Prélèvement à la source : une expérimentation progressive plutôt qu'un report à perpétuité

Le projet de retenue à la source de l'impôt conçu par Bercy parait condamné par ses choix insensés. Il faut sans attendre relancer un schéma de synchronisation progressive entre les revenus courants et le paiement des acomptes de l'impôt sur le revenu. Des solutions simples existent, qui permettraient, en s'appuyant sur les investissements réalisés, de réussir sur la durée du quinquennat cette modernisation attendue de notre gestion fiscale. Par Marc Wolf, avocat fiscaliste et ancien directeur adjoint à la Direction Générale des Impôts.
(Crédits : DR)

Le projet gouvernemental de prélèvement à la source (PAS) partait d'un bel objectif : « l'impôt s'adapte à la vie », en visant à effacer le décalage qui fait que chaque année plus d'un million de contribuables doivent payer l'IR de l'année précédente avec des revenus qui, dans l'entre-temps, ont fortement baissé (retraite, perte d'emploi, situation familiale).

Hélas, nous avons montré dans une précédente opinion (La Tribune du 26 septembre 2016) comment, en s'enfermant dans des choix insensés, Bercy a condamné irrémédiablement sa réforme. D'abord pour n'avoir pas résisté à la tentation électorale du « Big bang » alors que le chantier, par sa nature industrielle, exige une transition pluriannuelle. Et pour s'être obstiné à utiliser des taux tirés du passé là où un impôt en temps réel implique qu'on calcule le prélèvement en fonction des revenus courants.

Aucun problème pour annuler la réforme Sapin

Devant l'empilement de complexités qui en est résulté et le bogue industriel et politique prévisible, le nouveau président a décidé qu'il n'appliquerait pas la réforme au 1er janvier prochain et que son gouvernement prolongerait les tests pour déterminer les aménagements nécessaires. Techniquement, cela ne pose aucun problème : il suffira que le ministre décide dans les prochaines semaines de revenir à la maquette précédente pour la sortie des avis d'imposition qui arriveront cet été, avec édition des acomptes habituels pour 2018. La confirmation législative peut parfaitement attendre la loi de finances de fin d'année, sans risque constitutionnel venant de ceux qui espéraient optimiser leur impôt puisque ces manœuvres sont réputées proscrites. Et les décrets publiés en catastrophe par les anciens ministres tomberont d'eux-mêmes.

L'idéal serait néanmoins qu'une orientation soit rapidement fixée afin que les professionnels cessent de s'épuiser dans le vide. Le pire serait de se contenter d'un simple report vers 2019, puis au-delà. Car dans un an on retrouvera exactement les mêmes obstacles, même si on a gagné quelques mois pour développer et vérifier les logiciels, en particulier dans le secteur public et les caisses de retraite où rien n'est prêt, et pour améliorer la fiabilité des identifiants. Il faut donc tout de suite prendre au mot le terme flatteur « d'expérimentation » qui a été mis en avant.

Une expérimentation authentique dès 2018

Expérimenter, c'est lancer la réforme selon une voie alternative qui consisterait dès 2018 à engager la transition vers l'impôt en temps réel, mais à échelle réduite suivant un schéma radicalement simplifié qui permettra d'atteindre l'objectif sur la durée du quinquennat sans perdre les investissements déjà réalisés.

En ce sens, l'urgent serait de suspendre tout ce qui concerne la retenue par les tiers payeurs (TP : employeurs ou organismes de retraite) et de concentrer l'effort sur la fiabilisation de la transmission mensuelle des revenus vers la DGFiP (via la Déclaration Sociale Nominative (DSN, désormais obligatoire) et son clone du secteur public). Moyennant quoi, la gestion du recouvrement pourra commencer à basculer dans une logique de « contemporainisation des acomptes », c'est-à-dire un régime où les prélèvements supportés par le contribuable sont calculés chaque mois en fonction des revenus qu'il vient de recevoir et valent comme provision de l'IR à solder l'année suivante. Quitte à reprendre plus tard, si le décideur politique le souhaite et quand les conditions en seront réunies, le chantier du paiement via un tiers.

