Primaires : entre perspectives décevantes et débouchés hasardeux

Loin de créer une dynamique, les primaires pourraient représenter un véritable handicap pour les formations politiques y ayant actuellement recours. Par Hadrien Ghomi, Diplômé de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

Les primaires ouvertes des Républicains et de la Belle alliance populaire (BAP) sont considérées par les structures partisanes organisatrices comme un outil multidimensionnel : de règlement des différends entre compétiteurs, de légitimation du candidat choisi, et de mobilisation d'un électorat potentiel. En réalité, elles sont, à bien des égards, les symboles d'un affaiblissement durable des partis politiques classiques, incapables de trancher leurs divergences en interne comme de structurer le débat public en pesant sur l'opinion[1]. Loin de créer une dynamique, elles pourraient représenter un véritable handicap pour les formations y ayant actuellement recours.

 Déclin des identifications partisanes

Depuis 2011, les primaires ouvertes sont présentées comme une innovation démocratique majeure pour notre pays. Nul dans le champ politique ne semblait pouvoir le contester au risque d'être taxé d'archaïque ou de rétrograde. À l'aune de l'élection présidentielle, il apparaît nécessaire de dépasser la portée partiale des argumentaires des partis politiques afin d'initier une analyse empirique du phénomène.

 Dans un contexte de déclin des identifications partisanes, ce dispositif de désignation bouleverse le fonctionnement de nos principes institutionnels, en réduisant ostensiblement le rôle des partis dans la structuration de la vie politique française - comme le précise Bernard Manin dans sa description de la « démocratie du public »[2]. En ce début d'année 2017, c'est avant tout le contexte politique dans lequel elles ont été - ou s'apprêtent à être - organisées qui doit nous interpeller.

 Les primaires ouvertes peuvent-elles parvenir à résoudre les crises de leadership, incontestablement caractérisées à droite comme à gauche ?

 Même si la participation de plus de 4 millions d'électeurs à la primaire de la droite peut être considérée comme la traduction d'une volonté des électeurs d'éliminer les deux candidats alors favoris - le « trop centriste » Alain Juppé et le « clivant » Nicolas Sarkozy -, il s'agit là d'un succès indéniable en termes d'affluence. Toutefois, cette forte mobilisation ne doit pas dissimuler ou occulter l'incapacité des Républicains à trancher une ligne politique claire et ce, sur la base d'un programme commun. Comme en témoigne l'émoi suscité à l'annonce de la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, le programme de François Fillon est aujourd'hui fortement contesté, y compris dans ses propres rangs. Malgré la nature bonapartiste de la droite française - et la propension de ses électeurs à faire preuve d'une fidélité assumée envers le candidat choisi -, les critiques à l'égard de l'ancien Premier ministre - pourtant largement élu - sont objectivement observables.

 Le chef de l'État ayant pris la décision de ne pas se représenter, la tenue de primaires ouvertes à gauche fait quant à elle écho à une situation politique inédite. Aucun candidat à cette primaire ne semblant susceptible de gravir l'étape du premier tour de l'élection présidentielle, le désintérêt citoyen à l'égard de l'élection des 22 et 29 janvier prochains semble en sortir renforcé. En l'absence de trame programmatique commune, la crise de leadership au Parti socialiste est susceptible d'être accentuée au soir du second tour de la primaire. Au-delà des déclarations officielles qui seront faites à l'issue du scrutin, les risques de dislocation de la BAP sont nombreux. En effet, dans le cas d'une victoire de Manuel Valls, il y a fort à parier que les partisans de « l'aile gauche » prennent leurs distances avec la campagne de celui-ci. Si Benoit Hamon ou Arnaud Montebourg l'emportait, l'inverse serait tout aussi probable puisque les lignes de fractures idéologiques s'avèrent particulièrement profondes et ce, sur nombre de sujets : économie, société, Europe, etc.

 Ce processus de sélection des candidats à l'élection présidentielle instituera-t-il le début d'un effet mobilisateur dans leur électorat respectif ?

 Même si la victoire de l'outsider François Fillon est nette, la participation élevée à cette primaire n'induit pas de façon automatique une mobilisation inconditionnelle de cet électorat, tant les positions du candidat de la droite semblent braquer un grand nombre de citoyens. Loin d'une différence programmatique prononcée sur le plan économique - puisque la quasi totalité des candidats s'accordait sur des mesures libérales plutôt classiques : fin des 35 heures, relèvement de l'âge légal des départs à la retraite, suppression de l'impôt sur la fortune, etc. -, les divergences au sein de la droite s'articulent principalement autour des questions de société, à l'égard desquelles les positions de François Fillon sont jugées « trop conservatrices ».

 Au regard de l'étroitesse du spectre politique progressiste qu'elle incarne, la primaire de la Belle alliance populaire (BAP) risque de ne pas connaître une aussi forte mobilisation qu'à droite. En effet, ni la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, ni Europe Écologie - Les Verts, ni le mouvement En Marche ! emmené par Emmanuel Macron, n'y participe. Dans de telles conditions, il apparaît difficile - voire impossible - pour le Parti socialiste de parvenir à faire émerger un engouement significatif en faveur de son candidat, condition sine qua non de sa présence au second tour de la présidentielle.

 Dans le contexte actuel, les primaires ouvertes ne constitueraient-elles pas un handicap électoral ?

 Les primaires de la droite ne semblent pas avoir créé un rassemblement large des forces de droite derrière la candidature de François Fillon. Le refus de François Bayrou d'y participer, ainsi que le rapprochement à l'œuvre entre certains centristes de l'UDI et le mouvement En Marche !, contribuent à entraver toute dynamique significative en faveur de l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy. Paradoxalement, le Front national - dont la désignation de la candidate à l'élection présidentielle est l'archétype d'un fonctionnement anti-démocratique - parvient à s'imposer dès à présent dans les intentions de vote.

 À gauche, une fois le résultat de la primaire obtenu, il est probable que nombre de militants ou sympathisants des partis représentés au sein de la BAP renoncent à soutenir le vainqueur, et se résolvent à s'investir dans la campagne de la France insoumise ou d'EELV, dans le cas d'une victoire de Manuel Valls à ce scrutin. La réciproque est juste, si un candidat plus à gauche que la ligne gouvernementale actuelle l'emporte, « poussant » réformistes ou autres sociaux-libéraux dans les bras du mouvement En Marche ! d'Emmanuel Macron.

 La question que les Républicains et la Belle alliance populaire doivent se poser est la suivante : et si loin d'être vecteurs de dynamique électorale, les primaires ouvertes accentuaient les risques de division des formations politiques organisatrices ? Verdict en avril prochain.

Diplômé de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Hadrien Ghomi a - sous la direction de Bernard Manin - consacré son mémoire de recherche aux « primaires citoyennes » de 2011.

[1] Rémi Lefebvre, Les primaires socialistes. La fin du parti militant, Éditions Raisons d'agir, 2011.

[2] Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

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Commentaires 2
à écrit le 16/01/2017 à 15:26
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Alors, vous vous mettez à écrire un beau long texte pour nous dire que le problème se réside dans l'ouverture vers les gens qu'ils sont les responsables à diriger avec leur vote ce pays? Vous savez, cher Monsieur, votre texte laisse suggérer qu...

à écrit le 16/01/2017 à 11:16
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Merci pour cet entretien. En effet en ces temps de désaveu total et exponentiel des logiques partisanes des politiciens professionnels ceux-ci ressentent leurs étau sur les élection de la sorte. J'aime beaucoup rappeler que politicien est la pro...

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