Repenser l'erreur en entreprise

À l'instar de Blablacar qui a instauré le « fail, learn, succeed », le concept d'erreur en entreprise a évolué. Certaines sociétés ont mis en place une charte de « non-punition de l'erreur ». Par Sylvain Max, enseignant-chercheur en psychologie sociale à BSB (Burgundy School of Business). Cette tribune est inspirée d'échanges avec Christophe Varnat, participant de l'Executive ESC de BSB (Formation continue).

Prenez un grand réseau de distribution d'énergie en France, à la fin des années 90, début des années 2000. Le voici confronté à une augmentation dramatique des accidents de travail (AT) liée au non-port des équipements de protection individuelle (EPI), ainsi qu'au non-respect de certaines procédures. Deux axes pourtant garants de la protection d'une population soumise aux dangers d'électrisation, de chute et d'intoxication.

Dans leur activité, le non-port des EPI peut avoir de graves conséquences. Des « chocs » peuvent survenir lorsqu'un arc électrique se produit. Si le salarié ne porte pas ses EPI, il peut littéralement voir 36 chandelles ou pire être brûlé à divers degrés. Il y a également des risques de chute de hauteur. La direction n'arrive pas à réduire les AT et à faire porter leurs EPI aux techniciens alors elle sanctionne à tout va, mais sans résultat réel.

Révolution sémantique

À court d'idées - toutes les techniques classiques ayant été essayées (rappel des procédures, formations, sanctions, etc.) - une direction régionale accepte de mettre en place la proposition innovante d'un consultant, qui suggère d'opérer une véritable révolution sémantique. Sa proposition semble somme toute assez simple à mettre en place. Il s'agit d'un basculement de lexique, du passage du vocabulaire de la faute qui automatiquement entraîne une sanction, au vocabulaire de l'erreur.

La différence fondamentale entre la faute et l'erreur est que l'une est involontaire, l'erreur, alors que l'autre, la faute, résulte d'un processus volontaire. Cette révolution lexicale a eu lieu, elle a reçu le soutien des syndicats de l'entreprise et a rapidement montré ses effets bénéfiques : les AT ont significativement diminué.

Comment ce « simple » changement dans le discours, ce basculement de la faute à l'erreur, a-t-il pu avoir de telles répercussions positives sur la réduction des AT ? Cet exemple est caractéristique de l'impact de ce qu'on appelle l'engagement, sur les comportements de port des équipements de sécurité. Pour ce type de comportements, la tentation peut être grande d'obliger les salariés à porter leurs EPI - d'autant plus si le risque lié est important et s'ils perçoivent leur professionnalisme comme une protection - et de les sanctionner s'ils ne le font pas.

Puissance de l'engagement

Or, dans ce cas et comme l'a montré cette anecdote, le résultat risque d'être contreproductif. Pourquoi ? À cause de l'engagement que Kiesler définissait comme « le lien qui existe entre un individu et ses actes ». Si un salarié est forcé à porter ses EPI sous peine de sanction, il va associer ce comportement à un facteur extérieur à lui-même, c'est-à-dire la peur de la sanction. En l'absence de l'autorité pouvant exercer cette contrainte extérieure, il ne va pas porter ses EPI et va prendre des risques.

À l'inverse, si le salarié est responsabilisé et qu'il se sent libre dans une certaine mesure (il est quand même question de sécurité ici) de porter ses EPI, qu'il comprend les enjeux, alors il attribuera plus facilement son comportement à des facteurs internes, à lui-même en quelque sorte. Ainsi il pourra expliquer son comportement par le fait qu'il est un salarié qui se soucie de sa propre sécurité et par la même de celle d'autrui. Il va également intérioriser ce comportement bénéfique à tous (lui-même et l'entreprise) et il va se comporter de la sorte même en l'absence de supervision.

Ainsi, le basculement lexical de la faute à l'erreur a responsabilisé les techniciens de ce réseau de distribution d'énergie et les a engagé dans des comportements de sécurité, en témoigne la baisse des AT après cette mesure. Cet exemple invite donc à repenser le statut de l'erreur en entreprise. À ce titre, un certain nombre de bonnes pratiques ont été mises en place dans des entreprises, qui ont su penser ou repenser la dimension de l'erreur en leur sein.

Place à l'erreur

Certaines sociétés, à l'instar d'Air France, ont mis en place une charte de « non-punition de l'erreur ». L'AP-HP, plutôt que de parler d'erreur, utilise le terme « événement indésirable associé aux soins » (EIAS) afin de créer un environnement favorable à leur déclaration. En ne sanctionnant pas l'erreur (ou EIAS), l'objectif dans ces deux cas est que l'ensemble des erreurs soient déclarées - car elles sont très sensibles dans ces domaines - puis analysées. Ainsi le retour d'expérience qui s'ensuit peut permettre d'améliorer les procédures.

D'autres entreprises prônent un droit à l'erreur à travers les valeurs qu'elles véhiculent. Comme le précise Ikea sur son site internet : « bien entendu, les gens font parfois des erreurs, mais ils en tirent des leçons ». Pour Frédéric Mazzela, Président-fondateur de Blablacar, une des valeurs les plus importantes de son entreprise est « Fail. Learn. Succeed. » (valeur numéro 3 de leur inside story). De la même façon, Facebook exhorte ses équipes à « être audacieux » (« Be bold » est l'une des cinq «core values» de Facebook) même si cela a pour conséquence de commettre des erreurs. Il apparait que les entreprises les plus innovantes ont instauré une culture du « droit à l'erreur », moteur de leur innovation.

Enfin, certaines entreprises ont réfléchi à la place de l'erreur dans leur activité quotidienne, quitte à parfois la rechercher en adoptant une approche dite « test and learn » (par essai et erreur). Il s'agit d'expérimenter à petite échelle des solutions pour voir les problèmes qu'elles peuvent poser, avant de les généraliser à plus grande échelle. Ici, l'erreur acquière un véritable statut dans le processus de création, car elle en devient une étape à part entière (comme elle l'est d'ailleurs dans le processus d'apprentissage). N'oublions pas qu'avant de savoir marcher, un enfant est tombé en moyenne 2000 fois...

Effet Macron ?

L'erreur doit donc trouver sa place dans l'entreprise. Si elle est valorisée, recherchée et comprise pour faire évoluer les pratiques, elle permettra de responsabiliser les équipes. L'effet étant inverse si l'erreur est stigmatisée, cachée et qu'elle entraîne une sanction.

La question du droit à l'erreur s'est même invitée dans la récente actualité politique puisqu'Emmanuel Macron souhaite l'institutionnaliser afin que l'administration ne sanctionne pas au premier contrôle (sauf à prouver une intentionnalité et pour les infractions pénales). Le nouveau Président souhaite-t-il faire preuve de pédagogie et responsabiliser ses concitoyens en ne les stigmatisant pas immédiatement comme fraudeurs ? Cette réforme va-t-elle passer et aura-t-elle des effets bénéfiques ? Affaire à suivre.

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Commentaire 1
à écrit le 02/06/2017 à 10:37
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"Il faut réhabiliter l'échec" F. Nietzsche

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