S'inspirer du Conseil des prélèvements obligatoires

La transition devra s'inspirer de ce qu'avait déjà imaginé le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans son rapport de 2012 : « étalement dans le temps de l'année blanche assortie d'une montée en puissance progressive du nouveau système... À partir de l'année n, une fraction décroissante des acomptes mensuels serait due au titre des revenus n-1 (comme aujourd'hui) et une fraction croissante serait due au titre des revenus n... (80/20 la première année, 60/40 la deuxième et ainsi de suite). »

En pratique pour les contribuables, rien ne changerait jusqu'en août 2018 puisque la DGFiP prélèverait les acomptes annoncés (par tiers provisionnels ou dixièmes mensuels) et qu'ils déclareraient normalement leurs revenus de 2017. Sauf que, parallèlement, ils verraient apparaitre sur leur compte fiscal en ligne l'affichage expérimental de leurs revenus courants communiqués à l'administration par les TP. Si bien que la première phase de la réforme pourrait démarrer sans bruit à l'été de l'an prochain avec l'envoi des nouveaux avis :

- pour 80 %, les acomptes seraient affectés au paiement classique de l'IR sur les revenus de 2017, lui-même réduit de 20 % grâce au bénéfice partiel du « crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement » (le CIMR prévu dans le projet avorté) ;

- et pour les 20 % restant, ils deviendraient des « acomptes contemporains » au titre de l'impôt régularisable en 2019. Il suffirait de les corriger jusqu'en décembre par des prélèvements complémentaires (voire des restitutions) que l'infocentre de la DGFiP aura pu notifier en appliquant prorata temporis le barème (compte tenu de la situation de famille actualisée) sur les revenus courants déjà affichés (ou le dernier revenu connu en BA/BIC/BNC/RF).

Montée en régime en douceur

La montée en régime n'aura plus qu'à se poursuivre en douceur jusque 2022, grâce à la généralisation de la mensualisation et des téléprocédures qui sont désormais entrées dans la loi. Ainsi, à partir de début 2019, chaque foyer imposable se verrait prélevé (voire même remboursé) en fin de mois sur son compte bancaire un acompte en deux fractions :

- ramenée à 60 % de l'IR liquidé l'année précédente sur les revenus de 2017, la fraction due au titre de l'ancien régime viendrait compléter les « acomptes contemporains » déjà prélevés. Les dix mensualités seraient donc affectées à la régularisation de l'impôt sur les revenus 2018 (lui-même toujours réduit d'un CIMR de 20 %), avec comme d'habitude ajustement du solde sur les derniers mois de de l'année. Cette composante s'éteindrait en 2021 (dernière tranche, à hauteur de 20 %) ;

- formant la seconde fraction, les nouveaux « acomptes contemporains » dus au titre de la montée en régime du PAS passeraient à 40 % de ce qu'ils seront en régime de croisière (atteint à 100 % en 2022). Il appartiendrait à la DGFiP de les notifier 15 jours avant le prélèvement (à l'image de ce que font les grands opérateurs de réseau), s'adaptant à la fois à l'évolution de la situation du foyer et à celle de ses revenus (ceux communiqués au fil du temps par les TP s'agissant des salaires et retraites, ou pour les autres revenus le dernier résultat déclaré, corrigé au besoin par les intéressés).

Éléments pour l'audit annoncé

Informatiquement, le schéma est d'une très grande sécurité : en 18 mois, la DGFiP ne sera pas en peine de dupliquer le calcul existant de l'IR en autant de liquidations périodiques prorata temporis sur la base de toutes les données disponibles (et visibles via impot.gouv). D'autant que dans ces premières années, la prudence du basculement laissera tout le temps pour absorber, sans tracas pour les usagers, les éventuels loupés de transmission depuis les TP.

La rédaction législative à substituer à l'article 60 voté l'an dernier sera fortement allégée. Il s'agit, en quelque sorte, d'élargir à tous les contribuables le mode de recouvrement proposé jusqu'ici pour les seuls revenus non payés par un tiers (BA/BIC/BNC/RF). Surtout, comme souligné par le CPO, cette approche résoudrait l'essentiel des difficultés de la transition : plus besoin, en particulier, de sanctions contre les effets d'aubaine liés à une seule « année blanche », et donc plus d'insécurité juridique attachée à la notion de « revenus exceptionnels ».

Enfin, au plan fiscal, ce passage au prélèvement mensuel contemporain et son étalement présenteraient le double avantage de préserver la trésorerie des réductions et crédits d'impôt (RI/CI) ainsi que le droit des familles qui dans le « Big bang » de Bercy auraient la malchance de connaitre cette seule année une diminution de leurs revenus. En effet, s'agissant de RI/CI acquis au titre de n-1, les provisions par dixième pourront continuer (comme actuellement) à être immédiatement imputées sur les acomptes jusqu'à la sortie des avis annuels. Et aucune famille ne sera pénalisée aucune année pour avoir, par exemple, pris un congé parental ou investi dans son épargne-retraite durant le quinquennat.

Disjoindre les deux objectifs de la réforme

En résumé, on comprend ici que tous les obstacles à la réforme trouvent leur solution quand on accepte d'en disjoindre les deux objectifs. Le premier, celui qui importe aux contribuables, est le paiement en temps réel de l'IR. Sa réussite se mesurera au niveau de synchronisation entre le prélèvement et l'impôt finalement exigible, en sorte de minimiser la régularisation (positive ou négative) lors de la validation de la déclaration annuelle l'année suivante.

