Rebond des actions : « Est-ce bien raisonnable  ?  »

CHRONIQUE. Les marchés d'actions ont rebondi de près de 20% depuis 1 mois. Après en avoir perdu autant à la rentrée septembre. De tels changements d'humeur peuvent être rationnels nous dit la finance, mais est-ce bien raisonnable ? Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov et Bartleby.
(Crédits : BRENDAN MCDERMID)

« Cette fois c'est la bonne ! », dit l'investisseur mal inspiré depuis le début de l'année. Il faut dire qu'il a souvent tenté le rebond, mais c'est la rechute qu'il a le mieux réussi. Depuis le début de l'année les marchés d'actions sont en baisse de près de -8%. On peut comprendre que l'investisseur n'ait pas envie de rater le vrai rebond, celui qui lui permettra de sauver la mise.

Justement, il faut reconnaitre que le rebond en cours semble un candidat sérieux au poste de rebond durable. En effet, depuis début octobre, les marchés d'actions s'apprécient de près de 20%. Certes, les marchés nous avaient fait exactement le même coup durant l'été, s'appréciant d'autant et rechutant au plus bas à la rentrée. Mais bon, si Héraclite a raison alors « toute baisse des marchés est enceinte d'un rebond ».

Dont acte. Accordons donc le bénéfice du doute au rebond en cours. Peut-être est-il animé de meilleures intentions que le rebond précédent ? Peut-être a-t-il d'autres arguments plus sérieux à défendre ?

Genèse d'un rebond

Lorsque le marché se reprend ainsi, aussi violemment, en si peu de temps, c'est que l'investisseur est forcément bousculé dans ses certitudes, et animé alors d'un élan qui l'emporte. Un poète. Parfois, c'est effectivement le cas. Mais le plus souvent c'est moins claironnant. Les rebonds ne se font pas sur preuve accablante, mais juste sur un faisceau d'indices.

Et il semblerait bien que le rebond en cours soit exactement de ce type, un rebond motivé par un faisceau d'indices plutôt que par une nouvelle bouleversante. Insuffisant pour l'inspecteur de police ou le juge d'instruction, mais suffisant pour l'investisseur. D'une manière générale, la finance se contente de peu pour déduire beaucoup.

Ainsi donc, aucune nouvelle particulière n'a motivé le rebond des actions. Juste un fond diffus de nouvelles moins mauvaises qu'attendues. Et nul besoin de classer les motifs de rebond en fonction de leur charge informationnelle. Un tas suffira plutôt qu'un tri.

« On nous permettra une accumulation sans nuance, mais dont l'effet quantitatif ne laisse pas de doute », Hervé Fisher.

Dans le désordre, l'économiste ou le stratégiste de la finance de marché récite alors sa leçon :

« l'inflation américaine hors énergie a décéléré contre toute attente... les chiffres d'activité semblent moins alarmistes que ceux anticipés par les indicateurs avancés... la consommation a l'air de résister à l'effondrement du pouvoir d'achat... les bénéfices des entreprises ne faiblissent pas bien au contraire... Les prix de l'énergie reculent... Les taux d'intérêt semblent désormais sur un faux plat... ».

Bref, puisque toutes les mauvaises nouvelles sont déjà derrière nous, il serait temps de penser aux bonnes nouvelles qui ne manqueront pas d'arriver un jour. Ainsi naquit le rebond des actions. Certes, parfois le faisceau d'indices ne suffit pas. Parce que l'investisseur n'est pas d'humeur, parce que son café était froid, etc., il n'en faut pas davantage pour que l'investisseur adopte la moue du pisse - froid, rendu indisponible à tout débat constructif.

Mais tout n'est pas perdu. Il est encore possible de convaincre l'investisseur qui doute de trop. Il suffit alors de sortir la carte maîtresse, celle qui va finalement motiver le choix du rebond, comme une autre carotte que l'on propose à l'âne de Buridan afin qu'il se décide.

L'atout pour convaincre les plus sceptiques

« Les marchés remontent parce qu'ils avaient trop baissé... ». Inattaquable.

En vérité, celui qui utilise cet argument y mettra les formes :

« la prime de risque était trop élevée... l'investisseur était trop averse au risque... », voire plus pompeux « le prix du marché était trop faible par rapport au prix théorique calculé à partir de la valeur actualisée des bénéfices futurs de l'entreprise anticipés par les analystes... »

Il faut dire que ce genre d'argument a la théorie pour lui. On appelle cela les variations rationnelles des primes de risque. Lorsque les choses ont l'air d'aller un peu mieux dans le monde réel, l'investisseur est fondé à revaloriser le monde virtuel de la finance.

« Si j'ai moins peur de perdre mon emploi, alors j'ai moins peur de perdre à la bourse ».

Il existe d'ailleurs une formule consacrée pour désigner la chose :

« les primes de risques covarient négativement avec le cycle économique... »

Traduisez : un consommateur qui va mieux est un investisseur qui devient moins exigeant. D'une certaine manière, on dira donc que le rebond des actions est rationnel. Mais est-ce bien raisonnable ? Non.

Un rebond rationnel mais déraisonnable

Rationnel et raisonnable sont deux substantifs qui covarient souvent, comme les primes de risque et le cycle économique vus plus haut. Quand vous avez l'un qui bouge, vous avez l'autre qui suit, souvent. Mais pas toujours. Ainsi, je peux être rationnel, mais pas forcément raisonnable.

Je suis rationnel si pour le même prix, je choisis le pack de bières le plus gros... Mais est-ce bien raisonnable ?

Je suis rationnel si je crois au père Noël puisque j'ai toujours des cadeaux le 25 décembre... Mais est-ce bien raisonnable ?

Je suis rationnel si je crois aux extraterrestres puisqu'il existe une interdiction qu'ils se posent sur Terre... Mais est-ce bien raisonnable ?

Je suis rationnel si je crois au monstre du Loch Ness puisqu'il est déconseillé de se baigner dans le lac... Mais est-ce bien raisonnable ?

Enfin, je suis rationnel si je crois au rebond du marché puisqu'un faisceau d'indices... Mais +20% est-ce bien raisonnable ?

« Ils s'en vont de plus en plus vite, pour arriver de moins en moins loin. » Jacques Prévert

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Commentaires 2
à écrit le 25/11/2022 à 17:12
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A la lecture de cet excellent article, j'ai immédiatement postulé pour décrocher un poste pérenne à vie au sein du fameux Cabinet Conseil "Oblomov et Batleby", qui comme chacun sait, n'embauche que le top du top des foudres de guerre !!

à écrit le 24/11/2022 à 22:33
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Article bien inspiré et bien écrit. Félicitations.

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