Propriété industrielle : quand les start-up poussent les PME à revoir leur approche

PME et ETI restent en recul en matière de dépôts de brevet par rapports aux startups et grands groupes d'une part, et à leurs homologues européennes d'autre part. Retour sur les raisons de ce décalage et les pistes pour l'effacer. Par Charles Besson, CEO, Questel

Les entreprises françaises restent en retard en matière de gestion de leur propriété industrielle par rapport à leurs homologues européennes. Si les grands groupes du CAC 40 partagent les pratiques internationales en la matière du fait de leur exposition aux marchés mondiaux, les ETI et PME restent très en recul. Elles ont trop souvent tendance à ne prendre en compte que leur environnement immédiat et à sous-estimer la menace qui vient de l'étranger. En 2014, 28,7% des demandes de brevets publiées par des personnes morales françaises émanaient de PME (un peu plus de 2500 demandes de brevets déposées) ou d'ETI (un peu moins de 700 demandes de brevets déposées) - des chiffres stables depuis 2011 . Celles qui déposent des brevets le font dans un but avant tout défensif, pour protéger leur invention. Et pour le moment, très peu exploitent les informations contenues dans les portefeuilles de brevets pour faire de veille concurrentielle et/ou anticiper des évolutions de leur paysage concurrentiel.

L'amorce d'un changement

Toutefois le changement se faire sentir sous l'impulsion des start-ups. Ces jeunes entreprises, dirigées par des créateurs imprégnés de culture internationale et de renouveau des business models, ont perçu la valeur ajoutée des brevets pour développer leur activité et accélérer leur croissance. Au-delà de la protection de leur(s) invention(s), elles les utilisent pour analyser leur marché et en comprendre les évolutions potentielles, identifier les champs libres d'innovation incrémentale et anticiper de nouvelles ruptures technologiques.

Elles y trouvent ainsi des pistes pour innover encore davantage. Les brevets déposés leur servent aussi à valoriser plus et mieux leur entreprise, a fortiori si elle a le projet d'entrer en bourse et même si aucun indicateur n'a été établi sur le sujet pour le moment - mais cela ne saurait tarder. Enfin, et cela est très révélateur, le sujet est souvent pris en main (ou suivi de très près) par le dirigeant lui-même - de même que les groupes du CAC 40 impliquent leur directeur de la Propriété industrielle (PI)  au niveau du board.

A noter que cette tendance touche un grand nombre de secteurs, y compris ceux qui n'étaient pas spontanément associés aux problématiques de brevets mais où la dynamique startup est forte : la banque est aujourd'hui challengée par les Fintech au sein desquelles un nombre certain de brevets sur le paiement en ligne commence à exister - comme ceux déposés par Mastercard ; ou encore la distribution qui, pour faire face à l'inexorable montée du e-commerce, dépose des brevets sur ce qui fait la différence entre les marques - les systèmes de gestion des stocks, des livraisons, etc. - à l'image des initiatives de Wallmart et Amazon sur ses systèmes innovants de logistique.

Un soupçon de risque

Qu'en est-il des PME et ETI françaises ? La plupart sont loin d'avoir une vision offensive de la PI et rares sont celles qui analysent les brevets existants avec des outils et méthodologies de Business Intelligence et d'intelligence artificielle pour apprécier le futur de leur marché et ajuster leur R&D en conséquence.

Beaucoup de ces entreprises se sont créées dans une optique franco-française, en ciblant le marché domestique et sans craindre une concurrence qui viendrait de beaucoup plus loin, que ce soit en termes géographique ou de métier. L'organisation des PME et ETI révèle une sous-représentation des professionnels de la PI, les ressources internes étant concentrées sur des fonctions-clés et incontournables comme les ventes, la production et la finance. A cela s'ajoutent le fait que le brevet continue d'avoir mauvaise presse en France. Une entreprise dépose un brevet pour interdire un potentiel concurrent de faire exactement la même chose. Elle ne le dépose parce qu'elle s'y sent contrainte, alors qu'un brevet s'avère être un véritable outil d'inventivité. L'absence de formation à la PI des jeunes générations est aussi un frein à la diffusion de cette culture en entreprise.

L'échelle nationale ne tient plus

Or une réflexion à la seule échelle nationale ne tient plus. Les frontières des marchés économiques disparaissent au profil de la mondialisation des échanges et les innovations peuvent être créées n'importent où.

Ces PME et surtout les ETI se retrouvent aussi dépourvues face aux actions des patent trolls qui, eux, sont bien renseignés sur le marché des brevets et peuvent les attaquer alors qu'elles ne s'y attendent pas du tout.

Un zeste de PI pour une nouvelle culture d'entreprendre

Pour toutes ces raisons, il est important que la propriété industrielle s'impose comme une priorité dans toutes les entreprises françaises afin d'assurer la pérennité et la croissance des activités créées. Le changement se fait progressivement, impulsée par les jeunes pousses. Il serait sans doute également constructif pour l'avenir de sensibiliser bien plus les jeunes générations, dès le lycée - en Asie, ce sont dès l'école élémentaire que le sujet est abordé... Sans oublier l'intérêt de créer des événements dédiés et des roadshows dans les universités et grandes écoles, etc. Un vrai défi qui va de pair avec le développement de la culture économique au sein de la société.

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