Pascal Saint-Amans : "A l'automne, nous pourrions avoir mis fin aux paradis fiscaux"

Pour Pascal Saint-Amans, l'utilisation des paradis fiscaux par les particuliers a vécu, avec la fin du secret bancaire. S'agissant des entreprises, les nouveaux standards de l'OCDE pourraient être adoptés à l'automne. Ils permettront de limiter fortement l'évasion fiscale. Et de rapatrier l'équivalent de plusieurs points d'Impôt sur les sociétés dans les caisses des États.
Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE

En 2009, Nicolas Sarkozy avait déclaré avoir mis fin aux paradis fiscaux. Ne s'était-il pas un peu avancé ?
La réponse ne peut être que nuancée. Il y a deux volets. S'agissant du secret bancaire, la messe est dite, ou presque.
L'échange de renseignements à la demande -une administration demande des informations à son homologue dans autre pays- est effectif. Les États qui ne jouaient pas le jeu sont en passe de changer (Luxembourg, Seychelles... ). Si, en 2009-2010, on ne comptait que quelques dizaines de demandes d'échange de renseignement, aujourd'hui, on parle de milliers. Et ces milliers de questions font l'objet de réponses, dans les délais.

Surtout, nous passons aujourd'hui la vitesse supérieure, avec l'échange automatique, synonyme de véritable fin du secret bancaire. Chaque banque va désormais répertorier les comptes bancaires de tous ses clients non-résidents et, de façon automatique, envoyer les informations les concernant directement aux administrations de leur pays d'origine. Sous la pression de l'OCDE et du G20, tous les pays du monde ont pris l'engagement de passer à l'échange automatique de renseignements, c'est massif. Et réel.

Peut-on être certain du respect de ces procédures. Des trucages ne sont-ils pas possibles ?
C'est toujours possible. La question est de savoir si ces trucages sont en quelque sorte incorporés dans la législation, dans le standard, parce que celui-ci serait l'objet d'un compromis laissant des « trous », dont les acteurs profitent. En l'occurrence, ce n'est pas le cas, le standard ne comporte pas de faiblesse. Si jamais certaines apparaissaient, elles seraient corrigées immédiatement. Ce standard, c'est la « multilatéralisation » d'une législation unilatérale, celle imposée par les Américains (le fameux Fatca). C'est un standard très robuste que nous avons repris.


Tous les pays sont-ils prêts à appliquer ce standard ?

A partir de 2018, l'examen par les pairs, dans le cadre du forum mondial, permettra de la vérifier. Ce sera assez intrusif. Nous irons voir de façon très concrète comment ça se passe. Je suis optimiste, car des acteurs majeurs, les principales places financières mondiales, comme la Suisse, Singapour, le Luxembourg, les dépendances britanniques (îles Caïman, Bermudes, Jersey...) ont décidé d'avancer.
Les banques suisses travaillent désormais étroitement avec nous Certains particuliers décident de conserver leur argent en Suisse, mais il est désormais déclaré à leur pays de résidence.

Les trusts vont-ils toujours permettre de passer à travers les mailles du filet ?

Les techniques de dissimulation incluent l'utilisation de ces formes juridiques anglo-saxonnes, qui permettent de dissocier la propriété juridique de la propriété effective. Beaucoup d'abus étaient effectivement possibles. Mais notre standard met fin au secret bancaire également concernant les trusts. A cet égard, il n'existe que quelques poches de résistance, comme Panama. Mais elles font l'objet d'une pression croissante. Nous allons assister à la criminalisation de la fraude via le secret bancaire. Ce qui était jusqu'à maintenant illégal mais largement toléré - cela ne nuisait pas à une bonne réputation- à savoir la fraude fiscale, va désormais être de plus en plus difficile à organiser, sauf à passer par des circuits proches de la criminalité.

Quel est le second volet de la lutte contre les paradis fiscaux ?

C'est le plus complexe, il s'agit de l'utilisation des paradis fiscaux pour localiser les profits des entreprises. Quand Nicolas Sarkozy déclare avoir mis fin aux paradis fiscaux, le scepticisme reprend face aux milliers de milliards de dollars qui se trouvent aux Bermudes! C'est là qu'intervient le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), que nous conduisons avec le G20.

