Politiques et scientifiques  : attention aux conséquences du divorce  !

Depuis maintenant plusieurs décennies, la science et les technologies font l'objet d'une méfiance généralisée, si ce n'est d'un rejet. A tel point que la classe politique ne fait plus confiance à ses scientifiques pour guider ses choix, en oubliant que le domaine du savoir est la principale source de puissance d'une pays. Par Gérard Kafadaroff (*), ingénieur agronome.
Pour Gérard Kafadaroff, "les politiques, coupés de la communauté scientifique et du contexte international, sont dans l'incapacité de hiérarchiser les risques, à fortiori d'en prendre."

Au travers des technologies, la science n'a jamais été aussi présente dans la société.
Ne cessant d'explorer des domaines nouveaux, elle s'est complexifiée et est devenue plus difficile d'accès. Paradoxalement, la culture scientifique n'est pas associée à la culture générale, et les matières scientifiques ont perdu de leur attrait pour les étudiants.

Les responsables politiques, peu formés aux sciences, doivent prendre des décisions importantes pour l'introduction de technologies nouvelles à fort impact sociétal.
Pour les éclairer, des instances d'évaluation réunissant de nombreux experts scientifiques ont été créées. L'OPESCT (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) a été créé en 1983  dans ce même objectif.

Un comportement distant envers la science, le progrès et la rationalité

Mais la classe politique française ne fait pas ou ne fait plus confiance aux scientifiques, semblant ignorer que le domaine du savoir est la principale source de puissance et de rayonnement d'un pays.
Ce comportement distant ou de méfiance envers la science, le progrès et la rationalité, touche une grande partie de la population. Les politiques en sont responsables.
Influencés par un principe de précaution dévoyé et un illusoire risque zéro, ils avancent des arguments sécuritaires pour occulter les bénéfices des nouvelles technologies ou masquer des motivations politico-idéologiques. Coupés de la communauté scientifique et du contexte international, ils sont dans l'incapacité de hiérarchiser les risques, à fortiori d'en prendre.
En 1957, Roland Barthes écrivait déjà : «La science va vite et droit en son chemin mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l'erreur par le pouvoir, la grande presse et les valeurs d'ordre».

Lors de la campagne présidentielle 2012, Michel Serres écrivait : « ... la classe politique n'a pas encore pris acte des mutations de notre temps. Elle ne mesure pas le changement social qu'induisent les nouvelles technologies».
Toutes les disciplines scientifiques sont concernées : physique (énergie nucléaire, ondes électromagnétiques des antennes-relais...), chimie (pesticides, perturbateurs endocriniens...), biologie (manipulations génétiques...).

La gestion politique des OGM est l'exemple le plus criard et condense mépris de la science, déni de réalité, refus de savoir, connivences avec la mouvance écolo, mensonges et encouragement à une dérive scientifique.

L'influence de minorités militantes

Deux décennies durant, les politiques ballotés au gré de l'opinion, influencés par les minorités militantes, sans réelle volonté de voir la réalité ou d'évaluer les propositions technologiques, se sont éloignés du monde scientifique, se risquant même à s'écarter de la vérité.
En 2006, Mme Royal indignait la communauté scientifique en déclarant à propos des OGM «qu'il existe des rapports sur la santé publique qui montrent qu'il y a notamment un impact sur le foetus» !
En 2008, Mme Kosciusko-Morizet affichait son ignorance : «pour le moment ce qui est en catalogue ne présente pas d'intérêt» alors que dans le monde 13 millions d'agriculteurs avaient adopté les OGM.

Le mépris et le dénigrement des instances d'évaluation, créées par les politiques eux-mêmes, est significative de la rupture avec les scientifiques.

En 1997, premier avatar de deux décennies de turpitudes politiciennes : le gouvernement Juppé interdisait la culture du premier maïs génétiquement modifié, contre l'avis de la Commission européenne et de la CGB (Commission du génie biomoléculaire) chargée d'évaluer les risques sanitaires et environnementaux, provoquant la démission de son président, le généticien Axel Kahn.
En 2008, le Grenelle de l'environnement fut une grotesque mascarade politicienne doublée d'une instrumentalisation de la science afin de masquer un accord secret entre gouvernement et ONG écologistes : la paix sur le nucléaire contre l'abandon des OGM !

Basses manoeuvres

Les basses manœuvres visant à  interdire le seul OGM autorisé en Europe, le maïs Mon 810, ne convaincront ni les agences de sécurité française (AFSSA) et européenne (EFSA) qui avaient confirmé  l'innocuité de ce maïs, ni les Académies scientifiques dont les protestations resteront lettre morte.

Sourds aux avis des experts ou critiques !
Jean-Louis Borloo déclarait: «On est sur des autorisations dont les critères relèvent davantage du droit de la concurrence que de l'expertise scientifique», sans mesurer l'injure faite aux scientifiques des instances d'évaluation.

Deux ans plus tard, Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'Ecologie, dénigrait à son tour l'EFSA : « Les experts ne s'intéressent aux OGM que par le petit bout de la lorgnette. Leur expertise est insuffisante et ils devraient revoir de fond en comble leur manière de travailler».

Grave est la passivité des politiques face à la destruction des indispensables essais plein champ. Plus grave encore est l'abandon des OGM  par l'Institut National de la Recherche Agronomique (Inra) et son silence dans le débat sociétal !

