Réforme du Code du Travail : n'oubliez pas le territoire !

A quel niveau doit s'organiser l'essentiel de la négociation sociale? Ce n'est peut être toujours au niveau de l'entreprise. Ni à celui de la branche, qui ne signifie plus grand'chose. Le territoire s'impose comme l'échelon pertinent. Par Anne Albert-Cromarias Professeur de Stratégie et Management, CRCGM/Groupe ESC Clermont

Le rapport Combrexelle marque l'officialisation de la réforme du Code du Travail tant attendue. D'abord issu d'une réaction syndicale (constituée dans la durée et dans la douleur) visant à protéger le travailleur à l'encontre du pouvoir unilatéral des employeurs tout-puissants, le droit du travail français s'est petit à petit étoffé, pour devenir l'imposant pavé de 12.000 articles que l'on connaît, bien évidemment totalement indigeste, dispensant de fait quiconque de la fameuse maxime « nul n'est censé ignorer la loi ». Les incohérences y sont nombreuses et certaines sont délicieusement anachroniques (ainsi l'article R4228-20 n'autorisant comme boisson alcoolisée sur le lieu de travail que « le vin, la bière, le cidre et le poiré » !). D'ailleurs tout le monde s'accorde sur la nécessité de simplifier, alléger et opérationnaliser cet outil, si impactant pour la vie de nos entreprises et de leurs salariés.

Élargir la notion de salariat

Si, bien évidemment, la discussion reste ouverte sur les méthodes à appliquer, les moyens à définir et les limites à ne pas franchir, il ne faut pas perdre de vue deux éléments essentiels.
Tout d'abord s'entendre sur les travailleurs concernés, puisque c'est avec et pour le salariat que s'est construit le Code du Travail. En 2015, la norme conceptuelle du salariat reste le CDI à temps plein. Pourtant, dans la pratique, les formes de travail évoluent largement. Le CDD représente aujourd'hui 84% des recrutements, le recours au temps partiel (choisi ou subi) est de plus en plus fréquent, et de nombreuses autres formes d'emploi, parfois qualifiées « d'atypiques », ne sont plus anecdotiques. Les éléments statistiques de la DARES ou EUROSTAT nourrissent les réflexions, comme en atteste le rapport Mettling (à paraître) qui propose d'élargir la notion de salarié en utilisant des critères plus économiques que juridiques.

Qu'est-ce que l'entreprise?

Ensuite, pour faire le pendant du travailleur, s'interroger sur ce qu'est l'entreprise. Le droit distingue certes l'entreprise de l'établissement, mais cette sémantique n'a plus guère de sens alors que la mondialisation des échanges bat son plein et que nombre d'entreprises sont apatrides, voire totalement dématérialisées, les questions de dumping social (et fiscal) étant plus que jamais d'actualité.

De plus, sous l'effet conjugué d'une concurrence accrue mais, simultanément, d'une recherche de plus de coopération (autrement dit la « coopétition », principe selon lequel il vaut mieux s'allier pour faire grossir ensemble le gâteau, la part des uns et des autres s'en trouvant ainsi mécaniquement augmentée), les entreprises sont amenées à travailler ensemble, à avoir des projets communs, à mutualiser des ressources... bref, à mettre en place des réseaux de collaboration qui rendent obsolètes leurs frontières traditionnelles.

Quid des salariés détachés?

Que dire, par exemple, des salariés des ESN (entreprises de services numériques, ex-SSII), détachés le temps d'une mission de plusieurs mois voire de plusieurs années chez un client, où ils cohabitent au quotidien avec des salariés dépendant d'un autre employeur et relevant d'une autre convention collective ?
Le territoire s'impose peu à peu comme le niveau pertinent du XXIe siècle. En effet, les individus vivent sur un territoire donné, et sont plus ou moins mobiles selon, notamment, leur niveau de qualification.

Un attachement des entreprises à leur territoire

Simultanément, et alors que la mondialisation exacerbe l'importance donnée au lieu d'implantation de l'entreprise (aux pays riches les étapes à forte valeur ajoutée telle la conception ou le service après-vente ; aux pays pauvres la production et l'assemblage), les entreprises n'ont jamais été autant attachées à leur territoire, en tant qu'écosystème indispensable à leur développement. Ce qui compte aujourd'hui, pour une entreprise, c'est d'être implantée sur un territoire attractif et innovant, donc créateur de richesses et d'emploi.

De même pour les travailleurs : les opportunités d'emploi seront plus nombreuses et de meilleure qualité si l'activité économique est au rendez-vous.
Il convient donc, dans la réflexion en cours sur la réforme du Code du Travail, de ne pas perdre de vue ce niveau émergeant qu'est le territoire, qui s'affirme comme une plateforme pertinente réunissant le citoyen, le travailleur, l'entreprise et la politique publique. Faire de l'entreprise le nouveau niveau de référence de toute négociation serait inutile car obsolète avant même que la loi soit votée. Une approche sectorielle ne serait guère plus efficace pour des raisons similaires de périmètres de plus en plus enchevêtrés et complexes dans des structures où la mono-activité se raréfie. En privilégiant la proximité, certes géographique, car sur un espace donné, mais aussi et surtout organisée, faite d'interactions entre acteurs (individus, entreprises, institutions locales...), le territoire dépasse ces représentations rigides et s'affirme comme le niveau opportun pour une modernisation réussie de notre Code du Travail.

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Commentaire 1
à écrit le 07/10/2015 à 16:08
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il est impératif aujourd'hui, et avant toute réforme, que l'état installe une entité chargée de réviser le droit Français, du code du travail au code civile. Sans réaliser un inventaire de l'obsolescence de certains articles, impossible de faire une ...

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