Qui aime son euro-ami... ne lui fait pas d'euro-crédit

La mise en place du dernier plan d'aide à la Grèce et ses rebondissements montrent combien l'erreur fondamentale a eu lieu en avril et mai 2010, quand les prêteurs officiels, les États membres de la zone euro, ont remplacé les créanciers privés de la Grèce. Par Hans-Werner Sinn, professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich et président de l'Institut de recherche économique Ifo.
Hans-Werner Sinn

Après des mois de jeux, de stratégie de la corde raide et seulement une semaine après que les électeurs grecs ont rejeté les conditions d'un plan de sauvetage de 7,5 milliards d'euros (8,2 milliards de dollars), la conclusion ne s'est pas fait attendre. Les dirigeants politiques de la zone euro ont accepté d'ouvrir les négociations par un programme beaucoup plus étendu, d'une valeur de 86 milliards d'euros, presque la moitié du PIB de la Grèce. Malheureusement l'accord témoigne de la détermination affichée de l'Europe de rejouer la même tragédie à l'avenir.

Au cours des cinq dernières années, un flux énorme de 344 milliards d'euros a coulé, des créanciers officiels comme la Banque Centrale Européenne (BCE) et le Fonds Monétaire International (FMI), vers les coffres du gouvernement grec et les banques commerciales du pays. Mais après six mois de négociations presque futiles, l'épuisement a pris le dessus et les vacances ont pointé le bout de leur nez. Et donc les conditions réelles d'un nouveau sauvetage grec ont été expédiées sans beaucoup d'égards. Bien que le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) ait officiellement déclaré la Grèce en faillite le 3 juillet, les dirigeants de la zone euro ont encore une fois renvoyé aux calendes grecques le problème de l'insolvabilité.

Le dernier accord a bien arrêté (ou du moins interrompu) la plus grande crise de la zone euro à ce jour, ce qui a débouché sur une période sans précédent d'antipathie, d'opprobre, d'humiliation, de harcèlement et de chantage au sein de l'Europe. En effet, la Grèce était bien à deux doigts de quitter la zone euro.

Un projet de reprise en main de la Banque centrale de Grèce

L'ancien ministre des Finances grec Yanis Varoufakis a indiqué qu'après son entrée en fonction, il avait rassemblé un groupe, avec le consentement du Premier ministre Alexis Tsipras, qui s'est réuni en secret pour préparer l'introduction d'une devise parallèle et la reprise en main de la Banque centrale de la Grèce : soit une sortie bien réelle (ou « Grexit ») de la zone euro. Le gouvernement de l'Allemagne était également prêt à accepter ce qui paraissait être l'inévitable. Si le Président Français François Hollande n'avait pas informé la Grèce, dans le dos de la Chancelière allemande Angela Merkel sur la manière de négocier, les événements auraient pu prendre une tournure complètement différente.

Les relations de conflit au sein de l'Eurogroupe (qui comprend les ministres des Finances des pays de la zone euro) ont non seulement crispé les relations entre les membres de l'union monétaire, mais ont également alimenté les tensions au sein des gouvernements nationaux. Bien des dirigeants européens en ressentent encore les blessures cuisantes. Mais cela doit également leur servir à méditer sur les faits passés et sur leurs raisons.

 L'erreur fondamentale

La prise de bec a résulté d'une tentative de placer la politique au-dessus des lois des sciences économiques. Le dogme de l'infaillibilité des décideurs européens et de l'irrévocabilité de chaque étape vers l'intégration se sont heurtés à la réalité.

L'Europe sera confrontée à bon nombre de ces conflits à l'avenir si elle continue d'appliquer la même approche que pour la Grèce dans la résolution de ses problèmes de dette. L'erreur fondamentale a eu lieu en avril et mai 2010, quand les prêteurs officiels (sous la forme d'autres États membres de la zone euro) ont remplacé les créanciers privés de la Grèce.

