Quand les juges hésitent à sanctionner le bizutage en entreprise

Dans un contexte de lutte contre la violence au travail, la Cour de Cassation vient de rendre une décision très clémente à l'égard d'un salarié qui avait organisé un bizutage. De quoi les juges ont-ils peur? Par Christine Hillig-Poudevigne et Adeline Petitjean, Avocat et Associée Avocat, MBA
Christine Hillig-Poudevigne

Un employeur peut-il licencier pour faute grave un cadre ayant, en compagnie d'autres salariés de l'entreprise, bizuté un collègue ?

Par une décision surprenante du 8 octobre 2014 (n° 13.15.001), la Cour de cassation a répondu par la négative aux motifs notamment que la scène litigieuse n'avait pas eu de « caractère agressif ou violent » et qu'il n'était pas démontré une atteinte à la dignité de la victime. En l'espèce, la salariée sanctionnée avait participé avec plusieurs salariés de l'entreprise à une action de « bizutage » consistant à attendre une collègue à la sortie du travail sur le parking de l'entreprise et « à lui lancer des œufs de la farine, de l'eau, du ketchup » ainsi qu'à « envelopper sa voiture de papier toilette, gel douche, farine ».

Un bizutage qui ne porte pas atteinte à la dignité du salarié?

Pour justifier sa décision, l'employeur, dans la lettre de licenciement, avait qualifié cette scène d'agression et de bizutage humiliant et dégradant ayant porté atteinte à la dignité du salarié victime. Il appartenait donc aux juges de décider si le comportement litigieux était constitutif d'une telle atteinte. Sur ce point, la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d'avoir considéré que l'atteinte à la dignité humaine - laquelle se caractérise, selon l'Avocat général référendaire à la Cour de cassation, R. Weissmann, tant par la volonté de nuire de son auteur que par le sentiment d'humiliation de la victime - n'était pas suffisamment établie en l'espèce. Le licenciement pour faute grave est donc ici injustifié : le bizutage qui ne porte pas atteinte à la dignité du salarié ne constitue pas une faute grave.

 Une décision qui laisse perplexe

Reste que cette décision laisse perplexe quant au constat qu'il y a absence de violence. Le fait de recevoir par surprise à la sortie de son travail des œufs, de la farine et du ketchup de la part de ses collègues ne constitue-t-il pas, en tant que tel, une forme de violence et ce, au-delà même du propre ressenti de la victime ?

L'Accord National Interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail (étendu par un arrêté du 23 juillet 2010) précise en effet que la violence au travail commence dès le manque de respect ou l'incivilité. Dans la même lignée, au sens du Bureau International du travail, la violence au travail s'entend de « toute action, tout incident ou tout comportement qui s'écarte d'une attitude raisonnable par lesquels une personne est attaquée, menacée, lésée ou blessée dans le cadre du travail ou du fait de son travail ».

De la même manière, les pouvoirs publics sont extrêmement attentifs au problème du bizutage dans le cadre scolaire et la loi du 17 juin 1998 en a fait un délit puni de 6 mois d'emprisonnement et de 7.500 € d'amende, et ce quand bien la victime y participe de son gré.

Un contexte de grande sévérité

En agissant de la sorte, la salariée sanctionnée a ainsi sans aucun doute eu un comportement inapproprié. La décision de la Haute juridiction du 8 octobre 2014 est d'autant plus surprenante qu'elle intervient dans un contexte de lutte contre toutes les formes de violence au travail et de grande sévérité à l'égard de l'employeur quant à la protection de la santé et de la sécurité des salariés. A cet égard, il est de jurisprudence constante que l'employeur manque à son obligation de sécurité de résultat dès lors qu'un salarié est victime sur le lieu de travail de violences physiques ou morales, exercées par l'un ou l'autre de ses salariés (Cass. soc. 23 janvier 2013, n° 11-18.855).

La Cour de cassation semble ainsi faire preuve en l'espèce d'un certain laxisme. En apparence seulement : en effet, cette décision ne constitue qu'un arrêt d'espèce et ne devrait pas, selon nous, être interprétée comme légitimant les pratiques de « bizutage » dans l'entreprise.

Christine Hillig-Poudevigne Adeline Petitjean
Avocat - Associée Avocat
M B A

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