Privatisations : combien vaut un aéroport ?

Après avoir privatisé en 2015 l’aéroport de Toulouse, l’État s’apprête à vendre la majorité de ses parts dans les aéroports de Lyon et Nice cette année. De nombreuses entreprises se sont positionnées pour ces appels d’offres mais la question de la valeur de rachat de ces parts reste posée. par Paul Chiambaretto (Montpellier Business School / Ecole Polytechnique)

Considérés comme des infrastructures essentielles, les aéroports sont longtemps restés dans le giron de l'État. D'ailleurs, à quelques exceptions près, l'État reste actionnaire majoritaire, directement ou à travers les collectivités territoriales, de la majeure partie des aéroports français. Pour autant, la tendance actuelle est à la privatisation des aéroports français. Après Toulouse en 2015, ce sera au tour des deux plus grands aéroports de province que sont Nice et Lyon en 2016.

Peu importe la véritable motivation de ces privatisations, et face au nombre élevé d'investisseurs potentiels, la question qui se pose est celle de la valeur de ces aéroports. En effet, comment évaluer un aéroport, qui est unique de par sa position géographique spécifique tout en sachant qu'il n'a jamais fait l'objet de transactions par le passé ? C'est la question à laquelle essayent de répondre Colin Jones et Neil Dunse de l'Heriot-Watt University dans un article intitulé « The valuation of an airport as a commercial enterprise » publié dans le Journal of Property Investment and Finance.

Définir le périmètre d'un aéroport

Ces deux chercheurs commencent tout d'abord par s'interroger sur le périmètre de la privatisation, à savoir les activités associées à un aéroport. Lorsqu'on imagine un aéroport, on pense généralement aux terminaux, aux pistes d'atterrissage, aux hangars, etc. Or une grande partie de l'activité des aéroports vient en réalité de ses actifs non-aéronautiques comme les restaurants et magasins, les parkings, les hôtels et immeubles de bureaux installés sur les terrains des aéroports. Ainsi, selon ces auteurs, les revenus non-aéronautiques représentent entre 40 et 50% du chiffre d'affaires des principaux aéroports européens et atteindraient même les 80% dans certains aéroports asiatiques ! Il est donc important de garder à l'esprit cette approche globale (intégrant les activités aéronautiques et non-aéronautiques) des aéroports afin d'en estimer au mieux la valeur. A cette fin, Colin Jones et Neil Dunse présentent quatre méthodes d'évaluation des aéroports.

La méthode du multiplicateur des bénéfices


Les deux chercheurs commencent par exposer une méthode empirique et populaire : celle du multiplicateur des bénéfices. Cette règle n'a aucune justification théorique et s'appuie simplement sur l'observation des transactions passées pour un catégorie d'entreprises, en l'occurrence les aéroports. L'objectif est de trouver une relation de multiplication entre l'EBITDA (le bénéfice d'une société avant la soustraction des intérêts, des impôts et taxes, des dotations aux amortissements et des provisions sur immobilisations) et la valeur de vente des parts. C'est ainsi que certains observateurs ont calculé un multiplicateur proche de 18 pour la privatisation de l'aéroport de Toulouse.

Pour autant, comme le font remarquer ces deux chercheurs, cette méthode ne fait sens que si l'on a pu observer un nombre élevé de transactions pour des biens présentant des caractéristiques similaires. Or concernant le marché des aéroports, et a fortiori des aéroports français, il n'y a pas eu assez de transactions pour pouvoir estimer précisément ce multiplicateur.

 La méthode des flux futurs actualisés


Les auteurs présentent ensuite une méthode relativement classique dans l'évaluation de projet à savoir celle des flux futurs actualités. Selon cette approche, la valeur d'une entreprise à un instant donné est égale à la somme des recettes futures actualisées (c'est-à-dire les recettes que l'entreprise génèrera dans le futur tout en prenant en compte l'inflation des années futures avec ce qu'on appelle un taux d'actualisation) auxquelles sont soustraits les coûts futurs eux aussi actualisés. Cette méthode s'appuie ainsi d'une part sur les prévisions de trafic ou de recettes non-aéronautiques pour prévoir les recettes futures de l'aéroport et d'autre part sur les prévisions des charges et investissements futurs nécessaires au développement de l'aéroport.

Néanmoins, cette méthode est fortement dépendante de la qualité de ces prévisions (tant sur les recettes que sur les coûts). Par ailleurs, cette approche présente toujours une certaine part d'arbitraire concernant l'évaluation des risques sur certains de ces flux futurs et sur les valeurs de certains paramètres comme le taux d'actualisation.