 En 2012, Erik Orsenna écrivait dans Le Monde : «Comment a-t-on pu interdire à l'INRA de continuer son travail sur les OGM ?» Refuser de savoir n'est-ce pas sombrer dans l'obscurantiste et se résoudre au déclin ?

Révélateurs sont les épisodes médiatiques et sémantiques de la connivence entre responsables politiques et mouvance écolo : empressement des candidats à la présidentielle 2007 pour signer le «Pacte écologique» de Nicolas Hulot, embrassade de NKM à José Bové dont Ségolène Royal viendra «saluer son courage politique», adoption par les politiques du vocabulaire anxiogène et trompeur des militants anti-OGM, comme «plantes-pesticides» pour discréditer le maïs résistant à des insectes.

Le crédit apporté aux faux lanceurs d'alerte

Surprenant est le crédit accordé par les politiques aux faux lanceurs d'alerte. Tel est le cas du Pr Gilles-Éric Séralini dont l'étude publiée en 2012, contestée par la communauté scientifique a influencé les politiques. Ils ont préféré s'appuyer sur les travaux d'un scientifique militant financé par la grande distribution alimentaire qu'à l'expertise collective, pluridisciplinaire et contradictoire d'une agence d'évaluation connectée à un réseau mondialisé d'informations scientifiques.

Inquiétante est la propension des politiques à s'immiscer dans le domaine scientifique. Le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) chargé d'éclairer la décision publique sur les biotechnologies en est l'illustration. Au Comité scientifique du HCB, a été ajouté un Comité économique, éthique et social (CEES) dont la majorité des membres a été choisie parmi les organisations militantes anti-OGM. Ce HCB bicéphale et ingérable s'inscrit dans un courant de pensée dit «post-moderne», illustré par les concepts de «science citoyenne» et de «démocratie participative», concepts séduisants portant en germe les dérives populistes et l'instrumentalisation politique ou idéologique de la science.

Le CNRS au travers d'une «mission sciences citoyennes» créée en 2013, l'INRA au travers d'un séminaire «Sciences participatives» organisé en 2016,  semblent participer à cette dérive scientifique.

Le 14 juillet 2015, le Président Hollande déclarait: «La France est un pays de technologie». Oui ! Mais il manque le courage et la lucidité politiques. En 2008, Barack Obama s'exprimait ainsi: «Il faut faire en sorte que les faits et les preuves ne soient pas déformés ou occultés par la politique ou l'idéologie. Il faut écouter ce que les scientifiques ont à nous dire, même si cela dérange, surtout si cela dérange».

(*) Gérard Kafadaroff est l'auteur de plusieurs livres dont le dernier «OGM : la peur française de l'innovation», préfacé par le Pr Tubiana, Editions Baudelaire 2013 (version numérique et actualisée 2015).

Il est le fondateur de l'AFBV (Association française des biotechnologies végétales).

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Commentaires 9
à écrit le 16/11/2016 à 15:09
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Bonjour Porfesseur, excellent article sur le fond, mais je vais devoir être dur. Les écologistes et les politiques sont sur l'optique que tout serait plus facile avec moins de monde. Les gaiens (Faction dure des écologistes) ont même mentionné 50...

à écrit le 01/11/2016 à 10:04
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"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". La science est sans aucun doute un moteur du progrès, encore faudrait-il que ce progrès soit utile, disponible pour tous et écologiquement compatible. Toutes les innovations, à des degrés divers, o...

à écrit le 31/10/2016 à 16:56
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Nous sommes effectivement cernés par les négationnistes. Tous se plaignent de ce climat qui empêche d'avancer et est clivant (notre société française n'a certes pas besoin de se déchirer sur les constats pour lesquels il y a dans notre communauté sci...

le 01/11/2016 à 10:09
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L'ORTF, la voix de la France, la pensée unique, le noir et blanc, la censure et les journalistes aux ordres... La dictature de l'information, c'est ce que vous voulez vraiment?

à écrit le 31/10/2016 à 14:37
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Bon ben puisque mon commentaire n'a pas été validé permettez moi de résumer: Faites un peu attention de ne pas rapporter systématiquement les propos des imposteurs aux bras longs svp, je vous garantie que ça fait cruellement tomber la légitimité ...

à écrit le 31/10/2016 à 11:54
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L'histoire des sciences démontre que la connaissance ne va ni vite, ni droit. Elle avance (et parfois recule) de façon sporadique et zigzagante. Elle met en évidence également que les scientifiques n'en sont pas moins hommes et tout aussi sensibles q...

à écrit le 31/10/2016 à 11:53
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Il faudrait aussi parler des média qui trouvent tellement plus chic - et sûrement plus rémunérateur - de mettre en avant les "lanceurs d'alerte' que de diffuser une information sérieuse.

à écrit le 31/10/2016 à 11:46
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Bravo pour cet article. Mais combien de journalistes pour le dire? Combien d’inepties scientifiques publiées? Pourquoi les journalistes laissent-ils faire ?

le 07/11/2016 à 18:10
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Un problème déterminant est le niveau scientifique de ces journalistes qui se sont orientés très tôt vers des études littéraires d'où sont quasiment exclues des disciplines comme la biologie, la physique, les mathématiques ... Le niveau est afflige...

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