Cet arrangement a été proposé par le Président de la BCE d'alors, Jean-Claude Trichet, en violation flagrante de la règle de non renflouement du traité de Maastricht, qui avait été la condition fondamentale de l'abandon du Deutsche Mark par l'Allemagne. Mais le Président Français Nicolas Sarkozy a menacé de quitter l'euro (comme l'ancien Premier ministre espagnol José Luis Rodríguez Zapatero l'a révélé plus tard au journal El País) à moins que l'Allemagne ne signe l'accord de renflouement. Christine Lagarde, la ministre des Finances de l'époque, a déclaré : « Nous avons violé toutes les règles parce que nous avons voulu serrer les rangs afin de réellement sauver la zone euro. »

 Les règles ont été violées

Les règles ont été en effet violées, mais il n'est pas certain que la décision de renflouer aurait pu sauver l'euro. Une telle mesure a certainement sauvé plusieurs banques commerciales, dont l'exposition à l'État grec a été importante au premier trimestre 2010. Les banques grecques avaient prêté la plus grosse somme au gouvernement grec (29 milliards d'euros), suivie par les banques françaises (20 milliards d'euros), les banques allemandes (17 milliards d'euros) et les banques américaines (4 milliards d'euros).

Le plan de sauvetage a aussi sauvé la BCE, dans la mesure où le crédit fiscal a remplacé l'objectif de crédit de la Banque qui s'est accumulé depuis le début de l'année 2008. À cette époque, l'économie grecque a été confrontée à un arrêt soudain des apports de capitaux privés et la Banque centrale grecque a financé l'ensemble du déficit des comptes courants du pays par le crédit de refinancement supplémentaire grâce à sa planche à billets électronique locale.

Mais le sauvetage des banques n'est pas la même chose que sauvetage de l'euro. En outre, le sauvetage de l'euro n'est pas la même chose que le sauvetage du projet européen.

 Du différend commercial devenu un différend entre Etats

La décision de renflouement de 2010 a transformé un différend commercial normal entre créanciers et débiteurs (ce qui arrive toujours lorsque les débiteurs ne parviennent pas à rembourser), en un différend entre États souverains. Cela a attisé l'animosité entre les peuples de l'Europe et a fait les choux gras des partis radicaux de tout poil, ce qui a sévèrement mis en péril le procédé européen d'intégration.

Sans la socialisation de la dette fournie par les plans de sauvetage, Varoufakis, ou tout autre responsable du ministère des Finances de la Grèce, aurait dû déclarer l'insolvabilité puis faire face aux créanciers privés d'une multitude de pays. Les gouvernements de ces pays se seraient sentis alors obligés de sauver les banques chancelantes avec l'argent de leurs contribuables.

Balayer devant sa porte sans autant de scandale

Sans aucun doute, le sauvetage des banques locales n'aurait vraiment pas été une sinécure. Mais il aurait pu épargner à l'Europe le spectacle des gouvernements de ses États membres prêts à se sauter à la gorge. En 2008, l'Allemagne a sauvée Hypo Real Estate, et en 2011, la Belgique, la France et le Luxembourg ont renfloué Dexia Bank. Comme ces cas le laissent penser, chacun aurait pu balayer devant sa porte sans autant de scandale, ou du moins sans provoquer une telle tension internationale.

Les banques et leurs communicants prédisent toujours des catastrophes quand d'importantes pertes se profilent à l'horizon. Habituellement, les politiciens apeurés finissent par approuver et par faire assumer les dépenses à leurs contribuables. Mais les les défauts sur les dettes souveraines qui se sont produits depuis 1945 (plus de 180) n'ont pas poussé les débiteurs au suicide. Au lieu de cela, en règle générale, ils ont été avantagés par un tel nouveau départ. En fait, les dangers auxquels l'Europe fait face actuellement, en raison de la socialisation des dettes, sont beaucoup plus grands que ceux posés par une simple crise financière potentielle.

