Pourquoi la France intéresse l'Indonésie

Le quatrième pays le plus peuplé du monde, dans lequel se rend François Hollande ce mercredi, veut mieux gérer son domaine maritime. La France a une expérience forte à lui apporter. Par Eric Frecon, Enseignant-chercheur (Ecole navale), Coordinateur de l'Observatoire Asie du Sud-est (Asia Centre)
(Crédits : DR)

En 2014 et 2015, deux rapports parlementaires appelaient coup sur coup à « reprendre pied en Asie du Sud-est », dans « une région fondamentale pour conduire une diplomatie globale ». On ne peut alors que saluer la prochaine visite présidentielle en Indonésie, en Malaisie et à Singapour.

La France est déjà très présente à Singapour, où sa communauté est passée de 5 000 personnes enregistrées en 2005 à 12 000 en 2015. La cité-Etat pointait au 15e rang des exportations d'armes françaises en 2015. La Malaisie s'affichait sept rangs plus haut : 8e. Kuala Lumpur a acheté des sous-marins made in France au début des années 2000 et a fait l'objet de plusieurs visites de Jean-Yves Le Drian ces derniers mois.

La plus grande communauté musulmane du monde

Reste l'Indonésie, quatrième pays le plus peuplé, fort de la plus grande communauté musulmane au monde et s'étendant sur une distance supérieure à celle entre Dublin et Téhéran. La dernière visite d'un président français sur cet archipel de 17 000 îles remonte à 1986. Nicolas Sarkozy avait annulé un déplacement alors que l'Indonésie présidait l'ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) en 2011. Le séjour de François Hollande vient donc combler un manque même si un président en fin de mandat, qui ne se représente pas, laissera toujours moins de trace qu'un nouvel élu.

Le marché indonésien, entre autres de l'armement, est déjà investi par les Chinois, Sud-Coréens, Russes et Américains. La France a certes des arguments à faire valoir, notamment dans la formation et le service après-vente, mais aux équipements doivent s'ajouter les idées. A ce titre, Paris dispose d'un coup d'avance, en particulier dans le domaine maritime du fait des objectifs similaires et grâce à son concept d'Action de l'État en Mer (AEM) - à savoir la gestion de l'ordre public en mer coordonnée par les préfets maritimes, sous l'autorité du Premier ministre et avec les équipements de toutes les administrations, dont la Marine, à leur disposition.

 La deuxième plus grande zone exclusive du monde

S'agissant des points communs, la France possède sur le papier de la deuxième plus grande zone exclusive au monde (ZEE) tandis que l'Indonésie s'affiche avec les plus grandes eaux archipélagiques. Les deux pays doivent faire face à des frontières maritimes contestées tout en ayant à gérer des îles parfois difficilement habitables. Depuis 2014, le président Joko Widodo oriente son quinquennat autour de son projet de Pivot maritime mondial, avec à la barre, comme ministre-coordinateur des Affaires maritimes, l'homme fort du gouvernement, confident du président, le général à la retraite Luhut Pandjaitan.

L'objectif est de relancer l'identité maritime d'un pays peu tourné vers la mer et qui souffre d'un manque d'infrastructures portuaires. En 2013, un spécialiste expliquait ainsi qu'il était moins compliqué et onéreux d'importer du sel d'Allemagne plutôt que des autres îles indonésiennes. En 2014, 2015 et 2016, le pays était le plus touché au monde par la piraterie et le banditisme maritime. La France, de son côté, a validé fin février, par décret, sa Stratégie nationale pour la mer et le littoral. Le Cluster maritime s'emploie à dynamiser l'économie maritime. Quant à la Marine, elle écume les océans pour traquer pêcheurs illégaux, migrants clandestins, pollueurs et narcotrafiquants.

Quelle organisation adopter?

Ambitieuse, Jakarta s'interroge sur le modèle et l'organisation la plus pertinente à adopter. Le gouvernement s'est tout d'abord tourné vers les exemples japonais et américains, structurés autour du couple marine/garde-côtes. A travers le Bakamla (Agence de sûreté maritime), maintes fois relancée et restructurée, Jakarta cherche encore la meilleure formule pour remettre la main sur son archipel. Or, la France dispose d'une riche expérience et d'un élément d'alternative à soumettre.

Avec l'AEM, Paris peut répondre aux attentes de Jakarta : un Bakamla sous l'autorité du président indonésien, fort de représentants dans les îles de l'archipel et avec la coordination comme mot d'ordre. En effet, selon l'Indonésien Siswanto Rusdi, l'heure n'est pas à l'augmentation de budgets ou à l'ajout de nouveaux bâtiments pour le Bakamla. Il ne s'agit que de coordonner les forces déjà à disposition. Surtout, l'AEM s'accompagne d'un dispositif législatif (la loi de 1994) qui encadre au mieux les actions des officiers de marine, notamment pour les nouvelles missions comme la collecte de preuves et la rétention de criminels.

Quand guerre et paix deviennent des concepts flous

La question que se pose l'Indonésie est celle qui anime les relations internationales post-Guerre froide plus généralement, quand « guerre » et « paix » deviennent des concepts flous et lorsque la police se militarise pendant que les militaires s'adonnent aux opérations de police. La France l'avait anticipé avec l'AEM, en permettant à des douaniers de profiter des bâtiments de la Marine tandis qu'un sous-marin peut participer, grâce à ses sonars, à l'interception de vedettes remplies de drogue.

C'est un argument que Paris devra faire valoir également auprès des groupes de travail régionaux, voire auprès de l'Expanded ASEAN Maritime Forum, qui regroupe pays d'Asie du Sud-est mais aussi Etats-Unis, Chine, Russie et Inde parmi d'autres. Plus que l'argument géographique - puisque Nouméa est situé à 6 634 km de Jakarta, soit 868 km de plus que la Réunion - c'est cette compétence qui peut servir de marchepied pour s'inviter enfin en Asie du Sud-est. Fidèle à l'approche régionale dite Track 2 - c'est-à-dire universitaire et informelle avant d'être ministérielle et officielle - l'École navale avait organisé un séminaire franco-sud-est asiatique sur ce thème en juin dernier ; un prochain se tiendra en Indonésie dans le même esprit l'été prochain.

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Commentaire 1
à écrit le 28/03/2017 à 16:49
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Oui bien d'accord avec l'auteur, on se demande bien pourquoi on zappe tous ces pays émergents. Hollande a bien fait de nouer ou renouer des liens avec des pays d'Am Sud et Centrale comme le Mexique et la Colombie, avec des pays d'Asie et très import...

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