Qu'est-ce qu'un bâtiment vraiment responsable à l'aune de la transition écologique ?

OPINION. Peut-on aujourd'hui dire que le « bâtiment vert » est une réalité ? Alors que l'expression existe depuis plus d'une décennie, elle s'associe surtout à l'idée d'un bâtiment plus écologique que le standard. Par Astrid Pelletier, Directrice générale d'Elan.
(Crédits : DR)

Au-delà d'un risque de greenwashing, cette vision du bâtiment ne répond plus à l'ampleur des défis planétaires et à la complexité d'enjeux interconnectés.  Quels sont les enjeux à considérer d'urgence ?

Le nerf de la guerre : le carbone et l'économie circulaire ?

Le bâtiment est l'un des chantiers principaux de la stratégie nationale de transition écologique. En France, il concentre 43% des consommations énergétiques, représente 40% de l'ensemble des déchets produits, et génère 23% des émissions de CO2 qui proviennent en grande partie du ciment composant le béton. Et si celui-ci a contribué à répondre à des enjeux techniques, économiques et sociaux alors qu'il fallait construire vite et peu cher, il pose aujourd'hui problème. Le béton « vert », certes moins émetteur de GES et moins gourmand en ressources, ne résout pas tout. « Bas carbone » ou pas, il deviendra déchet.

Le recyclage ? Nécessaire, mais pas suffisant : si seuls 38% de ces déchets sont recyclés (loin des 70% exigés par la loi), le vrai problème est que trop peu de matériaux sont réemployés (moins d'1%), alors que les experts estiment que cette proportion pourrait atteindre 80%.

Certes, le cadre a évolué depuis le ​​Grenelle de l'Environnement jusqu'à la loi AGEC en passant par le principe de responsabilité étendue du producteur (REP) mais le vrai « choc de la demande » est encore attendu.

Biodiversité et carbone : des enjeux indissociables

D'autres prismes sont à considérer, et en particulier celui de la biodiversité, largement négligé et mal interprété. On voit fleurir des immeubles recouverts de plantes ou aux toits végétalisés, mais l'enjeu est ailleurs. L'impact sur la terre est en effet central : 25 % de la biodiversité se situe dans les sols. Un sol artificialisé, donc mort, perdra ses capacités à stocker le carbone et aura un impact négatif sur le climat et sur la biodiversité. Des indicateurs de biodiversité existent, tels que Coefficient de Biotope par Surface (CBS), mais ce référentiel a ses limites à l'aune de la complexité du vivant et des écosystèmes. En fonction de l'emplacement du bâtiment, à la campagne ou en milieu urbain, il sera plus ou moins pertinent.

La biodiversité ne répond ni à nos échelles de mesure - l'espèce considérée ne respectant pas les limites parcellaires d'un géomètre - ni de temps. Là où l'on peut théoriser un bilan carbone, on doit considérer le terrain et son évolutivité pour le vivant.

Changer d'échelle pour changer d'impact

Extraction, transport, transformation des ressources et, grande oubliée, la mobilité associée aux bâtiments : de l'amont vers l'aval, en passant par son usage, carbone et biodiversité sont liés. Toute modification de techniques ou d'usage aura des incidences. Ainsi, il faut favoriser des solutions pouvant être bénéfiques sur le cycle de vie étendu à travers la réutilisation du bâtiment existant, le rétrécissement de l'espace dédié à la voiture, la création d'îlots de fraîcheur... Il faut élargir la vision à celle de la cité.

Pour aller plus loin, inspirons-nous du vivant : pensons le bâtiment comme une entité d'un système dans lequel il va s'inscrire, à l'image d'un arbre dans une forêt. L'entité du bâtiment peut utiliser certains services déjà présents sur le territoire et en apporter de nouveaux pour répondre à des besoins pouvant également être utiles au territoire. Le bâtiment est alors « régénératif » : il génère des impacts positifs sur son territoire.

Une clé : le courage politique

Dans le sujet du verdissement du bâtiment comme ailleurs, le triptyque réglementation, finance et fiscalité, entre en compte. Parce qu'il est toujours moins cher et risqué de construire en abîmant la biodiversité et en menaçant le climat, seule une volonté politique forte peut provoquer un changement de paradigme.

Côté législation : avec la RE2020, pour la première fois, on s'attache à la réduction des émissions de GES en prenant en compte l'ensemble du cycle de vie, adressant clairement les notions encore marginales du réemploi et de résilience climatique. Côté finance, il s'agit de compter autrement la valeur en faisant apparaître les coûts de réparation et de régénération, via une comptabilité triple capital. Une généralisation prendra du temps, d'une part parce que les standards ne sont pas fixés, mais surtout parce que les modalités nécessitent de profonds changements structurels et culturels dans l'entreprise. Côté fiscalité, la seule manière de développer le réemploi de façon massive consistera à alléger voire exonérer de TVA les matériaux de seconde vie. Enfin, la taxonomie européenne peut faire levier : en fléchant les financements vers des produits plus compatibles avec les objectifs de l'Accord de Paris, les classifications pourraient réorienter les activités et entraîner toute la filière. Le tout à condition bien-sûr que les bons indicateurs soient choisis.

Ces avancées seront-elles assez structurantes pour « passer au vert » ? Le secteur du bâtiment est l'un des piliers les plus complexes de la transition environnementale, en témoigne le serpent de mer du financement de la rénovation énergétique. Le volontarisme du côté des acteurs de la filière sera nécessaire pour engager une transformation en profondeur et l'expérience des acteurs en pointe sur le sujet pourra servir de boussole.

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Commentaires 2
à écrit le 23/03/2022 à 9:14
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Ce mot à la mode, "responsable", quelle niaiserie. Comme si les gens étaient plus responsables aujourd'hui qu'avant

à écrit le 23/03/2022 à 9:01
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Le problème est que l'économie circulaire est l'enemie directe de la marge bénéficiaire de ceux qui possèdent et détruisent le monde en ronflant, tandis que si on s'y engouffrait les possibilités seraient multipliées quasiment à l'infinie. J'ai vu un...

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