La méthode des facteurs de valeur


Ayant conscience des limites concernant les prédictions dans la méthode des flux futurs actualisés, Colin Jones et Neil Dunse présentent brièvement une troisième approche qui consiste à identifier des facteurs qui contribuent à créer de la valeur (financière) au sein d'un aéroport. Selon cette approche, différents facteurs comme l'efficacité opérationnelle, la structure du capital et un certain nombre de ratios permettent de prédire la performance économique d'un aéroport. Ainsi, en connaissant ces différents facteurs et en estimant leurs évolutions, un investisseur serait virtuellement capable de prévoir la performance économique future d'un aéroport et donc d'évaluer au mieux son prix. Toutefois, cette méthode implique de pouvoir comparer des aéroports aux caractéristiques proches, ce qui n'est pas toujours compatible avec le nombre élevé d'observations nécessaire pour rendre l'estimation des paramètres statistiquement fiable.

 

La méthode de décomposition et d'évaluation des actifs


Dans un dernier temps, les chercheurs anglais présentent une méthode comptable permettant d'intégrer la diversité des actifs et activités d'un aéroport. En effet, selon cette approche, il est possible de considérer qu'un aéroport n'est que la somme de toute une série d'actifs : des pistes, des terrains, des bâtiments, des parkings, des hôtels, etc. La philosophie de cette approche consiste à dire que la valeur d'un aéroport n'est rien d'autre que la somme des valeurs des actifs qui la composent. Et calculer la valeur de chacun de ces actifs séparément est beaucoup plus facile que de considérer l'aéroport comme un tout.

Mais encore une fois, le diable est dans les détails, et derrière son apparente facilité, cette méthode pose un certain nombre de questions comptables. En supposant que les aéroports privatisés deviennent un jour côtés en bourse, ils devront alors se conformer aux normes comptables IFRS, et cela impactera le calcul de la valeur de leurs actifs. En substance, ces normes laissent le choix, selon le type d'actif, entre deux principales méthodes de calcul : la méthode des coûts et la valeur de marché. La méthode des coûts consiste à évaluer la valeur d'un actif en calculant le montant qu'il serait nécessaire de débourser pour reconstruire cet actif, tout en prenant en compte son éventuelle dépréciation du fait de son âge et/ou de son usure. A l'inverse, la méthode d'évaluation par la valeur de marché s'appuie sur une logique différente et cherche à estimer la valeur d'un actif en estimant le prix que l'on pourrait tirer de sa vente sur le marché à partir d'autres transactions préexistantes pour des biens similaires.

Or c'est précisément là que réside toute la complexité de cette méthode car tous les actifs d'un aéroport ne relèvent pas du même régime comptable et ne peuvent donc pas être évalués de la même façon. Ainsi, une piste d'atterrissage est un actif faisant partie intégrante de l'aéroport et ne peut donc pas faire a priori l'objet d'une transaction séparée. Il sera donc nécessaire de l'évaluer selon la méthode des coûts. A l'opposé, un hôtel ou un immeuble de bureaux installé sur le parc immobilier de l'aéroport pourrait tout à fait faire l'objet d'une transaction séparée sans remettre en cause l'existence même de l'aéroport. Dans ce cas là, ce sera la méthode d'évaluation par la valeur de marché qui primera en se référant à des transactions équivalentes. Arriver à calculer l'ensemble de ces valeurs par les coûts ou par le marché est donc un travail complexe, mais à ce jour cette méthode semble être la plus aboutie.

Une méthode ou des méthodes d'évaluations ?


En réalité, comme l'expliquent Colin Jones et Neil Dunse, chaque méthode d'évaluation présente des inconvénients. C'est la combinaison de ces différentes méthodes qui permet de fournir aux investisseurs une fourchette de valeurs pour un aéroport. Pour autant, si leur article de recherche présente une synthèse intéressante des méthodes d'estimation de la valeur des aéroports, d'autres éléments doivent être pris en compte.

Ainsi, leur article ne fait quasiment pas mention des actifs intangibles comme le réseau de destinations, la marque ou la réputation d'un aéroport. Alors qu'actuellement les aéroports sont notés par les passagers ou des organisations comme Skytrax, les investisseurs ne sont pas prêts à débourser le même montant, à capacité et performance économique similaires, pour un aéroport bénéficiant d'une excellente réputation e ou non.

            De même, l'article ne fait absolument pas mention des interactions entre les investisseurs dans le cadre d'une privatisation. Des phénomènes de surenchères ou de bulles peuvent voir le jour et conduire à des prix d'achats nettement supérieurs à la véritable valeur économique de l'aéroport. Une prise en compte de ces interactions en s'appuyant sur la théorie des enchères pourrait apporter un éclairage supplémentaire sur l'estimation de la valeur d'achat d'un aéroport.

 
Paul Chiambaretto est professeur de marketing et stratégie à Montpellier Business School et chercheur associé à l'Ecole Polytechnique. Spécialiste du transport aérien, il intervient dans de nombreuses institutions comme l'ENS Cachan, l'ENAC, l'ISAE-Supaero et l'Ecole Centrale de Lyon.

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