"Régulation permanente" : granularité ou grain de sable  ?

L'Europe ne souffre pas d'un déficit démocratique, elle suffoque. Sous le poids de la régulation. Le phénomène est connu, dénoncé. Depuis plus de 20 ans, cris d'alarme et effets d'annonce se multiplient, sans qu'aucun des prétendus chocs de simplification ait concrètement permis d'endiguer ce flot. Par Benoît Fleury, avocat au barreau de Paris.

Signe évident de l'urgence : depuis l'été 2016, le Conseil d'État, le Sénat, le Haut Comité juridique de la Place Financière de Paris et le Club des juristes se sont tour à tour attaqués au sujet. En six mois, plus de 1.000 pages de rapports et d'études, pour traiter de ... simplification. Impuissance ou désarroi ?

La prise de conscience ne se cantonne pas à la France. En témoigne la même succession, au niveau européen, d'initiatives de simplification et d'évaluation de la norme. Programme de réduction de la charge administrative (ABR), programme pour une règlementation affutée et performante (REFIT) et, en tout dernier lieu, programme « mieux légiférer » (« better regulation ») et son paquet de mesures lancées en 2015.

Si, comme le souligne le Conseil d'État dans son étude de juillet 2016 « Simplification et qualité du droit », n'existe s'agissant du volume normatif, ni donnée officielle ni consensus sur ce qui doit être chiffré, le poids de la norme sur les performances économiques semble, lui, établi. Le problème est identifié, les causes, multiples et complexes, le sont aussi. Les moyens de lutte le sont tout autant. Deux sont particulièrement mis en avant, visant l'un à réduire le flux et l'autre le stock.

D'abord, en amont, renforcer (et contrôler) les analyses dites « d'impact ». Celles-ci ont pour but, avec les consultations publiques, de s'assurer -avant que la norme nouvelle soit proposée- qu'elle est nécessaire et pertinente au regard de ses objectifs et de ses conséquences.  Le second remède, en aval, consiste à instituer une véritable procédure d'évaluation rétrospective. Celle-ci doit permettre de vérifier a posteriori -grâce aux données collectées- si la norme a atteint ses objectifs, sans surcoût économique ou compétitif, sur la base d'indicateurs de suivi précisés lors de l'étude d'impact.

Les débats portent sur la faisabilité et la fiabilité du chiffrage des analyses d'impact. Ils portent également, s'agissant des évaluations rétrospectives, sur la pertinence des indicateurs d'évaluation, généralement regroupés en quatre grandes catégories, toutes basées principalement sur la notion d'efficience.

La difficulté tient, pour l'essentiel, à la complexité, voire à l'impossibilité, de collecter des données d'analyse suffisamment pertinentes et récentes pour apprécier si ces indicateurs d'efficience sont satisfaits. Or, la création d'un service européen chargé de collecter de telles statistiques nécessaires pour conduire une véritable analyse entrainerait a priori pour l'Union européenne un coût prohibitif, ce qui dans le faits rend cette option impossible (voir l'étude de 2013 commandée par la Commission européenne auprès du Centre for European Policy Studies and Economisti Associati).

D'où, semble-t-il, l'introduction dans les normes -pour l'instant- communautaires d'une obligation pour les Etats Membres de communiquer à la Commission (ou aux autorités de surveillance) selon un format permettant leur compilation, de statistiques de plus en plus fines, dites « granulaires », censées permettre d'évaluer l'« efficience ». Plusieurs règlementations en fournissent l'exemple, telles le règlement de mai 2016 de la Banque Centrale Européenne concernant la collecte de données granulaires sur le crédit et le risque de crédit, la recommandation européenne concernant les données immobilières ou la récente proposition de directive de novembre 2016 sur les procédures d'insolvabilité.

Le postulat derrière cette démarche est simple : la norme doit s'apprécier au regard de la compétitivité qu'elle créé ou détruit. Seules des données individuelles, micro-économiques (et non plus par région ou secteur) permettraient de la mesurer (notamment, dans le cadre du projet Mapcompete financé par l'Union européenne, Measuring competitiveness in Europe : resource allocation, granularity and trade, Bruegel Blueprint Series, volume XViV, 2016).

Sans tomber dans la critique du tout-technocratique ou du tout-économique, la disponibilité de données granulaires extrêmement fines (et analysables en fonction du seul critère de l'efficience économique de la norme) risque de conduire à une auto-alimentation de la norme encore plus grande, à rebours des objectifs de simplification. Ainsi, s'il apparait sur la base des données collectées des inefficiences compétitives dans certains micro-secteurs géographiques ou professionnels, la tentation sera évidente de prendre une nouvelle norme spécifique, d'exception ou temporaires afin de corriger en temps réel cette inefficience et de délivrer en permanence des résultats prétendument tangibles.

Les consultations publiques, destinées à aboutir à une régulation plus « participative »  et inclusive (y compris sur les indicateurs) prônée notamment par l'OCDE, risquent d'être largement insuffisantes pour contrecarrer ce mouvement, ne serait-ce qu'en raison de leur nombre (une étude d'impact en moyenne tous les deux jours et demi au niveau européen sur la période 2007-2014) et du temps que les entreprises et citoyens peuvent raisonnablement y consacrer.

Il semblerait pourtant possible, sans négliger la compétitivité, de s'attacher d'abord à définir, non des objectifs prétendument tangibles, mais les valeurs (qui ne sont pas économiques) que l'Union européenne a charge de défendre puis de ne légiférer que par rapport à celles-ci, les indicateurs de « réussite » n'étant en outre pas purement  économiques.

À défaut, on risque fort d'assister à un boomerang normatif, sans n'avoir aucunement sauvé l'Europe. La granularité : nouveau grain de sable ?

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Commentaire 1
à écrit le 23/10/2017 à 13:41
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Vous voulez dire que les salariés européens ne souffrent pas de la concurrence des salariés des pays de l'est payés 4 fois moins ? Il va vous falloir de bien meilleurs arguments que ça...

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