Ne pas en demander trop à la loi

L'affaire Fillon nous rappelle cette vérité d'évidence : la loi et les mœurs sont deux domaines qui ne se recouvrent que partiellement. Par Bruno Alomar, économiste, enseignant en affaires européennes à Sciences Po

L'affaire Fillon nous rappelle cette vérité d'évidence : la loi et les mœurs sont deux domaines qui ne se recouvrent que partiellement. Notre tradition politique et juridique est à cet égard partagée. Elle emprunte au dura lex sed lex des romains, lui même écho de la loi fondatrice de l'égalité citoyenne de la cité grecque démocratique. Pourtant, elle se nourrit aussi de l'idée que la loi, à elle seule, ne peut signifier l'alpha et l'omega de l'action du citoyen dans la cité. La tradition, l'habitude, et il faut bien le dire, la nature humaine, s'y opposent. Dès lors Tocqueville, dans l'Ancien Régime et la Révolution, qualifie la monarchie française, qu'il estime sage en cela, par ces mots : « une règle dure, une pratique molle ». Les britanniques, pour leur part, pensent un droit de common law, c'est à dire non pas un droit qui enserre le fait, mais au contraire un droit qui nait du fait.

 La loi ne suffit pas

Disons-le tout net : penser que l'application stricte de la norme juridique est à elle seule capable de réguler les rapports sociaux, c'est lui conférer un pouvoir et une responsabilité si exagérés qu'elle en deviendrait dangereuse. Les exemples à cet égard ne manquent pas.

D'un point de vue individuel, l'on touche à l'évidence à la question des libertés publiques et de la responsabilité du citoyen. Nos systèmes politiques et juridiques se caractérisent par une inflation normative qui enserre le citoyen à chaque moment de sa journée, et tout au long de sa vie. Les excès en la matière sont souvent dénoncés. C'est le cas de l'Union européenne, pour l'essentiel un producteur de normes, qui après avoir fait sien le mantra « je régule donc j'existe » a difficilement commencé à s'auto limiter. C'est encore le cas de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, toujours désireuse de bâtir un système de libertés publiques uniforme en Europe, paradoxalement beaucoup plus standardisé et négateur des différences que le système américain, d'essence fédérale. C'est également le cas des Etats-Nations européens, dont l'interprétation du principe de subsidiarité est trop souvent de complexifier et durcir encore la norme appliquée au citoyen.

 Despotisme égalisateur

Les effets négatifs de l'excès normatif sont bien connus. Le citoyen, contrairement à l'article 1 du Code Civil, est contraint et forcé d'ignorer une loi complexe - et hélas souvent mal rédigée. Attaché à sa liberté, il ne tolère pas ce despotisme égalisateur si bien décrit par Tocqueville, cette immixtion permanente dans les moindres aspects de sa vie. Et logiquement, n'en déplaise au Croquemitaines-législateur, il continue à donner des fessées à ses enfants en dépit des interdictions. De même, moralement culpabilisé, financièrement sanctionné, les analyses récentes l'attestent, il continue à fumer, paquet neutre de cigarettes ou non.

 Un problème fondamental de la construction européenne

D'un point de vue collectif, l'on touche ici à l'un des problèmes fondamentaux de la construction européenne. Il n'est pas ici question de contester le choix des Pères fondateurs de bâtir l'Europe sur le droit, plutôt que sur la violence politique. Il est cependant question de s'interroger sur l'effectivité d'un système européen qui accorde à la norme européenne (traité et droit dérivé) une importance telle qu'elle manque une partie essentielle de la réalité. Là encore les exemples abondent.

 Ainsi la question du recours au traité comme moyen de construire l'Europe reste-t-elle lancinante. Face aux difficultés de la zone euro, dans un contexte post Brexit, le débat fait rage pour savoir s'il est nécessaire d'adopter un énième traité. Mais qui ne voit que la sophistication du traité dit « Six Pack », imaginé pour rendre impossible les déviations en matière de finances publiques, s'est heurtée à la réalité politique : un Etat comme la France n'a pas décidé de tenir l'engagement des 3%, et nul ne peut l'y contraindre ! C'est le même hubris qui a saisi l'Europe quand il s'est agi de traiter le problème grec. Les instances européennes, oubliant le mot d'Auguste Comte « l'humanité est plus gouvernée par les morts que par les vivants », ont sincèrement cru, au mépris de traditions très profondément ancrées, qu'il serait possible de plaquer des règles sur des réalités grecques en réalité largement intangibles.

 En définitive, il n'est pas exagéré de dire qu'une société fonctionne d'autant mieux qu'elle sait trouver un équilibre de raison entre la loi, technique, nécessaire, qui dispense pour l'avenir, et les mœurs et habitudes, expression du temps braudélien qu'il est illusoire de prétendre accélérer. Montesquieu, traitant de l'esprit des lois, ne disait-il pas avec quelque sagesse « les mœurs font de meilleurs citoyens que les lois » ?

Bruno Alomar, économiste, enseigne les questions européennes à Sciences Po

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Commentaire 1
à écrit le 20/02/2017 à 16:49
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Merci pour cet article. L'inflation législative n'aide pas non plus au respect des Lois, trop de lois tuent la Loi c'est une évidence alors qu'avec une règle simple claire nette et précise sur le respect de la vie le fameux "ne pas faire aux autr...

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