La philosophie de ce projet, c'est de réaligner localisation des profits et localisation des activités économiques. En d'autres termes, la globalisation de l'économie, la planification fiscale plus agressive des entreprises, et l'inadéquation des règles de fiscalité, ont conduit à de véritables monstres juridiques, permettant de localiser une partie importante des profits dans des pays où il ne se passe rien, où aucune activité n'a lieu, mais où les taux d'imposition sont nuls ou presque.

Via des jeux contractuels, via les règles des prix du transfert, il est possible, légalement, de placer toute la propriété intellectuelle dans des pays à faible fiscalité. Par définition, la propriété intellectuelle est mobile, incorporelle. Il est donc aisé de la dissocier de l'activité économique réelle. Notre projet, lancé fin 2012, a pour objectif de changer les règles d'ici cet automne.
La moitié du travail est faite. Nous espérons bien finaliser l'autre moitié pour le G20 du 8 octobre, à Lima.

Quelles sont les mesures les plus importantes, pour « relocaliser » les profits dans les pays où se concentre l'activité économique ?

Toutes les mesures sont importantes. Mais il existe quatre domaines où tout le monde doit adopter la même règle. C'est impératif : si tout le monde n'applique pas en même temps ces standards minimaux, cela ne marche pas.
1 - Il faut traiter, si l'on peut dire, la question de l'abus des traités. En jouant sur les différentes conventions, il est possible d'échapper à toute imposition. Exemple : 27% de l'investissement direct en Inde passe par l'île Maurice. Pourquoi ? Parce que ce faisant, l'investisseur est exonéré des plus-values réalisées en Inde, tout comme dans son Etat de résidence. Les plus-values sont localisées à Maurice, qui ne taxe pas. Il faut évidemment mettre fin à cette possibilité, comme aux autres systèmes. Ce ne sera pas sans conséquence sur certains lobbies : aujourd'hui, 10.000 avocats néerlandais ne vivent que de l'abus des traités. Ils devront se reconvertir !
2 - Le deuxième domaine, c'est celui des pratiques fiscales dommageables, les fameux rulings fiscaux (exemple du Luxembourg). Les administrations devront désormais échanger avec leurs homologues sur ces pratiques.
3 - En troisième lieu, un standard va être mis en place concernant le « reporting » pays par pays. Les entreprises devront déclarer aux administrations fiscales la cartographie de leur planification fiscale : où sont les profits, où sont les employés, où est le chiffre d'affaires....
4 - Enfin, est prévu un standard minimum pour éviter d'aboutir à des doubles impositions.

Voilà pour les mesures qui doivent être adoptées partout. Il existera un deuxième bloc de mesures, consistant à fournir aux pays qui le souhaitent des interprétations, permettant de réviser profondeur les règles de prix de transfert, pour rendre impossibles les fantaisies juridiques. Au total, nous devrions parvenir à quelque chose de très substantiel.


Les grandes entreprises françaises, représentées par l'Afep, ont sévèrement critiqué votre projet, affirmant qu'il allait conduire à une perte de recettes fiscales pour la France...

Nous faisons face à un lobbying extrêmement virulent de la communauté des affaires qui n'aime pas du tout ce que nous entreprenons, à tort. Car si nous ne mettons pas en oeuvre ces réformes, la capacité à avoir règles communes internationales en matière fiscale va voler en éclats. In fine, on se trouvera face à un monde chinois-Brics avec ses propres règles, un monde américain avec ses propres règles, l'Europe avec les siennes...

L'Afep a très peu contribué à nos travaux, alors que nous étions preneurs de leurs avis. Sur le fond, leur analyse est caricaturale. Ce qui est juste dans leur discours, c'est que nous rentrons dans une zone d'instabilité. C'est exact, mais cela n'a rien à voir avec le lancement de notre processus BEPS. S'il y a de l'instabilité, c'est parce que la Chine, l'Inde, etc... représentent une part croissante du PIB, mondial, et que ces pays arrivent avec leur propre vision de l'économie, de la fiscalité. Ce sont des marchés dominants, avec des opportunités d'affaires de plus en plus nombreuses. Il est normal qu'ils veuillent recueillir une plus grande part des recettes fiscales.

