« Otez-moi d’un doute : rien à voir avec la crise de 2008... n’est-ce pas ?  »

CHRONIQUE. Sommes-nous en train de lever un coin du voile de la crise de 2008 ? Ou bien les cas des banques SVB et Crédit suisse ne sont-ils que des épiphénomènes ? Les Banques centrales ont une petite idée. Les marchés non plus... Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : Reuters)

Les crises affectant les banques SVB et Crédit suisse n'ont rien à voir entre elles. Probablement. Ces 2 crises n'ont à rien voir non plus avec la super-crise financière de 2008. Vraisemblablement. Mais est-ce vraiment important ? Non. En médecine comme en finance, ce qui est important ce n'est pas le symptôme, c'est le prodrome. La différence est subtile mais décisive.

Une même maladie se manifeste parfois par des symptômes bien différents : des boutons, de la fièvre, mal de crâne... Mais le prodrome est le tout premier des symptômes, un genre de symptôme des symptômes, le signe avant - coureur d'un malaise, d'une crise. Et dans le cas présent, le prodrome des malheurs de SVB et Crédit suisse, c'est la hausse des taux d'intérêt. En ce sens, la crise actuelle a la même couleur, la même odeur que celle de 2008, dont le signe avant-coureur avait aussi été la hausse des taux.

Pourtant, la hausse des taux n'aurait dû rien annoncer du tout. Nous n'avions aucune raison de nous inquiéter. Et nous n'avons peut-être aucune raison de nous inquiéter en fait. Les règles ont été renforcées depuis 2008, les banques ne peuvent plus faire n'importe quoi, sans qu'on le sache. En clair, les banques sont capables de supporter de telles hausses de taux, l'impossible n'est donc pas susceptible de se produire. Les tracas de SVB et Crédit suisse sont donc des anomalies, des feux isolés qui ne relèvent que de l'imprudence de certains.

Alors pourquoi nous inquiétons - nous quand même ?

Parce que nous en sommes capables. Nous sommes capables de nous inquiéter beaucoup à partir de très peu de motifs d'inquiétude. Un genre de scandale de l'induction bien connu des scientifiques qui s'étonnent toujours que l'on puisse savoir autant à partir de si peu. SVB et Crédit suisse seraient ainsi de trop pauvres stimulus pour signifier quoi que ce soit de ce qui va advenir, mais cela nous suffirait quand même pour nous faire craindre le pire.

Parole aux agnotologues de la finance

Un autre motif d'inquiétude est la faconde des spécialistes. Il faut toujours se méfier d'un spécialiste qui parle de ce qu'il ne peut pas savoir. Il vaut mieux écouter celui qui ne parle pas. Car le meilleur moyen de préparer la catastrophe est de faire preuve de sidération, la lippe démesurée, abruti par anticipation du choc à venir. Peut-être notre poète du verger Philippe Jaccottet a-t-il les mots qui décrivent le mieux la stratégie à adopter :

« Je me tiens dans ma chambre et d'abord, je me tais, 
et j'attends qu'un à un les mensonges s'écartent ».

Or, ce n'est pas cela qui est observé, du tout. On assiste plutôt à une jacasserie d'experts ou pseudos, mêlant calculs de coins de tables, rires gras, et graphes en couleurs, dont une meilleure utilisation serait d'encombrer les tinettes de la finance de marché. Le bavardage est donc un motif d'inquiétude.

La Banque centrale ambiguë

Un motif plus sérieux d'inquiétude est l'attitude équivoque de la Banque centrale américaine. « Il faut lutter contre l'inflation, quoi qu'il en coûte », donc elle durcit les conditions de financement (hausse des taux...). « Il faut éviter la panique bancaire, quoi qu'il en coûte », donc elle assouplit les conditions de financement (garanties aux déposants...). Tout l'inverse donc.

« Vous caricaturez ! ». Peut-être, mais ce n'est pas moi qui ai commencé. Car la Fed assume tout à fait ce double langage qu'elle tient. Elle semble tout à fait à l'aise avec le fait de monter et baisser les taux en même temps (là je caricature). La Fed n'a pas viré de bord, pas encore. Elle a bien deux objectifs de politique monétaire, antinomiques : durcissement et assouplissement. Le marché a-t-il saisi la nuance ? On lui en demande peut-être un peu trop.

« Ce dont on ne peut rien dire, il faut le vendre »

Ainsi parlait l'auteur d'Homo festivus, Philippe Muray paraphrasant Wittgenstein. Il semblerait bien que les investisseurs reprennent en cœur l'adage. En effet, que peut - on dire après 3 jours animés par SVB, puis l'intervention de la Banque centrale américaine, et enfin Crédit suisse ? On peut dire que les marchés d'actions sont bien plus bas, que les taux d'intérêt sont encore plus bas, et que donc les investisseurs sont passés en mode PLSF (position latérale de sécurité financière). Ils vendent tout ce qui touche de près ou de loin aux actifs réputés risqués (actions, crédit, produits exotiques...), et se réfugient sur les actifs qui étaient réputés non risqués avant que l'on parle d'inflation galopante (emprunts d'Etats).

Ces mouvements ne reflètent aucune conviction particulière, ils n'en ont pas besoin. L'investisseur sait juste que la loi de Murphy n'existe pas, en finance non plus. L'investisseur sait donc qu'il ne souffre pas d'un implacable guignon. Forcément, la succession des mauvaises surprises SVB puis Crédit suisse est tout sauf une mauvaise surprise. Il y a donc quelque vice caché dans cette affaire. La succession des mauvaises surprises n'est alors plus simplement cumulative, mais exponentielle. Chaque nouvelle mauvaise surprise appuie plus fort encore sur la plaie de la mauvaise surprise précédente. Nous en sommes là.

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