À supposer qu'elle surmonte ses défauts industriels, la machinerie jusqu'ici envisagée par Bercy se solderait mécaniquement par d'énormes écarts, tenant à la fois au décalage du taux « historique » transmis aux TP et à sa rigidité face aux fluctuations infra-annuelles du revenu courant. Le schéma ne fonctionne que s'il y a permanence de tout cela,  alors que l'intérêt de la réforme est précisément d'ajuster le paiement au plus près des variations quand la situation du contribuable bouge, non seulement d'une année à l'autre mais aussi au fil de l'année. C'est bien le résultat que permet d'atteindre à coup sûr le modèle de contemporainisation des acomptes proposé ici puisque, par construction, il garantit que de mois en mois ceux-ci vont converger vers l'IR final dû par l'ensemble du foyer.

L'objectif de second rang qui intéresse davantage la puissance publique est celui de la performance administrative. Anticiper le PAS d'un mois supplémentaire, dès la feuille de paye ou le bulletin de pension (par une retenue qui s'imputera sur l'acompte contemporain du mois suivant) apportera peu aux intéressés. En revanche, l'enjeu s'annonce considérable si par une avancée systémique dans l'automatisation de l'impôt, ce module distinct génère des gains massifs d'emplois dans les fonctions d'assiette et de suivi. Sans qu'il y ait, ici, une quelconque urgence à prendre la décision dès lors que, outre son phasage propre, elle supposera un travail préalable de réingénierie de la gestion sur lequel le discours gouvernemental a jusqu'ici totalement fait l'impasse.

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Commentaires 11
à écrit le 03/07/2017 à 23:16
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La France peut s'honorer d'avoir les seuls philosophes de la fiscalité .Quand un de ces penseurs explique le simple fait de te piquer le pognon chaque année il faut avoir Bac + 20 pour comprendre .

à écrit le 23/05/2017 à 20:48
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L'urgence consistait surtout à réformer le système socialo-fiscal pour qu'il devienne compatible naturellement avec le prélèvement à la source notamment en individualisant le système, en le linéarisant à l'aide de l'impôt négatif et en éradiquant les...

à écrit le 22/05/2017 à 11:28
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Le gouvernement a bien raison d'enterrer cette aberration des socialistes. Le prélèvement à la source des impôts est une grande complication pour rien... Ajouter des paperasses sur les paperasses est un non-sens complet... Les français continueront à...

à écrit le 21/05/2017 à 11:11
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Bercy aurait dépensé 50000000 euros pour rien, et ce n'est pas très étonnant de la part de la gauche qui est habituée au gaspillage de l'argent public. Car en effet le prélèvement à la source des impôts est une grande complication pour rien... Ajoute...

à écrit le 18/05/2017 à 17:30
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Le prélèvement à la source est une erreur dans un pays qui connait des difficultés économiques , c'est se couper d'une recette de TVA et de taxes, car pris à la source cet argent ne produit pas de richesses , il est perdu avant d'avoir fait un c...

à écrit le 18/05/2017 à 14:20
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Bercie annonce 160 millions d'Euro de dépenses pour ce prélèvement à la source , je ne sais qui a fait les études mais cette socité doit être florissante . Comment peux t-on annoncer de tels dépenses , c'est une honte

le 23/05/2017 à 20:52
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Non c'est hélas l'ordre de grandeur de beaucoup de projets d'informatique de gestion dans les grandes organisations. Cela dit, on aurait pu au moins faire l'économie des spots publicitaires qui passent en ce moment...

à écrit le 18/05/2017 à 11:50
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On voit qu'en termes d'usine à gaz, M. Wolf s'y entend bien. Normal il est issu de système qu'est l'énarchie.. .Et avant d'inventer ce machin, qui tient lieu de réforme fiscale, quand est ce qu'un vrai gvt réformateur se penchera sur la fiscalité dan...

à écrit le 18/05/2017 à 11:21
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Nous avons 549 niches fiscales qui représentent un manque à gagner pour l'état de 83 milliards d'euros. L'IR rapporte 79 milliards d'euros. Les autres recettes , la TVA et la CSG. Le prélèvement à la source est inapplicable compte tenu de la complex...

le 18/05/2017 à 13:36
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ne pas oublier la TICPE (qui remplace la TIPP, PE = Produits Energétiques), ça rapporte pas mal aussi (0,8€ TTC/L d'essence). Les impôts pourraient dire chaque mois à nos banques la somme à prélever, comme elle le fait déjà pour le prélèvement mens...

le 18/05/2017 à 15:49
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@BA: je sais qu'au Canada, le prélèvement à la source existe et ne soulève pas toutes ces discussions. Je ne crois donc pas qu'il s'agisse d'un problème technique, mais plutôt d'un problème politique à éviter en période d'élections législatives. Je n...

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