Quelques réflexions sur le déficit démocratique européen

Le déficit démocratique européen fait aujourd'hui consensus dans l'ensemble des Etats composant l'Union européenne. Véritable serpent de mer, il est dénoncé, à droite comme à gauche. Dès lors, à quoi bon y revenir ? Par Christophe-Alexandre Paillard, Maître de conférence à Sciences Po Paris, à l'Institut catholique de Paris et à Sciences Po Rennes et intervenant régulier du cycle des hautes études européennes de l'ENA
Christophe-Alexandre Paillard, Maître de conférence à Sciences Po Paris, à l'Institut catholique de Paris et à Sciences Po Rennes et intervenant régulier du cycle des hautes études européennes de l'ENA

En réalité, y revenir est essentiel. D'abord, parce que la Démocratie, les philosophes grecs l'ont montré, est avant tout un idéal, un processus perfectible. Ensuite, parce que les conséquences de la récente élection présidentielle américaine et la volonté de la France d'avancer dans la construction européenne constituent une fenêtre d'opportunité pour faire évoluer et avancer l'Europe.

Dans ce contexte, quel regard peut-on porter sur la démocratie européenne ? Il y a lieu de s'inquiéter.

D'abord, si l'on considère les institutions européennes, le scepticisme domine. Le Parlement européen, dont la montée en puissance devait remédier au déficit démocratique, est loin d'avoir trouvé sa place dans le jeu de pouvoir entre institutions. Si les mots récents du Président Juncker (« ridicule ») sont forts, une réalité demeure : le Parlement européen n'est pas à la hauteur, et l'on se demande bien pour quelles raisons la modernisation de la zone euro passerait par la création d'un Parlement dédié. Le Conseil, de son coté, reste le maître de l'Europe. En fait de démocratie, après avoir longtemps été mu par le couple franco-allemand, il est considéré, sans doute avec exagération, comme dirigé par l'Allemagne. Enfin, la Commission, qui vient d'arriver à mi-mandat, malgré la réforme Juncker, a finalement peu changé.

L'Europe technicienne marche mieux que l'Europe démocratique

Ensuite, si l'on considère l'Union européenne dans son ensemble, une constatation s'impose : l'Europe marche d'autant mieux qu'elle agit selon une rationalité technicienne, et non politique. C'est le cas de la politique monétaire, décidée par un organe, la BCE, au sein duquel Malte pèse quasiment autant que l'Allemagne. C'est aussi le cas de la politique de la concurrence, capable de forcer Apple à payer un redressement fiscal de 13 milliards d'euros.

Au-delà de ces constats, qui montrent à quel point l'Union européenne a du chemin à parcourir si elle veut devenir un lieu véritable d'exercice de la démocratie, c'est à dire du choix assumé entre des visions politiques qui ne peuvent se confondre, la résorption du déficit démocratique européen doit commencer à l'intérieur même de chaque Etat membre, de trois manières.

D'abord, il est vital de se souvenir que l'Europe est un bien commun, une Res publica au sens premier du terme. Sans intérêt général européen, il n'existe pas d'espace politique européen. Les années récentes ont vu l'esprit européen s'éroder sous les coups de boutoir d'un unilatéralisme de plus en plus assumé. Dans le domaine énergétique, la décision de l'Allemagne, sans concertation, d'une sortie rapide du nucléaire, a été un coup très dur pour tous ceux qui plaidaient pour une politique énergétique européenne. Dans le domaine de la défense, à nouveau à l'ordre du jour, l'incohérence fait florès. Différents Etats membres poussent à militer pour une Europe plus souveraine, tout en épousant dans le même temps un programme aéronautique aussi structurant que l'avion de combat F35 américain, pensé pour mettre fin à toute souveraineté européenne dans ce domaine, au détriment des avionneurs européens.

En finir avec l'Europe bouc-émissaire, restaurer la responsabilité

Ensuite, il est urgent de ramener l'Europe à sa juste proportion. Partisans et adversaires de l'Europe se trompent : l'essentiel de nos échecs trouve sa source dans nos insuffisances ! Les disparités en matière de chômage des jeunes entre l'Allemagne et la France, exemple parmi d'autres, le montrent : l'Europe n'y est pour rien ! A cet égard, si le Brexit est avant tout une décision politique, son effet le plus certain le sera également : les Britanniques vont retrouver la maîtrise de leur destin, sans sauveur ni bouc-émissaire bruxellois. Pour ceux qui restent dans l'Union, la démocratie européenne exige que les responsabilités de chacun soient clairement identifiées et assumées.

Enfin, il faut cesser d'utiliser l'Europe de manière opportuniste, en accentuant ses défauts. Le nouveau président de la République française a estimé l'Europe « fragilisée par la prolifération bureaucratique ». La critique est juste, au point qu'elle est partagée par la Commission Juncker qui a fait de la concentration sur quelques objectifs son cheval de bataille. Pourtant, cette critique cache mal une autre réalité : l'habitude prise par les Etats membres, au nom de la flexibilité permise par la directive - principale norme européenne- d'ajouter encore de la norme à la norme, maintenant la démocratie européenne sous le boisseau d'une bureaucratie envahissante. Là encore, les exemples abondent. Evoqué par la déclaration de politique générale du Premier ministre, la question du tabac en est un : fallait-il coûte que coûte complexifier et durcir la directive tabac de 2014, autour de la question du paquet neutre, avec d'ailleurs des résultats pour l'instant négatifs ?

Notre destin collectif d'Européens est entre nos mains. Nous avons certainement devant nous l'une des dernières grandes occasions d'en faire quelque chose pour que l'Europe existe encore politiquement, militairement et économiquement en ce 21ème siècle.

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Commentaires 2
à écrit le 23/07/2017 à 18:11
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Tiens mon commentaire critique envers l'UE n 'est pas passé par contre la prêche néolibérale de l'européiste de service oui. La fabrique à opinion.

à écrit le 23/07/2017 à 15:48
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Déficit démocratique en Europe ? C'est nouveau: cela vient de sortir. Les membres du Parlement Européen sont élus dans chaque Etat au suffrage universel. Les membres du conseil Européen sont élus dans chaque Etat au suffrage universel. Le chef du...

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