La leçon à tirer de la débâcle grecque est que la zone euro doit développer des procédures d'insolvabilité souveraine le plus rapidement possible, afin d'empêcher de ce fait d'autres souverains de devenir des créanciers par mutualisation de la dette. Si les gouvernements nationaux de l'Union européenne veulent s'entraider dans une crise, ils doivent unilatéralement fournir une aide humanitaire, sans conditionnalité ni rachat. Si vous prêtez à votre ami, il ne sera plus votre ami. L'Europe ne pourra pas rester unie sans tenir compte de ce sage conseil.

Hans-Werner Sinn, professeur d'économie et de finances publiques à l'Université de Munich, est président de l'Institut de recherche économique Ifo et siège au Conseil consultatif du ministère allemand de l'Economie. Il a publié dernièrement The Euro Trap: On Bursting Bubbles, Budgets, and Beliefs.

Copyright: Project Syndicate, 2015.
www.project-syndicate.org

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Commentaires 12
à écrit le 01/08/2015 à 23:43
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Les lois de science économique imposent leur puissance matérielle inévitable mais elles ne convainquent plus quel que soit leur enfumage. C'est la même chose que l'on baptise de nationalisation, de collectivisation ou de mutualisation. Parler de flux...

à écrit le 01/08/2015 à 10:37
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Mon souhait pour la GRECE Que cesse la paranoia des creanciers. Il faut faire confiance aux grecs, les laisser gerer et controler leur economie. Alors que le pays vivait une situation de faillite et de misere les creanciers se sont acharnes a lui fa...

à écrit le 30/07/2015 à 15:14
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Je n'aurais pas cru pouvoir être d'accord avec M. Sinn !

à écrit le 30/07/2015 à 10:38
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L'Europe et l'Euro sont condamnés. La concurrence entre les pays de l'Union fait rage, politiquement, l'Europe est acquise aux idées libérales et même néo-libérales dot le principe fondamental est: "on privatise les bénéfices et on socialise les pert...

le 30/07/2015 à 12:15
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+1. L'Europe sous ce format actuel nous conduit à la perte. Et pas seulement concernant l'Euro.

à écrit le 30/07/2015 à 9:35
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Bien que l'on n'en parle pas, les US voyait d'un très mauvais œil la sortie de la Grèce des zones euro et UE du fait qu'elle sortait de l'Otan donnant ainsi l'exemple! C'est elle qui est a la manœuvre par le biais du FMI entre autre...!

à écrit le 29/07/2015 à 20:39
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Manifestement, vous n'avez rien compris : la banque centrale, c'est l'argent des Etats, celui des contribuables. ça vous a peut être échappé, mais actuellement, les pertes des banques privées, on s'en moque, ce qui compte, c'est que la Grèce puisse ...

le 30/07/2015 à 9:29
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Votre sentiment S V P sur les emprunts d état directement à la BCE.

à écrit le 29/07/2015 à 18:47
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Pas beaucoup de réactions sur ce texte qui apporte pourtant quelques informations et remet les pendules à l'heure. Le feuilleton euro-grec aura montré au grand jour l'impéritie des guignols qui se réunissent dans les hautes sphères européennes. Ne pa...

le 30/07/2015 à 9:29
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Pas de commentaire car monsieur Hans-Werner Sinn est toujours à l'école; il n'en n'est jamais sorti d'ailleurs. Il est probablement très instruit mais il est dans sa bulle et n'est pas au front pour prendre les décisions. Les décisions sont prises...

le 30/07/2015 à 9:51
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On ne demande pas a l'UE de réfléchir mais de faire ce que les US décident! Au lieu de la coopération, la concurrence (conflit permanent) entre membre, maintient le leadership américain!

le 30/07/2015 à 15:03
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Pourtant non, c'est gens là ne sont pas élus ! Du moins pas par le peu

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