Notre projet est précisément de imiter la guerre fiscale, pas de la susciter. L'Afep estime que la mise en œuvre de BEPS pourrait faciliter la taxation en Chine. Mais soyons lucides, cela a déjà lieu.
La question est : organise-t-on les choses avec ces pays ou veut-on maintenir à tout prix les vieux standards ? Cette deuxième position témoigne d'un manque de vision stratégique.

Quels seront les transferts fiscaux, à l'issue de vos réformes ?

Nous sommes en discussion sur le sujet. D'ores et déjà, on peut évoquer une recette supplémentaire équivalente à plusieurs points d'IS (impôts sur les bénéfices des sociétés) pour les pays à fiscalité « normale ». Ce sera même plus dans les pays en développement, qui tablent beaucoup sur l'IS, car la TVA y joue un rôle moindre.
Mais les entreprises ne seraient pas nécessairement perdantes, puisque, forts de recettes supplémentaires grâce à la fin de l'évasion fiscale, les États pourraient baisser les taux d'IS. Ce qui serait plutôt de bonne politique fiscale. Soyons plus compétitifs, faisons comme les anglais, qui ont d'ores et déjà baissé leur imposition des bénéfices !

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Commentaires 10
à écrit le 28/06/2015 à 15:03
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Qu'est-ce à dire ? Cette interview diffusée ce vendredi 19 juin daterait d'avant octobre 2014 "La moitié du travail est faite. Nous espérons bien finaliser l'autre moitié pour le G20 du 8 octobre, à Lima.". L'article et les informations sont captiv...

à écrit le 23/06/2015 à 22:29
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Voilà de bien belles paroles, mais je me demande si elles seront suivies d'effets. Alors, pour ma part, j'ai préféré signé l'ICE lancée par ANTICOR !

à écrit le 19/06/2015 à 16:15
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Nos dieux suppriment les paradis, heureusement il nous reste l'enfer, ils adorent.

à écrit le 19/06/2015 à 10:34
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on ne vole l'argent des gens une fois, ensuite il faut travailler !!!! car les gens riches ne se font voler qu'une fois, après ils iront en Asie ou arrêteront de travailler , ce que nous avons en France !!!

à écrit le 19/06/2015 à 6:57
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Ce qu'il y a de remarquable dans cette chasse aux sorcières (sic) c'est que les branquignols qui se pètent les bretelles en jouant aux vertueux incorruptibles (re-sic) voudraient nous faire croire (avec succès hélas) QUE ÇA VA ARRANGER LES CHOSES au...

à écrit le 18/06/2015 à 20:24
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Tout va aller pour le mieux nous assure le socialiste St Amand, les paradis fiscaux sont terminés, les trucages aussi maintenant il va falloir s'attaquer aux gaspillages publiques, aux déficits des comptes publiques péjorant des générations et la bon...

à écrit le 18/06/2015 à 18:15
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Bien optimiste tout ça! Les américains ont mis 2 ans à mettre en oeuvre Fatca; l'efficacité fut redoudable: fin du secret bancaire. Mais, combien de temps va t on mettre pour faire ce que dit Mr Saint mans... Si on le fait, ce dont je doute...

à écrit le 18/06/2015 à 18:09
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Ce qui me fait sourire c'est que ça n'arrangera pas du tout les finances françaises. Bien au contraire car la concurrence fiscale sera maintenant frontale. Les acteurs partiront plus vite car la France et ses 57,5 % de dépenses publiques ne pourra se...

à écrit le 18/06/2015 à 16:40
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croisons les doigts... car l'opposition des lobbying des communautés financières semble être vigoureuse, on s'en serait douté.

à écrit le 18/06/2015 à 16:38
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On peut faire confiance aux consultants et fiscalistes et juristes divers pour faire renaître le phénix de ses cendres!

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