser les décisions en tenant compte du contexte macro-économique (aujourd'hui très atone) qui caractérise notre époque : accélérons les décisions qui n'ont pas d'effet négatif à court terme sur l'emploi, il y a une longue liste de candidates.

  • "Les Français et les politiques se désintéressent du sujet"

FAUX : les événements dramatiques récents montrent à quel point les Français s'intéressent au fonctionnement de la police (ou des polices) et de la défense, comme d'autres sont concernés par les services publics de l'école, de la santé ou de l'emploi. Et tous les Français font le lien entre le niveau des prélèvements obligatoires et le fonctionnement des services publics. Il existe un chemin (étroit) pour diminuer la dépense publique tout en améliorant à la fois la qualité, notamment grâce au digital. Les femmes et les hommes politiques devraient s'intéresser plus au fonctionnement de l'Etat, car les citoyens ont compris que le sujet était clé.

 Une fois partagée cette conviction que ces sept idées sont des fausses idées, il est possible de reprendre sereinement et avec ambition les chantiers, complexes et techniques, de la réforme de l'Etat, avec l'immense réservoir de bonnes volontés du côté des agents, des hauts fonctionnaires, et des citoyens. En ce domaine aussi, les effets d'annonce ont fait long feu. L'attention des citoyens et des agents s'est déportée sur le "comment ?" (la méthode), puisque la pertinence du "que faire ?" (l'ambition / le cap) n'est presque plus l'objet de débat.

 S'inspirer des administrations étrangères

Pour mettre en œuvre les programmes de modernisation, l'administration française peut s'inspirer d'une riche expérience accumulée par des administrations étrangères - par exemple la Delivery Unit britannique - ou des organisations privées comparables en taille et en complexité. La somme de ces efforts en vaut la chandelle : crédibilité de l'action publique, ré-engagement des agents dans leurs missions, satisfaction accrue des citoyens-bénéficiaires, gains d'efficacité et de coûts, absolument indispensables dans le contexte budgétaire actuel. Des victoires rapides et visibles en matière de modernisation de l'Etat sont à portée de main. Elles seront de nature à restaurer la confiance en l'action publique et l'acceptation à payer l'impôt notamment.

Par Agnès Audier, directrice associée en charge du secteur public au Boston Consulting Group

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Commentaire 1
à écrit le 28/09/2016 à 12:17
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Mais il est tellement plus payant, politiquement et médiatiquement, de "cliver" en surfant sur ces idées reçues ...

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